Fashion Week de Milan: l’été 2020 se nourrit du passé
A bout de souffle, la Fashion Week Homme de Milan souffre de la concurrence de Paris mais aussi du salon Pitti Uomo qui célébre cette année ses 30 ans. Pour de nombreuses maisons, l’inspiration de l’été 2020 se nourrit du passé. Qu’il s’agisse de remettre au goût du jour des modèles iconiques sortis des archives ou de réveiller quelques fantômes mythiques.
C’est ce qui s’appelle avoir le nez creux: en faisant du hashtag #UseTheExisting (NDLR: utilise ce qui existe déjà) le mantra de la collection printemps-été 2020 de la ligne couture d’Ermenegildo Zegna XXX, Alessandro Sartori est parvenu à résumer en quelques mots l’esprit de la fashion week milanaise avant même qu’elle n’ait véritablement commencé. Une « semaine de la mode » ramassée sur trois jours et désertée par Prada – qui avait choisi cette saison de défiler en Chine – et par MSGM convié à Florence par les organisateurs du Pitti Uomo pour y célébrer son dixième anniversaire.
Consciente de l’urgence climatique, l’industrie de la mode, l’une des plus polluantes qui soit, s’interroge forcément sur sa survie, en particulier dans le luxe. Il a donc beaucoup été question de recyclage, qu’il s’agisse comme chez Zegna d’imaginer de nouveaux moyens de produire du tissu à partir de matériaux existants ou de remettre au goût du jour des modèles sortis des archives, en conférant ainsi à ces pièces un statut de « basiques » capables de traverser les époques et de s’affranchir aussi, dans une certaine mesure, de la versatilité même de la mode.
Plus que jamais cette année, Versace reste Versace, pourquoi bousculer les codes qui ont fait et font encore le succès d’une maison qui cherche avant tout à vendre du rêve? Chez Dolce & Gabbana, la marche arrière reste elle aussi enclenchée. Côté décor, l’univers rétro kitsch de colonies fantasmées a eu tôt fait d’instituer l’imprimé léopard déjà omniprésent la saison dernière au rang des inévitables de l’été 2020.
De jungle, il était aussi question chez Marni où les modèles semblaient célébrer le mariage improbable des garde-robes de Truman Capote et de Che Guevara. Chez Dsquared2, les jumeaux Dan et Dean Caten ont choisi de ressusciter le fantôme de Bruce Lee tandis que Missoni en appelait aux mânes de Serge Gainsbourg. La séquence émotion de la semaine est revenue au dernier empereur de la mode italienne, Giorgio Armani, spotté entouré d’athlètes olympiques et paralympiques à la fin du défilé Emporio Armani qui les avait vus s’emparer du podium comme ils le feront l’an prochain à Tokyo en total look Armani. Le maestro a également créé la surprise en ouvrant les portes de son palazzo situé en plein coeur de Milan lui qui a coutume de recevoir ses invités dans le décor minimaliste de son Teatro conçu par l’architecte japonais Tadao Ando, clôturant ainsi une fashion week qui ne restera pas dans les annales. Retour en images.
Ermenegildo Zegna XXX
C’est dans un ancien site sidérurgique à l’abandon qu’Alessandro Sartori a choisi d’installer son podium dans un quartier quasiment à l’abandon aux confins de la banlieue milanaise. Une friche en passe d’être bientôt réhabilitée et c’est cette résurrection annoncée que le créateur entendait célébrer. Cette philosophie est aussi la sienne lui qui tente à chaque étape du procédé de fabrication des collections du groupe d’appliquer autant que possible le recyclage sous toutes ses formes. Nul besoin de créer du neuf à partir de rien, mieux vaut bien souvent réinventer l’existant, en créant par exemple de nouveaux tissus à partir de rebuts, ce qui revient à se servir des techniques traditionnelles de l’industrie textile pour produire des vêtements high tech qui durent dans le temps. Sur le podium, la silhouette reste celle d’un homme jeune, urbain et ultraconnecté.
Dolce & Gabbana
C’est un cocktail sérieusement surdosé en notes tropicales que le duo a choisi de servir à ses invités, mêlant des références évidentes à l’esthétique d’après-guerre, en particulier les films américains tournés à Hawaï et dans lesquels figuraient Elvis, au come-back de pièces tirées des archives d’une maison pourtant née seulement dans les années 80. Encore fallait-il pouvoir repérer ces « classiques » dans un show de 120 silhouettes – un record pour un défilé uniquement dédié à la mode masculine. Toutes les marottes des deux hommes ont une fois de plus figuré au montage: les tops en tricots perforés, les « pyjamas » de jour en soie imprimée, les robes de chambre l’anglaise sans oublier l’imprimé animalier faisant d’ordinaire référence au Guépard de Visconti, héros récurrent de l’imaginaire des deux Siciliens. Ajoutez à cela une macédoine de fruits exotiques, pastèque, banane, ananas, en veux-tu en voilà, quelques pin-up comme on n’en voit plus que dans les shows burlesques et tout l’attirail de l’explorateur aguerri du temps où le soleil ne se couchait jamais sur les colonies de l’empire britannique. Tout cela au final sonnait plus nostalgique que véritablement moderne. Comme s’il fallait à tout prix s’évader d’un quotidien peut-être trop anxiogène.
Marni
Il flottait comme un parfum de guérilla tropicale sur le catwalk de Marni, avec au dessus de la tête des invités un filet de pêche rempli de déchets plastique, comme pour mieux leur donner la sensation d’être pris au piège d’un monde lancé sans frein vers sa propre perte. Pour Francesco Risso, il s’agissait de célébrer l’union hypothétique du Che et de Truman Capote, tous deux rebelles à leur manière, par le biais de leurs « uniformes », le costume de dandy pour l’un, celui de soldat pour l’autre. Quand ils ne portaient pas des bérets à la Guevara, les modèles arboraient d’extravagants chapeaux réalisés à partir de déchets par l’artiste Shalva Nikvashvili. Des broches signées Kazuma Nagai représentaient des animaux en mutation ou disparus comme le dodo à la tête flanquée d’un masque à gaz.
Versace
L’objectif de Donatella Versace est ambitieux: mettre les hommes en confiance tout en redessinant les contours de la masculinité contemporaine en misant pour ce faire sur une bonne dose d’ironie. C’est ce qui fait d’ailleurs tout le charme saison après saison des collections d’une maison qui ose sourire de ses propres gimmicks et de ses excès. C’est que chez Versace, l’over the top est un peu la norme, cela fait partie du jeu, changer la donne n’aurait aucun sens. Imprimés animaliers, vestes à double boutonnage « moit-moit », avec un côté noir uni et un autre en tissu Prince de Galle, tie-dye fluo, toute l’iconographie de Versace transpire l’énergie des années 1990. Les accessoires un jour culte de la griffe comme les lunettes Medusa Biggie deviennent des motifs sur des chemises en soie et des pantalons de survêtement. Les parfums emblématiques tout comme les éléments utilisés dans des publicité aujourd’hui vintage se retrouvent sur des pièces en jean. Il fallait bien sûr une collab’ arty, elle est signée Andy Dixon qui s’est penché sur les archives de la marque, la représentation du dieu Bacchus notamment, pour les réinterpréter à sa façon.
Philipp Plein
C’est aussi dans une friche industrielle à l’état brut que le créateur que le petit monde de la mode adore conspuer a célébré les 20 ans de son label dans une ambiance post-apocalyptique à la Mad Max. Pas de message écologique ici, que du contraire si l’on s’arrête à la quantité d’hydrocarbure gaspillée pour un show mettant en scène des monster trucks mutants et des gangs de motards en flammes. Un défilé co-ed de près de 100 looks truffés de têtes de mort, de pointes et de chaînes argentés comme à l’accoutumée mais aussi de références au groupe KISS dont le logo apparaissait un peu partout sur des tee-shirts, des costumes et des robes ultra-minis. Une collaboration qui tombe à pic pour le groupe en pleine tournée dans toute l’Europe.
Emporio Armani
Il y avait quelque chose d’onirique dans cette collection dont le mot glitter pourrait être le sous-titre. Le talent du maestro pour les vestes déstructurées qui ont fait sa réputation n’est une fois de plus pas démenti. Son art indéniable du tailoring faisant ici la part belle aux pantalons larges à pinces s’accommode de matières toutes plus légères les unes que les autres, l’organza, la soie et la viscose s’annonçant comme les héros de l’été.
Missoni
Serge Gainsbourg qui fut l’un des premiers à oser mêler formel et informel dans un esprit franchement bohème. Son style si personnel teinté d’irrévérence et faussement nonchalant ne cesse encore d’être envié au point d’infuser aujourd’hui le vestiaire de Missoni. Pour ce faire, la maison s’est tournée vers ses archives, rééditant ainsi un imprimé façon toile de Jouy. Le cardigan porté sur cette photo est une reproduction à l’identique d’un ancien modèle. Confectionné à la main, il ne sera édité qu’en 50 exemplaires numérotés. La marinière devient multicolore. Les pantalons à pinces s’élargissent. Les pièces polyvalentes se marient et s’entrechoquent, la marque n’a jamais eu de scrupules à accoupler des motifs un jour jugés inconciliables. Une audace qui paye jusque dans le choix des couleurs tout sauf timides flirtant avec le bleu de Prusse, le vert jungle et le jaune tournesol.
DSquared2
Les « combattants » de Dsquared2 sont des pacifistes de la culture pop, vêtus d’une garde-robe inspirée de la rencontre du kung-fu avec les films d’action hollywoodiens dans le cinéma américain et hongkongais des années 70. Les looks respirent la couleur et l’énergie de l’époque: les néons de Hong Kong et des imprimés géants – camouflage à rayures de tigre, chrysanthèmes surdimensionnés, singes et motifs orientaux – en mettent plein la vue et s’invitent sur des vestes longues de style kimono. Le boxer en soie s’impose comme l’une des pièces phares de la collection qu’il soit porté en short ou en sous-vêtement dépassant de la ceinture du pantalon. En filigrane, l’imagerie de Bruce Lee est omniprésente, ce n’est pas par hasard puisque la marque a signé une collaboration avec le Fondation qui porte son nom. Des affiches de films originales sont ainsi reproduites entre autre sur des tee-shirts.
Fendi
Le retour à cette nature en danger et pourtant essentielle à la survie et au bien-être de l’humanité était au coeur même du défilé dont le podium sillonnait les allées d’un jardin paradisiaque dont Milan l’urbaine du Nord a pourtant le secret. Cette saison, c’est avec le réalisateur Luca Guadagnino à qui l’on doit le sublime Call me By Your Name que Silvia Venturini Fendi a choisi de s’associer pour imaginer des imprimés baptisés « Botanics by Fendi » et distillé tant sur les vêtements que les accessoires. Ces dessins créés sur le set de Susperia apparaissent sur de longues chemises de soie qui se veulent un clin d’oeil à l’enfance du cinéaste en Ethiopie. La marque romaine s’est donnée pour mission de propulser les versions masculines de ses sacs iconiques comme le Peekaboo et le Baguette au rang de must have, d’autres grands noms du groupe LVMH lui ont d’ailleurs embrayé le pas depuis.
Giorgio Armani
Se remémorant l’été comme la saison de tous les possibles, Giorgio Armani propose une garde-robe libératrice où confort et élégance ne sont pas en contradiction. Les vestes, simples ou croisées, revoient leurs proportions et se parent de nouveaux cols. Les pantalons sont si fluides qu’ils paraissent oversize. Les chemises amples caressent le corps. Les matières sont si souples qu’on les dirait presque liquides. Les codes de l’Orient si chers à monsieur Armani se fondent dans ceux du vestiaire plus formel de l’homme moderne qui refait sien le gilet de son trois pièces parfois porté sous la veste ou plus nonchalamment à la place même d’un tee-shirt ou d’une chemise. La palette de couleurs, dense et veloutée, s’étend du café au gris en passant par les classiques bleus Armani illuminées par endroit de quelques touches de brillance.
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