Mathieu Nguyen

Fashion police: les chaussettes, anodin objet de débats et discorde…

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

Après la chanteuse Pomme ou l’illustrateur écossais David Shrigley, au tour d’Angèle de collaborer avec le « club de chaussettes » Socksial en créant une paire inédite, ornée d’un doigt d’honneur sur fond violet, la couleur des luttes féministes. Nul doute que cet « accessoire indispensable pour écraser le patriarcat » ne sera pas du goût de tous et qu’on trouvera rapidement quelqu’un pour juger que l’initiative se trompe de combat, dessert sa cause, et qu’en plus, un gros fuck, ce n’est tout de même pas très poli quand on est une jeune fille. Mais plutôt que de commenter des réactions si prévisibles – les rageux vont rager, quel scoop – on s’attardera un instant sur la chaussette comme outil de communication.

Et bien que l’exemple le plus récent soit sans doute celles de Kamala Harris, prophétisant « The future is female » sur TikTok en janvier dernier, le champion en la matière reste le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, qui en avait fait une signature il y a quelques années. A chacune de ses apparitions, les photographes se bousculaient, l’objectif rivé à l’ourlet de son pantalon, pour apercevoir quel motif allait surmonter ses chevilles de fringant quadragénaire. Et ces messages à visée plus ou moins politique, diffusés lors d’événements plus ou moins importants – Gay Pride, fin du Ramadan, Star Wars Day, forum de Davos ou sommet de l’Otan – furent qualifiés par la presse de « diplomatie de la chaussette ». Le beau Justin n’avait pas besoin de ça pour avoir les médias à ses pieds, et la portée réelle de sa petite manie s’avéra finalement assez limitée, mais on avait bien rigolé.

@meena

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? original sound – Meena Harris

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Tout cela aurait pu rester anecdotique si l’actualité ne nous avait pas appris qu’une certaine Natalia Sivtsova-Sedushkina s’était fait alpaguer dans une rue de Minsk par quatre individus cagoulés. Son crime? Porter des bas blancs à bandes rouges. Il paraîtrait d’ailleurs qu’elle n’est pas la seule à avoir connu telle mésaventure, à tel point que le fabricant des socquettes de la discorde a préféré retirer l’article de son catalogue; on n’est jamais trop prudent. A ceux qui se demandent pourquoi un choix de sous-vêtements embarrasse à tel point les autorités du pays, on proposera une réponse en deux temps. Premièrement, on a appris à ne plus s’étonner de rien quand il s’agit de la Biélorussie: on parle quand même d’un régime qui a déclaré illégal le fait d’applaudir en 2011, et n’a pas hésité à arrêter un manchot, dénommé Kanstantsin Kaplin, pour avoir dérogé à la règle – de son seul bras gauche, chapeau l’artiste.

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Ensuite, il faut savoir qu’à son arrivée au pouvoir – il y a déjà vingt-sept ans, que le temps file -, le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, avait mis un point d’honneur à restaurer le drapeau rouge et vert de l’ère soviétique, aux dépens de celui choisi après l’effondrement du Bloc de l’Est. Référence à l’éphémère République populaire de Biélorussie (1918-1919), cet étendard blanc-rouge-blanc est alors devenu le symbole des opposants de Loukachenko, qui ont pris l’habitude d’associer les deux teintes ou de manifester vêtus de blanc. Les plus pragmatiques d’entre nous imaginent peut-être que l’autocrate moustachu s’apprête à criminaliser le port de la couleur blanche ou son évocation – quitte à imposer son bon vouloir jusqu’à détourner des avions, autant y aller franco. Ça ne risque toutefois pas d’arriver: Biélorussie veut littéralement dire « Russie blanche », éliminer son albe préfixe renommerait donc le pays en « Russie ». Et ça, ça sonne encore pas mal pour évoquer une nation sous la poigne d’un leader doté d’une conception élastique de l’Etat de droit, mais pas de chance, c’est déjà pris.

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