Honorée, Balzac Paris? Décryptage du succès d’une marque qui n’a pas tant des clientes que des fans
Si certaines marques à succès n’ont pas attendu l’avènement des réseaux sociaux pour s’attirer des hordes de clients dévoués, ces derniers ont toutefois permis l’apparition d’un nouveau modèle de consommation. Entre aspiration et identification, les marques qui en sont n’ont pas tant une clientèle que des fidèles. Décryptage avec le cas Balzac Paris, qui vend vêtements et accessoires, certes, mais aussi et surtout une promesse.
Au commencement était Balzac. Et si la tentation est forte d’ajouter « le vrai », qui peut aujourd’hui prétendre que la marque qui porte son nom est moins authentique que l’auteur à qui on doit notamment le Père Goriot et Eugénie Grandet? Quant à savoir s’il serait honoré de voir son patronyme désormais synonyme d’une certaine interprétation de l’élégance à la française, le mystère reste entier. Mais toujours est-il qu’en 2024, Balzac est synonyme de lettres, cela va sans dire, mais aussi de vêtements d’autant plus désirables qu’ils sont à la fois relativement accessibles (tant niveau prix qu’esthétique) et juste ce qu’il faut d’inaccessible, au gré de « drops » à peine dévoilés qu’ils sont déjà vendus tout entiers. On y reviendra, ainsi que sur la frénésie et le marché parallèle qu’ils suscitent, mais en littérature comme en affaires, il y a un certain déroulé à respecter, et il s’agit donc de commencer par les débuts d’une marque a priori pas plus prédestinée qu’une autre à devenir culte. Enfin, tout dépend à qui on demande.
Un pour tous, T.P.R!
Chrysoline de Gastines est mariée à Victorien, et belle-soeur de Charles, et ensemble, le trio décide en 2014 de se lancer ce qu’il qualifie de « pari fou », soit « créer une marque de vêtements responsables dans le deuxième secteur le plus polluant » au monde, c’est-à-dire la mode. Fou, vraiment? Pas tant que ça, car il y a 10 ans, la durabilité était déjà au coeur des préoccupations d’un nombre croissant de labels, mais les trois compères veulent aller plus loin que le vernis vert apposé alors de manière plutôt légère pour montrer patte éco-consciente. Et s’inscrit d’emblée dans une démarche « T.P.R. », pour « toujours plus responsable ». Déclarations enthousiastes, liens familiaux et amicaux revendiqués, acronymes gentillets… Le côté très « bon élève » de la marque pourrait agacer, mais il s’agit bien-là d’authenticité plutôt que d’une quelconque démarche marketing, et en plus, les vêtements sont jolis et bien faits, alors d’emblée, ça plait.
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Et si les nombreux portraits qui leur ont été consacrés ces dix dernières années font toujours grand cas des origines lilloises de Chrysoline de Gastines et de son mari et co-(co-)fondateur, des « Parisiens d’adoption » forcément plus sympas et bienveillants, quand on l’interroge sur le succès fulgurant de sa marque, elle ne fait toutefois pas mine de jouer la carte de la fausse modestie.
« Balzac Paris est la première marque française qui propose à ses clientes une marque responsable et désirable et ce depuis notre création, ce qui était très novateur il y a 10 ans. En plus d’adhérer à l’esthétique de nos créations, la cliente a une confiance aveugle en Balzac Paris car elle sait que tout notre processus créatif est réalisé dans notre démarche T.P.R, c’est-à-dire que nous sommes très exigeants sur le sourcing de nos matières et la confection de nos produits dans l’objectif de faire toujours mieux » pointe-t-elle.
Tout en restant toujours fidèles à un ADN marqué. Bien qu’elles ne comportent pas de swoosh ni de tribandes ou autres logos ultra reconnaissables, les créations estampillées Balzac Paris sont pourtant immédiatement identifiables pour les fans de la marque, qui seraient des centaines de milliers s’il faut en croire le nombre de followers qu’elle engrange sur les divers réseaux sociaux.
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Pas mal pour un label qui a commencé par commercialiser uniquement des noeuds papillon sur mesure, et qui doit d’ailleurs son nom au fait qu’Honoré de Balzac discourait sur la manière de porter cet accessoire dans son Traité de la vie élégante. Hasard du calendrier, ou bien destin peut-être, son nom tombe dans le domaine public pile au moment où Chrysoline & co décident d’agrandir leur collection en proposant des pulls en hommage à des auteurs célèbres. Le reste, comme on dit, appartient à l’histoire, et celle de la marque française s’écrit résolument comme une success story.
FOMO, mais pas trop
La clé de son succès? Avoir réussi à fédérer une communauté de fans plutôt que de clientes. Des inconditionnelles, qui postent des photos des dernières pièces ajoutées à leur collection personnelle, filment le déballage de leurs commandes, et se rassemblent dans des groupes tels que Balzac Paris Addict, qui compte plus de 7.300 membres sur Facebook. Une gigantesque bande de copines virtuelles unies par leur passion commune pour une marque au coeur de toutes leurs discussions: l’une s’interroge sur la largeur d’une paire de souliers, tandis qu’une autre se demande si une pièce aperçue sur une photo de campagne est déjà disponible en boutique. Fil rouge de ces échanges: l’échange, justement, entre celles qui recherchent désespérément l’un ou l’autre vêtement ou accessoire impossible à trouver dans leur taille, et les autres, qui revendent les mêmes pièces sold out à un prix équivalent ou supérieur à celui en boutique – un taux d’échange réservé normalement aux pièces ultra luxe type Birkin et Kelly d’Hermès.
Membre du groupe Facebook, et fan revendiquée de la marque, Faustine, quadra longiligne dont la silhouette semble faite pour arborer cette nonchalante élégance parisienne, n’hésite pas à parler de FOMO pour expliquer le rapport qu’elle entretient à Balzac Paris. Soit la peur de manquer, donc, « avec des pièces très (trop) vite sold-out qui stimulent voire créent le désir ». Mais sans renier la responsabilité pour autant, ce qui n’échappe pas aux clientes: « contrairement à d’autres marques au positionnement similaire, c’est moins la course à choper LA pièce que tout le monde voudra. Il y a un côté moins frénétique, avec moins de nouvelles pièces toutes les semaines qui en chassent d’autres, ce qui donne le sentiment d’une marque plus éco-responsable ».
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« Nous racontons des histoires et suscitons des émotions, c’est notre secret sauce ! Nos créations sont désirables et ont ce look “tradibarje” qui nous est propre » sourit Chrysoline de Gastines, qui assure que « 99% de sa garde-robe, au bas mot » est composé de créations signées de son propre label, et se dit « extrêmement fière du chemin parcouru ! Ces 10 années écoulées sont le fruit de beaucoup de travail de toutes nos parties prenantes : collaborateurs en interne mais aussi en externe avec nos fournisseurs et usines. Nos pièces désirables et notre discours authentique ont su fédérer une communauté de fidèles qui sont sensibles à nos valeurs. Je discute régulièrement avec nos clientes, je suis très à l’écoute de leurs retours qui sont toujours constructifs et nous aident à évoluer. Cette communauté de plus de 500K fidèles sur Instagram nous suit avec assiduité et ne cesse de grandir en France et à l’international ».
Dont acte, puisque Faustine elle-même est établie à Bruxelles. Et se réjouit que malgré la percée progressive de la marque dans le royaume, elle y reste encore (relativement) confidentielle. « Malgré la collab’ avec Bonjour Georges, je vois rarement des filles dans la rue en Balzac… Mais ça arrive ! Il y a ce tote bag léopard (super beau, faut l’avouer) que j’avais eu en cadeau avec une commande et qui se revend jusqu’à pas loin de 100 euros sur Vinted, car sold-out depuis longtemps. Il m’arrive d’en croiser dans la rue, et là je me dis ‘tiens, une chanceuse qui a réussi à choper ce sac aussi, avant que ce soit la folie' ». Mais où celle-ci trouve-t-elle son origine?
Balzac Paris ou l’attrait irrésistible du luxe accessible
Balzac Paris n’est après tout pas la seule marque à proposer une version updatée du vestiaire irrésistible de la Parisienne. Ni à marier ce parti pris esthétique à des valeurs durables. Ni-même à saupoudrer le tout d’origines feelgood et d’une belle histoire d’amour. Mais pris ensemble, et associés au positionnement budgétaire des créations mises en boutique, cela crée quelque chose qui tient presque de la magie. Si l’alchimie opère, c’est en effet parce que contrairement à d’autres marques, condamnées à rester toujours aspirationnelles pour le commun des mortels, incapable de dépenser des (dizaines de) milliers d’euros pour un seul vêtement ou accessoire, Balzac Paris est là, juste à portée de main. Certainement pas cheap, et pas non plus suffisamment bon marché pour que tout le monde puisse se le payer, mais assez raisonnable pour que cela tienne du domaine du possible. Et rassemble tant les chanceuses qui peuvent se payer un panier shopping à plusieurs centaines d’euros sur un coup de tête que celles qui auront besoin de quelques semaines d’épargne pour s’offrir une belle pièce mais ne la chériront que plus au final.
Dans son dernier rapport sur l’évolution du marché du luxe, diffusé ce mardi 2 avril, Business of Fashion révèle une hausse croissante (et parfois faramineuse) des prix du secteur, le budget pour s’offrir certains sacs Chanel ayant presque doublé entre 2019 et 2022. Résultat, les acheteurs aspirationnels, qui rêvaient et mettaient de côté jusqu’à pouvoir s’offrir LA pièce, sont désormais virtuellement chassés du marché, et plus prompts que jamais à se concentrer sur l’entrée de gamme, qui leur offre le vertige de se gâter sans le sentiment vertigineux de ruine immédiate qui accompagne aujourd’hui certains achats.
Je porte donc je suis
Autre facette de cette relative accessibilité? Une identification très forte à une marque qui, contrairement au label d’Anine Bing, ne se contente pas d’être incarné par le visage de sa créatrice mais bien aussi par tous ceux de ses fidèles, dont les tenues se dévoilent notamment sur le compte Vous en Balzac Paris. Bien sûr, la jolie histoire de son trio de fondateurs aide, tout comme les aperçus de leur vie distillés dans les médias: peut-être n’aurez-vous jamais la blondeur très old money de Chrysoline, ni son intérieur sublime dévoilé par le plus hype des magazines d’architecture, mais vous pouvez-vous offrir les vêtements qu’elle dessine, et c’est un peu comme si vous vous rapprochiez d’elle ce faisant.
Ainsi que de toutes ces Parisiennes, réelles, d’adoption ou juste de coeur, dont les dégaines se dessinent sur Instagram, Facebook et al. Peut-être ne serez-vous jamais aussi minces, aussi lookées, aussi sûres de vous, détentrices de ce « je ne sais quoi » qu’elles semblent toutes avoir, mais en vous achetant les mêmes vêtements, en les portant de la même manière parfois, ou bien en sauvegardant précieusement chacune de leurs tenues postées pour vous en inspirer, vous pouvez, là aussi, entretenir l’illusion d’en être.
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Et puis si rêver est gratuit, de manière plus prosaïque, chez Balzac Paris, on en a pour son argent aussi, assure Faustine: « les pièces sont très qualitatives, avec de belles finitions, de belles matières… Je crois que je n’ai jamais été déçue, en dehors de problèmes de taille ou d’esthétique. J’aime aussi l’originalité de la marque. Finalement, je retrouve assez peu de « Balzac like » dans les enseignes de fast fashion, contrairement à des marques concurrentes qui prennent peut-être moins le risque de sortir des cahiers de tendances ». Il y a dix ans, pile au moment du lancement de la marque, l’Institut Français de la Mode s’intéressait au marché alors en pleine croissance du luxe accessible, et concluait notamment que ses clientes « savent très bien situer les marques dans l’échelle prix, et même dans le temps. Les clientes du luxe accessible mesurent très bien les évolutions et repèrent les éventuelles hausses, comme elles ont identifié une détérioration de la qualité chez quelques marques ».
Une baisse contre laquelle Balzac Paris se prémunit, tant niveau qualité qu’esthétique. « Chaque saison je travaille une thématique de saison avec ma directrice du style et les stylistes du studio. Cette réflexion donne le ton pour la suite de la collection et pour la réalisation des premiers dessins. Plus qu’une thématique, c’est un appel à l’évasion où l’imagination et la créativité sont sans limite. Dix ans de création donne également lieu à de nombreuses archives avec les allures clés de Balzac Paris qui sont représentatives de notre ADN et dans lequel nous venons piocher volontiers. La folie des grands cols, le léopard, les imprimés et les volants sont autant de codants forts à la marque qui se plaisent à être réinventés au fil des saisons et des années » explique Chrysoline de Gastines. Qui a récemment confié vouloir faire de la marque lancée avec son mari et son beau-frère un « Patagonia à la française ». Et s’il s’agissait pour elle de faire référence à la certification B Corp de l’équipementier de sport, qui sait où s’arrêtera la croissance du label dont l’offre s’étend désormais aux penderies masculines et féminines, mais aussi à la maroquinerie et aux produits de beauté? Pour paraphraser Honoré lui-même, le monde des affaires est une lyre qui ne livre ses secrets qu’à celui qui sait en jouer…
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