« J’ai défilé pour Marine Serre, et j’ai kiffé », immersion en coulisses de la Fashion week
Le 4 mars dernier, à Paris, Marine Serre faisait défiler sa collection automne-hiver 24 titrée Ground control. J’y étais. Mais pas dans l’assistance, comme journaliste. A son invitation, le temps d’un show, j’ai joué mannequin. Et j’ai kiffé.
L’invitation était tombée début février, à l’heure où toutes les maisons de mode entrent dans la dernière ligne droite avant la fashion week. Elle avait la forme d’un message tout simple, signé par le directeur de casting William Lhoest qui « aimerait savoir » si je pouvais me rendre « disponible éventuellement le 4 mars pour défiler pour Marine Serre ».
Je n’avais d’abord pas compris le sens exact de sa demande, je pensais, comme d’habitude, qu’il était question de faire mon taf de journaliste qui consiste à assister au show puis interviewer la créatrice en backstage et écrire sur elle, son travail, ses engagements – ce que je fais depuis ses tout débuts, en février 2018, et même avant puisque je l’ai vue grandir, encore étudiante au sein de la Cambre Mode(s) et y trouver son langage, radical et contemporain.
J’avais tout faux : il était question d’endosser une silhouette et d’arpenter le catwalk de sa collection automne-hiver 24 qu’elle allait présenter à Paris un petit mois plus tard. Je vous épargne mes doutes qui n’ont pas eu raison de l’envie irrépressible de tenter l’aventure. J’ai dit oui – vous auriez répondu non, vous ?
J’ai consciencieusement donné ma taille, ma pointure, j’ai été au fitting, au studio chez Marine Serre. Elle était calme ce jour-là, on était jeudi, le défilé lundi suivant. Epaulée par le styliste Benoît Bethume, elle avait décidé que je porterai le look 28, une robe longue en jersey python sur un top en dentelle, accessoirisés d’une chevalière et de boucles d’oreille lune, de lunettes aux verres jaunes et de deux sacs à porter crossover, en cuir embossé lune, nul n’ignore que le satellite de la Terre est son emblème de toujours.
J’avais enfilé le tout sur des boots chaussettes à petits talons, posé pour ma « fiche d’identité » qui servirait le jour du show, marché de long en large sous son regard qui scannait le moindre détail, elle avait souri, je faisais l’affaire.
D-Day
Le 4 mars, c’est le jour-J, rendez-vous à 9 heures, rue du Charolais dans le 12ème, dans un ancien hangar de trains de la SNCF, baptisé Ground control. Un endroit comme seul ce siècle qui se crashe en invente, un tiers-lieu hybride qui entend instaurer d’autres appropriations et partages de l’espace, selon le concept développé par Ray Oldenburg, le sociologue américain. On sait que dans ce genre de joyeux bazar les rites de sociabilités y sont les rois et les reines et que ces lieux de rencontres et d’échanges sont vitaux pour la société civile, la démocratie et l’engagement civique. A l’entrée, un grand tag annonce la couleur : « Ce qu’il nous faut ce sont des horizons alternatifs qui déclencheront l’imagination ». Que Marine Serre défile ici, ce n’est évidemment pas fortuit.
Sur la feuille de route, dans le jargon fashion on dit Call sheet models show FW24, quelques précisions que je me suis empressée de respecter – « Please don’t be late, the timing is very tight, no photos, videos, social media before the show, don’t wear make-up or nail polish ». Direction le dressing et l’espace hair&make-up, au fond du hangar. Mais d’abord traverser le décor pas encore tout à fait fini, il nous reste 4 heures avant le show. Le lieu a été pimpé, mieux, « Serrisé », avec un Café de Serre, un fleuriste Effet de Serre et même une PiSerria avec vraies pizzas et contenant au logo Lune noir sur fond blanc.
Au coeur de la ruche
On est dans une ruche, ça bourdonne, ça vibrionne, ça tourbillonne. Partout, sur les tables avec miroirs rétro éclairés, le matos nécessaire à l’équipe de coiffeurs et de maquilleurs, des brosses, des huiles, des sprays, des fonds de teint, des fards, des pinceaux maniés par la team du brillantissime coiffeur Ali Pirzadeh et par celle de la make-up artist Janeen Whiterspoon qui conjugue le talent avec une douceur maternelle – ça fait chaud au cœur, c’est ma première fois, ne l’oubliez pas.
Chez Marine Serre, le casting n’a jamais rien d’habituel : il élargit les horizons. Car sa tribu embrasse le genre humain dans toute ses singularités. Il y a là les amies de toujours, la famille, les filles de la rue. Ana vient de Zurich, elle est étudiante en archi, a les cheveux rose coupés au carré avec petite frange effilée un regard translucide qui va avec l’ensemble, elle a décroché ce premier show lors de casting « sauvage » proposé par Marine Serre via son Instagram, elle s’est présentée, sans douter, elle a été retenue, elle est ravie d’être là, elle n’est pas la seule.
Pause café avec Kate Moss, ou presque
Il fait un peu froid dans ce top en dentelle à peine réchauffé par le peignoir. On s’est retrouvée à la machine à café, aux côtés des mannequins Marie Sophie Wilson, Kina Vandevelde, Rose Van Bosstraeten, Tessa Dixon, Juliet Merie et Kristina De Coninck, fidèles d’entre les fidèles et amies forcément.
Kina est déjà fin prête, habillée de pied en cap, elle aime ce qu’elle porte et ne lâche plus son accessoire de défilé préféré, un LP avec pochette en carton et photo du visage de Marine très Maria Callas, au dos, la liste des morceaux qui composent ce disque d’avant le CD, de Radical call for love (FW17) à Heartbeat (SS24), soit toutes les bandes-son des défilés que fit la maison depuis ses débuts.
Denise se joint au petit groupe qui papote joyeusement, elle est la copie parfaite de Kate Moss, elle porte d’ailleurs le titre officiel de World’s N°1 Kate Moss Lookalike. Dans un anglais qui dit ses racines plantées à Liverpool, elle répète qu’elle est ravie, elle aussi, d’être ici, qu’elle n’est pas une supermodel, qu’elle trouve quelle marche comme une idiote, ça la fait sourire, « there is only one Kate Moss, I’m simply a stay-at-home mum, who happens to look like someone famous ».
Comme un moment suspendu
Il est 11 heures, voici venu le temps de la répétition, on marche entre les travées encore vides avec une instruction : vous faites votre marché, vous déambulez dans les allées et quand vous vous croisez, surtout ne vous ignorez pas. J’ai arpenté la salle trop vite, il me faudra ralentir.
Retour au dressing, habillage, re-make-up, re-coiffure, attente. On fait risette à la petite Kaya, 7 mois, que sa mère a glissée dans le porte-bébé siglé lunaire, elles défilent serrées collées, c’est le bébé le plus calme du monde, malgré la musique tonitruante qui tourne en boucle, l’excitation et le bruit et les gens qui semblent courir dans tous les sens, tout est pourtant codé, réglé, chacun.e a un but, la répartition des tâches est millimétrée.
Un show, c’est une mosaïque, un tas de petites briques, un patchwork fou mais quand tout soudain s’assemble, c’est le shot d’adrénaline. Dernière retouche cheveux, un coup de pinceau sur le front, des mots qui vous donneraient presque la foi : « You are Gorgeous ». Une nanoseconde, tout se fige et puis tout s’accélère, mais au ralenti. La fumée blanche qui lèche le sol me donne l’impression de marcher sur un nuage. Le public forme un halo de têtes, de jambes, de corps, impossible de reconnaître un visage, tout va si vite.
Retour en coulisses et puis finale, où l’on foule le catwalk dans un joyeux désordre, comme si on s’était retrouvées tout simplement, à la fin de nos emplettes, dans nos vêtements du quotidien, pensés par une femme pour les femmes en un réalisme féministe qui fait du bien. J’ai vu les spectateurs applaudir, à défaut de les entendre, trop d’émotion. Et j’ai vu les sourires, comme en miroir, qui disaient le beau moment qui nous fut donné de vivre.
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