Entre shows grandioses, blagues salaces et stars de la K-pop, retour sur la Fashion Week Homme
La mode masculine change de cap pour l’hiver prochain : elle sera à nouveau plus conservatrice, plus calme, dominée par le noir et le beige. Toutefois le cirque des fashion weeks était plus chaotique et bruyant que jamais.
Avec la pandémie sous contrôle et la Chine qui ouvre à nouveau grand ses portes, une vague de changement déferle sur le monde de la mode.
Au moment d’écrire ces lignes, Gucci n’avait pas encore nommé de successeur à Alessandro Michele, son ancien directeur artistique, et le poste de feu Virgil Abloh restait vacant chez Louis Vuitton.
Cette panne de créativité à la tête de deux des plus grandes maisons de luxe du monde a de quoi effrayer les actionnaires. Mais pour le public, les prochains mois s’annoncent palpitants. Pour la première fois depuis des années, Gucci a ouvert la Fashion Week de Milan, sans Alessandro Michele.
La marque avait été sommée de changer de cap, en proposant des produits plus traditionnels, et en abandonnant un peu de sa folie. Pour continuer à se développer, le label a dû devenir plus exclusif et commercial à la fois. Une stratégie mise en place avec un certain manque de vision et de caractère. Fini les interminables traités philosophiques de Michele, sa passion pour Donald Duck, les paillettes et les tenues d’Elton John dans les seventies. Aujourd’hui, Gucci est une marque de luxe comme les autres. Des vêtements désirables, bien sûr, mais qui pourraient tout aussi bien sortir des ateliers de Celine ou de Dries Van Noten.
Simple réductionnisme
Prada suit également une stratégie bien définie. Il fut un temps où chaque collection de la maison italienne était à l’opposé de la précédente. Dorénavant, chaque nouvelle sortie semble être version revue et corrigé de la précédente. Dans leur communiqué de presse, Miuccia Prada et Raf Simons ont parlé « d’une exploration plus poussée des fondamentaux de la mode » et de « réductionnisme et de simplisme ». Résultat : un défilé de types en costumes étroits et minimalistes, aux cols amples, portés sur des torses nus, et accompagnés de techno envoûtante dans un décor fantastique et dépouillé où toute l’attention est attirée par le plafond qui s’élève doucement, agrémenté de quelques lustres.
D’autres marques italiennes classiques ont adopté le « back to basics » pour cette saison, de Brioni à Tod’s en passant par Canali, qui nous projette en 2007, c’est-à-dire juste avant que presque toutes les maisons traditionnelles ne se lancent dans une opération de rajeunissement, en faisant appel à Metallica pour une campagne publicitaire comme Brioni, par exemple. Les « basics » de ces marques sont des costumes classiques et des manteaux d’hiver beiges. Dans cette catégorie, seul Zegna, et son directeur artistique Alessandro Sartori, propose vision progressiste de la mode de luxe.
Cependant, retour aux sources ne rime pas spécialement avec déprime. Comme la saison dernière, Dolce e Gabbana a mis à l’honneur ses débuts, sérieux, noirs et résolument siciliens, mais en même temps profondément sexy, avec quelques reprises de leur collection hiver 1999. Silhouettes exagérées et corsets au rendez-vous. « Le noir représente la réserve, l’élégance, le sérieux et la séduction », ont expliqué les créateurs. Leur défilé était un moment fort inattendu à Milan.
Et puis il y a eu Dsquared2, pour qui le temps semble s’être arrêté depuis 20 ans. Ici, aucune trace de « réductionnisme ». Comme à leur habitude, les jumeaux canadiens Dean et Dan Caten ont joué sur les clichés sexy de la mode masculine (« C’est un garçon ! » imprimé en grand sur un t-shirt), avec comme seule petite folie pour 2023 une pièce de lingerie ici et là. So 2000 !
Vraiment super?
À Paris, le spectacle a primé les collections, parfois au détriment de celles-ci.
Impossible de savoir où donner de la tête au défilé Louis Vuitton. Sur le podium quelque peu complexe, peut-être : une rangée de chambres de garçons mal rangées travers lesquelles les mannequins zigzaguaient, s’emparant de temps en temps d’un ours en peluche pour en disposer par la suite. Ou alors fallait-il regarder le mur de l’auditorium construit pour l’occasion dans une cour du Louvre, sur lequel était projeté un film du réalisateur culte Michel Gondry. Ou encore la voiture vintage jaune vif à l’autre bout de la salle qui servait de scène au phénomène espagnol à succès Rosalìa. Et comment ne pas être captivé par Rosalìa ?
Une partie de la collection a été conçue par le jeune designer américain Colm Dilane, qui a récemment attiré l’attention avec son label KidSuper. Intégrera-t-il bientôt la maison de façon permanente ? C’est possible, mais en même temps peu probable. Virgil Abloh, dont il occupe temporairement la place vacante, était l’exemple parfait de l’outsider rêveur qui, à la surprise générale (et à la sienne), a fini dans les plus hautes sphères de l’industrie du luxe. Mais Virgil Abloh avait déjà son propre label à succès, Off-White, et en tant qu’homme noir dans un secteur du luxe majoritairement blanc, son parcours également plus porteur de sens. À ce stade de sa carrière, Colm Dilane n’a fait preuve que d’un talent inné pour l’autopromotion. Peut-être cela suffira-t-il, à la Kardashian.
Pour le défilé KidSuper, deux jours plus tard, Colm Dilane avait invité une poignée d’humoristes américains (Jeff Ross, Stavros Halkias et Andrew Schultz), et tous ceux qui voulaient venir, ce qui a donné lieu à des scènes chaotiques devant l’entrée du théâtre. La soirée a été animée par Tyra Banks. Les blagues salaces ont fusé à foison. Tyra Banks et les humoristes étaient vêtus en KidSuper, mais une fois encore, les créations n’étaient pas la pièce maîtresse, s’effaçant derrière le divertissement.
Marine Serre, créatrice de talent dont on pourrait penser qu’elle est fière de son travail, et à raison, a organisé son défilé dans la pénombre, entrecoupée d’effets flash qui ont fini par me donner la nausée. J’ai gardé les yeux fermés presque tout le temps, ne voyant presque rien (la chanteuse Yseult a défilé, chouette, avec la légendaire Kristina De Coninck, cool aussi).
Passons à Ami, pour qui Charlotte Rampling a défilé sur la scène de l’Opéra Bastille parfaitement éclairée. Ou encore à Dries Van Noten, qui a fait lever son public pour un spectacle à l’ambiance avant-gardiste avec une performance live de Lander & Adriaan. Ou aux minuscules débuts sur les podiums d’AIREI de Los Angeles, de Jeanne Friot de Paris, de Liberal Youth Ministry de Guadalajara, ou de Namesake de Taipei. Ou à Rick Owens, qui a prouvé une fois de plus qu’un « grand » défilé peut aussi être intime.
La première vraie fashion week depuis des années touche à sa fin. De toutes les bonnes résolutions adoptées pendant la pandémie, il ne reste rien. La mode, elle, était souvent sobre, plus minimaliste qu’avant. Mais tout le cirque qui l’entoure était plus assourdissant que jamais : le vacarme des grands défilés, les influenceurs aux tenues quasi identiques, les célébrités entourées de gardes du corps, les fans hurlants derrière les barrières, les afterparties que la presse n’épargne jamais… De quoi en avoir la migraine, d’autant plus que nous avons rarement eu le temps de manger un repas décent.
Et pourtant, c’était mieux que de regarder des défilés numériques tout seul sur un ordinateur portable. Enfin, c’est ce que je me suis dit pour essayer de me convaincre un dimanche matin par moins cinq degrés, les doigts à moitié gelés, sur un banc dans un jardin devant le spectacle insensé de Doublet.
LE POUVOIR DE LA K-POP
Chez Dior à Paris, on sait se donner en spectacle. Le nouveau visage de la marque, Jimin du groupe sensation de la K-pop BTS, a fait son apparition devant des centaines de fans hurlants sur la place de la Concorde — mon « reel » de Jimin et de ses gardes du corps a engendré plus de quatre-vingt mille vues et 620 commentaires sur Instagram. Personne ne semblait s’intéresser à David Beckham, l’un des autres invités du défilé. La marque a même publié un communiqué sur l’arrivée de Jimin un jour plus tôt. Du presque jamais vu. Une star de la K-pop au premier rang apporte une visibilité considérable à une marque. Prada a donc invité le boysband Enhyphen à Milan, Kai d’EXO était au premier rang chez Gucci et J-Hope de BTS était invité chez Vuitton. Et chez Dior, où il a honoré ses fans de quelques pas de danse.
5 TENDANCES HOMME POUR L’HIVER PROCHAIN
1. Investir dans un manteau, long, tombant de préférence jusqu’aux chevilles, à porter torse nu. Glamour garanti, avec supplément grippe.
2. Fini la couleur : l’hiver est presque entièrement noir. Le beige dans toutes ses variantes est également autorisé. Et le beige combiné au noir, comme chez Hermès. Le jaune bouton d’or apparaît de temps en temps, comme chez Zegna.
3. La mode redevient plus conservatrice, tout en restant progressiste : nous avons vu beaucoup d’épaules dénudées, beaucoup de jupes (par exemple lors du défilé magistral de John Galliano pour Maison Margiela), et pas mal de lingerie, et de corsets.
4. Illuminez vos tenues avec des pierres et des cristaux étincelants, comme chez Dolce e Gabbana.
5. Les années 2000 s’effacent doucement, mais l’égérie de la saison est un clubkid italien un peu louche, comme chez Martine Rose ou Magliano.
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