Dans l’univers de Narciso Rodriguez

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Le créateur new-yorkais célèbre les 20 ans de sa griffe avec Rouge, une eau de parfum vibrante, couleur passion. L’occasion de parcourir avec lui son album de souvenirs. Bienvenue dans son univers.

Comme Cristobal Balenciaga, qu’il vénère, Narciso Rodriguez n’a pas son pareil pour créer des tenues inoubliables. Il y a bien sûr celles qui ont fait, images à l’appui, le tour de la terre – impossible d’oublier la silhouette rouge et noir de Michelle Obama le soir de l’élection présidentielle, en novembre 2008, mais aussi la grâce de sylphide de Carolyn Bessette au bras de son mari John F. Kennedy Jr – et puis celles, anonymes, qui sont devenues pour les femmes qui les portent des  » robes à tout faire « , comme elles disent, dotées d’une sorte de pouvoir magique qui ferait qu’on se sente soi, en mieux, une fois qu’on les enfile. Ses parfums ont d’ailleurs la même force et le petit dernier, troisième chapitre de la ligne Narciso, fait partie de ces sillages bien nés qui ne s’oublient pas.

Formé à la Parsons School of Design, le créateur new-yorkais a fait ses gammes chez Calvin Klein, Cerruti puis Loewe avant de lancer sa propre griffe, il y a tout juste vingt ans. L’occasion, pour lui, d’éditer une collection capsule reprenant quelques-uns de ses modèles cultes mais aussi d’oser une fragrance troublante à l’image de ce rouge orangé, signature récurrente de ses collections.  » J’aime la couleur à l’état pur, assure-t-il. Elle suscite des émotions profondes et viscérales.  » Si l’expérience européenne de ce fils d’émigrés cubains a nourri son désir de créer une maison de couture à l’ancienne dans laquelle le parfum occuperait très vite, comme chez Dior ou Chanel, une place essentielle, c’est aussi grâce à ce portfolio de fragrances qu’il a pu faire connaître son nom et sa mode dans des pays où celle-ci n’était même pas distribuée. Un formidable levier qui lui a permis d’atteindre par ce biais l’un des objectifs qu’il s’était fixés.  » Un bon design se devrait d’être démocratique et apprécié du plus grand nombre, plaide-t-il. Mes parfums aussi ne sont pas des jus compliqués, sensés plaire à un public ciblé. Je veux qu’ils puissent être aimés de tous.  » Une forme de rêve accessible, en quelque sorte. Explications.

La robe qui a changé sa vie

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 » Evidemment, la robe que portait Michelle Obama, le soir de l’élection présidentielle, en 2008. J’ai toujours considéré que c’était un choix tellement audacieux de sa part car c’était une tenue tout sauf neutre. Ce modèle n’allait pas faire l’unanimité et elle le savait. C’était un moyen pour la nouvelle First Lady de faire savoir qu’elle ne comptait pas raser les murs. Cela annonçait les changements promis. Cette robe était un hommage à ce qu’elle est. Je ne pense pas que, en elle-même, elle était ostentatoire ; c’était plutôt humble même, la manière dont elle l’a portée avec son petit cardigan noir par-dessus. Mais c’était fort. On pouvait voir que l’on était en train de vivre un moment-clé dans l’histoire des Etats-Unis à tellement de niveaux. « 

Le rouge idéal

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 » C’est une couleur qui ne cesse de traverser ma vie, depuis toujours, elle est récurrente dans mes collections. Je l’aime car elle est à la fois pure et audacieuse. Même dans ma maison, la déco est plutôt sobre et il y a cette porte géante en laque pourpre. Au fil des années, mon approche du rouge a évolué : il est devenu multiple. Celui que l’on retrouve sur le flacon de ce nouveau parfum, plus orangé, est pour ainsi dire devenu ma signature. Cela faisait longtemps que je rêvais d’une fragrance rouge et bien sûr c’est une idée complètement abstraite, les couleurs n’ont pas d’odeur ! Le rouge, c’est la teinte qui vous réveille le plus, qui vous perturbe. Le point de départ est le même que pour mes autres parfums – du musc, des fleurs – mais avec une vibration qui traduirait un sentiment d’urgence sans que ce soit pour autant excessivement sensuel. « 

La femme Narciso

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 » J’aime partir des parfums pour la décrire. Ils ont séduit des jeunes femmes mais aussi leurs mères, parfois même leurs grands-mères ! Parce que je les veux intemporels. Le parfum a ceci de magique qu’il peut toucher énormément de vies, celle de la personne qui le porte mais aussi de ses proches. Je suis toujours ému lorsque je reçois une lettre qui me dit :  » J’ai rencontré mon mari grâce à vous « , qu’il s’agisse d’un parfum ou d’une robe. A mes yeux, il n’y a pas de plus beau compliment que d’entendre un homme me dire :  » J’aime quand ma femme porte vos vêtements.  » Ce sont des moments importants de ma carrière, plus parfois que les articles de la presse spécialisée qui disparaissent assez vite après les défilés. Le signe de votre succès, c’est plutôt la femme qui vous confie que lorsqu’elle veut enfiler une de vos robes, elle doit aller la chercher dans le dressing de sa fille ! « 

L’incarnation du rêve américain

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 » J’en suis le pur produit et j’en suis très fier. Aujourd’hui, il ne faut même plus avoir suivi un cursus dans la mode pour se dire créateur, regardez le nombre de célébrités qui lancent leur ligne de vêtements. Il y a de la place pour tout le monde, je pense. Quand j’ai ouvert ma propre maison, il y a vingt ans, je voulais le faire à l’ancienne, comme cela se passe en Europe où j’avais eu l’occasion de travailler auparavant pour Loewe, créer une marque globale qui offre des vêtements bien sûr, mais aussi des sacs, des chaussures, du parfum. Que tout soit dessiné et pensé par une même personne. J’ai eu une grande chance de pouvoir suivre ce chemin. « 

L’âme de New York

 » Je suis new-yorkais dans l’âme : même lorsque je travaillais en Europe pour Loewe, je savais que j’y retournerais un jour. A l’époque, j’avais carrément l’impression que ma maison se trouvait au milieu de l’Atlantique, je passais plus de temps dans l’avion entre New York, Madrid, Milan et Paris qu’ailleurs. Pendant longtemps, j’ai été constamment en mouvement. Cela m’a permis de devenir qui je suis aujourd’hui. Mais ma ville me manquait, mes amis aussi, une certaine forme de stabilité. New York est terriblement inspirante, son architecture bien sûr, mais surtout la manière dont elle bouge, dont elle fonctionne sans jamais s’arrêter. Elle est de ces métropoles comme Berlin ou Tokyo qui font graviter les artistes autour d’elles. Paris, c’est autre chose : dès que j’arrive là, et cela fait trente-cinq ans que cela dure, j’en ai le souffle coupé. Mon coeur s’arrête devant tant de beauté. C’est unique au monde. « 

Le voleur d’images

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 » J’ai toujours puisé mon inspiration dans la rue, en regardant les passants surtout. Avant, je dessinais, je le fais encore mais plus autant, je préfère prendre des photos, volées souvent, et pour cela il n’y a pas de meilleur complice que le téléphone portable. Je me poste à la terrasse d’un café dans East Village, j’aime particulièrement 9th Street pour cela car c’est la rue que tout le monde emprunte pour aller ou venir de la gare. On y croise le banquier en train de nouer à l’arrache sa cravate, la fille qui se maquille en marchant… C’est fascinant de voir l’attention que les gens attachent à leur tenue, jusque dans les moindres détails. Les hommes plus âgés, que je pouvais observer déjà en 1979, portent toujours le même type de costumes trois-pièces croisés ! Certains looks semblent éternels, comme le rockeur punk des années 80, les manteaux trapèze des années 60… C’est incroyable de découvrir de cette manière la psychologie du vêtement.  »

L’anti-fashion victime

 » J’adore cuisiner, je peux y passer des heures. Mais quand c’est fini, je n’ai parfois plus envie de manger ! C’est pareil avec la mode : durant mes journées de boulot, je suis entouré de vêtements, je ne pense qu’à cela… Alors, quand je claque la porte du studio, je veux passer à autre chose. J’ai mon uniforme : un tee-shirt noir ou bleu marine de coupe simple, un jeans noir, une paire de Nike, une veste noire ou bleu marine. Ce sont comme des gabarits, des basiques, qui n’interfèrent pas avec mon travail sur la couleur. C’est sans doute pour cela que dans les ateliers, traditionnellement, on portait des tabliers blancs.  »

Le gourmand cordon-bleu

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 » Je ne dirais pas que je suis un très bon cuisinier mais oui, j’aime ça. Cela me détend et cela reste créatif en même temps. Sans avoir à coudre quoi que ce soit. J’ai hérité cette passion de ma famille, tous cuisinent bien. Et puis, lorsque j’ai vécu en France, j’ai découvert une tout autre gastronomie : les plats mijotés surtout, le coq au vin, le boeuf bourguignon… Il y a un mois, je me suis levé un dimanche matin et j’ai préparé un cassoulet ! Cela m’a pris une éternité. Mon compagnon n’en revenait pas ! Je suis bon en improvisation aussi. J’aime aller au marché local, où l’on trouve les produits des fermiers du coin. J’achète les fruits et légumes de saison et je me laisse inspirer. La plupart du temps, je balance tout ensemble. J’ai des herbes à la maison, je me laisser aller. Cela ne doit pas être compliqué : un peu de thym, de romarin, de sel sur des pommes de terre que l’on glisse dans le four, c’est génial !  »

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L’icône mode

 » Cristobal Balenciaga ! Notre maître à tous, il ne cesse encore et toujours d’inspirer la mode. Et dans un tout autre registre, Romy Schneider, que j’aurais adoré rencontrer et habiller.  »

Le retour à Cuba

 » Je me suis toujours considéré comme Cubain : j’ai été élevé par une première génération d’émigrés, ce sont mes racines. La plupart de mes cousins sont nés là-bas, d’ailleurs. Même si j’ai vu le jour aux Etats-Unis, j’ai Cuba dans la peau. Quand il y a deux ans, la promesse d’ouverture s’est enfin réalisée, j’étais excité et extrêmement honoré de faire partie de la première délégation d’Américano-Cubains à accompagner Barack Obama, d’être un ambassadeur de ce rapprochement en quelque sorte. C’était la première fois que je m’y rendais, c’était particulièrement émouvant, une expérience inoubliable.  »

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