Enquête : Qui achète la mode belge ?

Collection automne hiver 2016-2017 du label belge Rue Blanche © DR

Noyés entre les multinationales et les e-boutiques, les Belges ont tendance à bouder les labels du pays. Des enseignes qui ont pourtant besoin d’eux, comme le révèle l’enquête réalisée par Le Vif Weekend en collaboration avec le site Vente-Exclusive.

De la planète mode belge, on ne cite souvent que les grands : Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Martin Margiela, Edouard Vermeulen… Ceux qui défilent à Paris, dirigent les prestigieuses maisons et habillent les stars. Notre industrie fashion ne se résume pourtant pas à ces noms sertis de paillettes. Des dizaines de marques de prêt-à-porter plus commerciales, parfois qualifiées de  » moyen de gamme « , tirent leur épingle du jeu, dans un climat économique pourtant défavorable. Xandres, Essentiel, Bellerose, Rue Blanche… continuent d’enregistrer des ventes satisfaisantes, là où d’autres ont déclaré faillite, à l’instar de Mer du Nord, en 2014, ou de Talking French, en 2015.

 » Globalement, le secteur souffre, confirme Elke Timmerman, Fashion Coordinator au MAD, centre de la mode et du design bruxellois. La crise a d’abord concerné les créateurs indépendants et elle touche aujourd’hui le moyen de gamme.  »  » Le commerce de détail a enregistré des ventes stables en 2015, mais le chiffre d’affaires est en baisse depuis 2016 « , confirme Annemie Van Gramberen, conseillère aux affaires internationales et économiques chez Crea Moda, association des entreprises de la mode, de l’habillement et de la confection. Du côté de la production, les résultats sont sensiblement identiques.  » Le chiffre d’affaires a augmenté d’environ 6 % l’an dernier, mais c’est surtout dû aux exportations, représentant deux tiers du montant. Depuis la mi-2015, les ventes suivent une courbe descendante.  » La météo douce et les attentats qui ont mis un coup au moral expliquent en partie la baisse enregistrée l’hiver dernier. S’ajoutent à cela la suprématie des chaînes, comme Zara, qui ne cessent de s’étendre, et la multiplication des e-commerces où l’on remplit son panier sans regarder l’origine de la marchandise.

Mais le consommateur connaît-il les enseignes belges et peut-il les distinguer des étrangères ? Pour saisir le lien qu’entretiennent nos compatriotes avec la mode de chez eux, Le Vif Weekend a mené l’enquête, en collaboration avec l’e-store Vente-Exclusive, qui affiche un intérêt croissant pour le  » made in Belgium « .  » Entre 2014 et 2015, le nombre de marques belges représentées sur le site a fait un bon de 56 % « , précise Peter Burin, responsable communication. 1681 Belges ont participé à cette enquête, dont 87 % de femmes et 52 % de francophones. Focus sur les chiffres forts qui s’en dégagent.

La loi du marché

Alors, elle est passée où, cette fameuse patte belge ? « Les marques moyen de gamme s’inspirent davantage du prêt-à-porter scandinave ou américain, que des designers belges, explique Emmanuel Laurent, photographe et professeur à La Cambre mode(s). Leurs stylistes ont tellement de cahiers des charges à respecter, pour que le produit ne soit pas trop cher et qu’il plaise à la cliente, que la patte belge est gommée. Cette identité, c’est le côté brut, le parti pris, le grain de folie, qu’on retrouve chez les grands noms. Pour vendre, les marques commerciales misent sur des pièces moins dark, plus mainstream. »

« La priorité de nos stylistes n’est pas de « faire belge », confirme Isabelle Santens, CEO du groupe Andres (Xandres, Hampton Bays). On ne pense pas tissu belge, mais tissu de qualité, qu’il vienne d’Italie ou de France… Ce qui ne nous empêche pas d’être extrêmement fiers de nos origines et heureux que Xandres évoque la belgitude. » Même son de cloche dans les bureaux de Caroline Biss. « Notre but, c’est d’être connu, précise Ann-Christine Bouckaert, à la tête de la maison flamande. On veut autant faire découvrir notre style, notre univers, notre gamme de prix que notre origine. »

Entre 300 et 500 euros

C’est le prix moyen que consacrent les sondés à leur budget vêtements et accessoires, au cours d’un semestre. Ce qui correspond à une dépense mensuelle de 67 euros. De manière globale, les fashionistos du Nord ont un budget fringues légèrement plus élevé que ceux du Sud. Quand ils achètent en ligne ou en magasins, le prix fait justement office de critère numéro un pour la grande majorité des clients (71 %). Ce qui prime, c’est de savoir « combien ça coûte », avant de se demander si le modèle plaît (64 %) et de se pencher sur sa matière (40 %). Le nom du designer et la « branchitude » du vêtement n’ont finalement que peu d’importance…

0,4 %

Là où tous s’accordent, c’est sur l’anti-sex-appeal des créations du plat pays. Seul 0,4 % des consommateurs les disent sexy. Rien d’étonnant, selon Emmanuel Laurent. « Ce côté-là n’est pas du tout assumé chez nous. Vous pouvez toujours chercher les décolletés, il n’y en a pas. Mais ce n’est pas non plus ce qui est recherché. » « La femme belge est discrète, confirme Isabelle Santens, CEO du groupe Andres. Elle aime la sobriété, la simplicité, certainement pas ce qui est bling-bling, bariolé ou provocateur. »

Caroline Biss

Enquête : Qui achète la mode belge ?
© SDP

« Définir la mode belge en quelques qualificatifs est difficile. Le marché intérieur est très petit, donc la compétitivité entre les marques est importante ; ce qui implique que chacune essaye de définir sa signature (la féminité, par exemple, chez Caroline Biss) et sa cible. Le facteur commun, c’est sans doute la qualité. Pour un petit pays, je trouve qu’on a de bonnes maisons, tout à fait différentes les unes des autres, mais c’est une industrie de qualité qui commence à rayonner à l’étranger. »

Ann-Christine Bouckaert, directrice de la maison Caroline Biss.

Andres (Xandres, Hampton Bays)
Isabelle Santes.
Isabelle Santes.© SDP

« La mode belge, c’est d’abord l’attention dédiée au produit et à sa qualité. Nos créateurs partent de ce dernier, puis l’histoire et le marketing se dessinent autour. Dans le cas des marques américaines, la grande histoire compte parfois plus que le vêtement. La mode belge, c’est aussi le souci du détail ; le produit est parfaitement étudié et fini, de l’intérieur à l’extérieur, jusqu’aux boutons. »

Isabelle Santes, CEO du groupe Andres (Xandres, Hampton Bays).

67.5 %

C’est le nombre de consommateurs qui disent acheter  » parfois » des marques de chez nous, tandis que 2,5 % ne le font jamais. Les 30 % restants ? Ce sont ceux qui ne savent pas. Qui sont incapables de distinguer si ce qu’ils shoppent est un produit national. Preuve en est, cette liste non exhaustive de marques, dont les répondants devaient indiquer s’ils étaient belges ou non. Xandres ? Ça l’est pour 49,5 % des sondés. Essentiel, Terre Bleue et Caroline Biss aussi (respectivement 47,5, 42 et 35 %). Outre ce quatuor de tête, la question sème le flou. Bellerose, Rue Blanche, Gigue… n’évoquent la belgitude qu’à moins d’un tiers du panel. A l’inverse, nombre de personnes identifient parfois comme d’ici des marques venues d’ailleurs. Scapa (made in Scotland) est belge aux yeux d’un quart des acheteurs. Esprit et IKKS (labels français) également pour 19 et 13,5 % d’entre eux.

Pas si prêt à porter

Enquête : Qui achète la mode belge ?
© DR

A la question « Comment qualifiez-vous les marques belges ? », les avis divergent du Nord au Sud. 71 % des consommateurs néerlandophones les jugent qualitatives (contre 39 % des Wallons et Bruxellois), là où 57 % des francophones les décrivent comme créatives (contre 27 % des Flamands). Grand écart. Côté style, les opinions varient également : 28 % des clients néerlandophones qualifient la mode belge de portable, contre seulement 12,6 % de francophones.

Éco-responsable ?

Seuls 19 % des interrogés qualifient la mode belge de durable. Si elle est éthique ? C’est non, pour 93 % d’entre eux. « Mais il ne faut pas confondre « éthique » et « produit ici », nuance Elke Timmerman, Fashion Coordinator au MAD. Réaliser 100 % de ses collections sur le territoire relève presque de l’utopie. Créer et imaginer une pièce dans notre pays et la fabriquer en partie ailleurs est plus réaliste. »

Acheter belge n’implique donc pas forcément de se focaliser sur le « made in Belgium », au sens littéral du terme. C’est faire confiance aux maisons, à leur tradition, à leur savoir-faire… Et pour souligner ce dernier et inciter les fans de shopping à pousser la porte des boutiques de chez nous, il y a un constant travail de promotion à réaliser. En Flandre, le site « Ik koop belgisch » recense tous les labels qui imaginent leurs collections ici, du petit créateur au designer étoilé. Et des stickers flanqués du même baseline fleurissent petit à petit sur les devantures des boutiques. Géniale initiative qui n’existe cependant pas du côté bruxellois et wallon. « Affaire en cours », précise encore Elke Timmerman.

Par Lauranne Lahaye

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