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Pour Diane von Furstenberg, « vieillir signifie que l’on a vécu »

Lotte Philipsen

A l’occasion de la sortie du documentaire Woman in Charge, nous nous sommes entretenus avec Diane von Furstenberg. Comment l’icône de la mode née à Bruxelles il y a 77 ans regarde-t-elle sa vie fascinante et souvent mouvementée?

Faire parler Diane von Furstenberg n’est pas une mince affaire. Pour une femme qui dit vivre « l’hiver de sa vie », son emploi du temps est très chargé. Lorsque nous parvenons à lui parler après plusieurs tentatives, elle vient d’arriver à Venise, sa deuxième maison.

« Qu’avez-vous pensé du documentaire? » nous demande-t-elle en guise d’introduction. Diane von Furstenberg a l’esprit affûté et prend immédiatement le lead de la conversation. Un trait que l’on retrouve dans le documentaire Diane von Furstenberg : Woman in Charge, disponible à partir du 25 juin sur Disney +.

Le film montre l’icône de la mode sous toutes ses facettes. On y voit DvF en tant que fille de Lily, survivante de l’Holocauste, mais aussi en princesse fêtarde aux côtés de son premier mari, le prince Egon, ou en féministe dans un monde d’hommes.

La Belgique est également présente dans le film. Le spectateur la suit alors qu’elle assiste à l’inauguration de l’exposition La femme avant la mode au Musée de la mode et de la dentelle de Bruxelles en avril de l’année dernière. Pendant ce dernier séjour à Bruxelles, elle a visité le Lycée Dachsbeck, l’école de son enfance, et la caserne Dossin à Malines, d’où sa mère a été déportée à Auschwitz.

Diane l’oracle

Le documentaire montre à la fois les succès et les moments plus difficiles de la vie de DvF, dans la débauche des années 60 et 70 puis la crise du SIDA dans les années 80. Outre Diane elle-même, qui ne mâche pas ses mots, ses enfants et des amis célèbres tels qu’Oprah Winfrey et Hillary Clinton sont également présentés.

« Les réalisateurs ne montrent pas une version policée ou sentimentale de la vie de Diane. Cette franchise rend le documentaire plus captivant que les quelconques biographies des personnalité », répondons-nous à sa question. Une réponse satisfaisante, acquiesce Diane von Furstenberg. C’est d’ailleurs l’un des nombreux conseils qu’elle donnera au cours de l’interview: « Soyez toujours honnête ».

Interviewer Diane von Furstenberg ressemble finalement davantage à la consultation d’un oracle qu’à une interview. La sagesse de la vie roule doucement sur la langue de la septuagénaire.

Le documentaire a été réalisé par Sharmeen Obaid-Chinoy, lauréate d’un Oscar, et Trish Dalton. Comment s’est déroulée cette collaboration et comment avez-vous vécu le tournage ?

« Je connaissais Sharmeen depuis un certain temps et j’admirais énormément son travail. Je ne souhaitais pas réaliser un documentaire sur ma propre vie, mais je préférais faire un film avec Sharmeen sur les femmes que j’aide avec les DVF Awards. Malheureusement, aucune chaîne n’était enthousiaste pour ce projet.

Finalement, j’ai accepté la biographie et j’ai laissé Sharmeen et Trish totalement libres de leurs choix créatifs. Tout ce que j’ai fait, c’est les mettre en contact avec ma famille et mes amis. Je ne suis pas productrice et je ne me suis pas impliquée dans le processus. Je ne suis que le sujet du film.

Depuis, j’ai vu le documentaire deux fois. La première fois n’a pas été une expérience agréable. Je me suis dit: « Pourquoi ai-je accepté de faire une biographie ? » La deuxième fois, en présence de mon fils Alexander et de mon mari Barry, j’ai pu apprécier le film. Il est très intéressant de se voir à travers les yeux des autres. Le plus important pour moi est de déclencher quelque chose de positif. Si les spectateurs trouvent l’histoire de ma vie inspirante et en retirent quelque chose, alors c’est un film utile ».

Dans le documentaire, nous voyons les hauts et les bas de votre vie personnelle et de votre carrière. Auriez-vous fait des choix différents maintenant que vous avez du recul ?

« Non, absolument pas. J’ai eu une vie bien remplie. On ne choisit pas où l’on naît ni nos parents. Lorsque vous commencez votre vie, vous ne savez pas quelle sera votre destination. Ce que l’on peut choisir, c’est la façon dont on gère les cartes que l’on a reçues.

Très jeune, j’ai découvert que l’honnêteté est ce qui dure le plus longtemps. Si vous savez qui vous êtes et que vous essayez d’être authentiquement vous-même, vous êtes libre. Ainsi, vous n’aurez pas d’ennuis. Je suis maintenant une vieille femme, à l’hiver de ma vie, et je peux dire avec conviction que l’on ne regrette que les choses que l’on n’a pas faites. Ce que l’on a fait, on ne le regrette jamais ».

Le titre du documentaire, « Woman in charge », est votre devise personnelle. Qu’est-ce que cela signifie?

« Prendre sa vie en main, c’est d’abord et avant tout une promesse faite à soi-même. La première étape consiste à découvrir que c’est soi-même qui est aux commandes. J’en ai pris conscience lorsque j’étais jeune fille. Je me regardais souvent dans le miroir de la chambre de ma mère. Je n’aimais pas ce que je voyais, parce qu’en Belgique, tout le monde était blond avec des cheveux raides et moi j’avais des cheveux foncés et bouclés. Mais si je bougeais, la personne dans le miroir bougeait aussi. Si je souriais, mon reflet souriait à son tour. J’ai alors réalisé à quel point je pouvais contrôler cette fille dans le miroir. C’était une découverte importante.

Prendre les choses en main ne signifie pas être agressif, mais s’accepter. Vous acceptez vos imperfections et comprenez qu’elles peuvent devenir vos forces. Vous acceptez votre vulnérabilité et la transformez en force. Bien sûr, il m’arrive aussi de me réveiller et d’avoir l’impression d’être un échec total. Mais je me relève et je continue.

La relation la plus importante est celle que vous entretenez avec vous-même, car vous connaissez tous vos secrets. Je me perds si je ne passe pas assez de temps seule. L’amour de soi est important, mais si on s’aime, il faut aussi oser être strict avec soi-même. »

Nous devrions donc être à la fois stricts et indulgents avec nous-mêmes ?

« En effet, l’un n’exclut pas l’autre. Remettez-vous en question et soyez honnête. Ce n’est pas simple, être honnête avec soi-même demande du travail. Il faut s’aimer, mais pour s’aimer, il faut être quelqu’un de bien.

Une fois que vous vous êtes accepté vous-même, vous pouvez aussi aider les autres. Veillez à profiter de votre vie tout en étant gentil. Je n’ai découvert le véritable pouvoir de la gentillesse que plus tard dans ma vie. Pendant longtemps, j’ai pensé que je devais être surtout indépendante et forte, mais la gentillesse est presque une astuce. C’est une bonne chose parce que c’est une vertu, mais c’est aussi un outil qui permet de rendre la vie plus facile.

Chaque matin, j’essaie d’accomplir un miracle en mettant quelqu’un en contact avec une autre personne qu’il n’aurait jamais rencontrée autrement. J’assure cette connexion en utilisant le courrier électronique pour présenter les personnes que je souhaite mettre en relation de la meilleure façon possible. Et en fin de compte, cette bonne action me revient aussi. La gentillesse est une forme de monnaie, elle est très précieuse ».

« L’âge, c’est avoir vécu », rappelle le documentaire. Vous n’avez pas peur de vieillir ?

« Absolument pas. Jeune fille, j’étais attirée par les femmes qui avaient des visages comme celui de Jeanne Moreau. J’ai toujours aimé les visages de caractère. Je n’ai jamais compris en quoi vieillir était un problème, car vieillir signifie que l’on a vécu. J’accepte mes rides parce que je ne veux rien effacer de ma vie. Mes rides sont comme la carte de ma vie.

Il m’est arrivé tellement de choses quand j’étais jeune que j’ai cru que je mourrais prématurément. Je disais à mes enfants : « Vous devez être responsables, car il pourrait m’arriver quelque chose et je ne serai plus là ». La conscience que je pouvais mourir à tout moment a toujours fait partie de moi. Peut-être parce que je n’aime pas les surprises. Je préférais y penser, mais sans crainte. C’est quelque chose qui finit par arriver à tout le monde ».

Votre mère joue un rôle important dans le documentaire

« Le documentaire est un hommage à ma mère. C’est une ode à sa volonté de vivre. Elle a survécu à l’Holocauste et cela l’a marquée. Elle ne pesait presque plus rien après Auschwitz et le médecin lui avait dit qu’elle ne pourrait pas avoir d’enfants pendant les premières années. Le fait que je sois née est donc un miracle. Elle m’a appris à vivre et à être responsable de moi-même. Elle voulait que je ne me considère jamais comme une victime et m’a fait comprendre que la peur n’était pas une option. Je lui en suis très reconnaissante ».

Le sexisme est un problème notoire dans l’industrie de la mode. Pourtant, vous affirmez que vous n’en avez jamais été victime

Si j’ai connu le sexisme? Oui, bien sûr. Des gens se sont mal comportés et ont essayé de m’intimider, mais je ne leur ai jamais donné le plaisir de montrer quoi que ce soit. J’ai également eu la chance de toujours travailler pour moi-même. J’étais mon propre patron. Ce n’est qu’au début de ma carrière que j’ai travaillé sous les ordres de quelqu’un.

Lorsque l’on m’a manqué de respect en tant que femme, je ne me suis jamais présentée comme une victime. Je ne leur ai pas montré que j’étais blessée. Je ne leur donne pas ce plaisir. C’est leur problème s’ils veulent se comporter ainsi, pas le mien ».

C’est en 1974 que la robe portefeuille a vu le jour. Elle fête donc cette année son 50e anniversaire. Comment cette robe a-t-elle vu le jour?

J’ai créé la robe portefeuille, mais en fait, c’est la robe portefeuille qui m’a créée. Grâce à elle, j’ai pris confiance en moi, j’ai réussi et je suis devenue financièrement indépendante. La robe m’a donc donné beaucoup plus que je ne lui ai donné.

Lorsque j’avais une vingtaine d’années, j’ai travaillé pour un fabricant de textiles. Il m’a enseigné tout ce qu’il savait. J’ai travaillé avec des artisans en Italie, où le coloriste était souvent formé de génération en génération. Je n’aurais jamais pensé que ces connaissances me seraient utiles, mais elles allaient constituer la base de ma marque de mode.

Lorsque le fabricant a eu besoin de plus d’espace, il a acheté l’usine voisine. Nous avons découvert un grand nombre de machines à tricoter abandonnées. Elles avaient été utilisées dans le passé pour fabriquer des bas, mais avec l’avènement des collants, la demande de bas a disparu et l’usine a fait faillite.

Mon employeur a donc acheté l’usine pour l’espace, mais il a décidé d’essayer les machines à tricoter avec des fils plus épais. Cela a permis de créer un tissu en jersey de qualité. Nous avons imprimé le tissu pour fabriquer des tee-shirts et des polos. J’ai commencé à expérimenter des modèles et j’ai imaginé un ensemble composé d’un haut, inspiré du cache-cœur porté par les ballerines, et d’une jupe ou d’un pantalon assorti. C’est ainsi qu’est née la robe portefeuille ».

Qu’est-ce qui explique le succès de cette création?

Le design semble simple, mais dans les détails, on remarque l’influence de l’artisanat traditionnel italien. La combinaison du jersey confortable, qui épouse les formes du corps, et des imprimés naturels rend la robe populaire.

Lorsqu’une femme enfile la robe portefeuille, son langage corporel change. La coupe est très flatteuse, la femme se sent à l’aise, reçoit de nombreux compliments et la robe devient sa préférée. Cette création m’a permis de réussir. Et à l’époque, plus je me sentais sûre de moi, plus je vendais de la confiance en moi par le biais de cette robe.

J’ai développé cette pièce dans les années 70 et, comme les années 30, c’est une période qui ne se démode jamais. Il est frappant de constater que tous les 20 ans, une nouvelle et jeune génération redécouvre la robe. C’est un modèle intemporel que l’on peut continuer à porter. Cela me plaît, car je déteste le gaspillage et la pollution. Les tissus que j’utilise sont d’une telle qualité qu’ils conservent leur valeur même d’occasion (via la plateforme ReWrap, les fans peuvent acheter et vendre des robes DVF d’occasion, ndlr)« .

Portez-vous souvent la robe portefeuille vous-même?

Personnellement, je trouve que la robe portefeuille ne me va pas très bien parce que je n’ai pas la taille fine. Je porte plus souvent les robes-chemises de mes collections, dans le même tissu.

La pandémie n’a pas été une bonne nouvelle pour votre marque de mode. Une grande partie du personnel a été licenciée et il ne reste plus qu’une seule boutique aux États-Unis, celle du Meatpacking District de New York. Quel est l’avenir de la marque DvF?

La marque est aujourd’hui plus petite que jamais. Après le Covid, j’ai confié les opérations à mon distributeur chinois, car j’ai 59 boutiques en Chine et c’était plus pratique. Entre-temps, j’ai réalisé qu’en tant que propriétaire d’une marque, vous ne pouvez pas renoncer à la conception et au contrôle de la marque, et je suis donc en train de la ramener à moi. À mon âge, je ne m’attendais pas à recommencer. Il y a eu des jours où j’étais découragée, mais je n’abandonne pas.

Je fais le point sur nos nombreuses archives et sur l’ADN de la marque, car nous avons notre propre vocabulaire. Actuellement, je me concentre sur ce point afin que la marque puisse continuer à vivre selon ses valeurs originales et authentiques.

Vous siégez au conseil d’administration de Vital Voices, soutenez les femmes avec les DVF Awards et travaillez pour toutes sortes d’initiatives et œuvres de bienfaisance. En tant que célébrité et philanthrope, comment gérez-vous les temps difficiles que nous vivons ?

Nous vivons une période très troublante. Je crois en la paix et je suis très opposée à la violence et aux conflits. Les guerres me choquent parce que c’est un business. Il faut vraiment les considérer comme une industrie. Cette connaissance m’exaspère. Plus j’en sais sur le sujet, mieux je le comprends et plus cela me met en colère.

Nous sommes tous responsables. Nous devrions essayer de faire tout ce qui est en notre pouvoir, même si ce n’est qu’à petite échelle, pour chercher la lumière et la répandre. En fin de compte, c’est toujours la lumière qui dissipe les ténèbres. Si vous vous sentez dépassé, allez à l’essentiel : restez fidèle à vous-même et faites ce que vous pouvez, à votre manière.

Sharmeen, la réalisatrice du documentaire, est une musulmane pratiquante du Pakistan, et je suis une femme juive non pratiquante. Il est important de montrer que nous avons beaucoup plus en commun que ce qui nous sépare. Choisissez la connexion et la paix plutôt que la guerre et la terreur ».

Diane von Furstenberg: Woman in Charge, réalisé par Sharmeen Obaid-Chinoy et Trish Dalton et produit par Fabiola Beracasa Beckman. Disponible à partir du 25 juin via Disney +.

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