Créer, même si ça dérange: retour sur le 37e Festival d’Hyères et ses lauréat·e·s

La jeune créatrice Jenny Hytönen présente sa collection au Jury Mode du 37e FEstival international de mode, de photographie et d'accessoires à Hyères. Elle est la gagnante du Grand Prix Première Vision © Catwalk Pictures
Anne-Françoise Moyson

Le 37e Festival International de mode, de photographie et d’accessoires à Hyères couronne « le travail, la liberté, la bienveillance, la transmission de la création même quand elle est dérangeante ». C’est vital, dans ce monde dissonant.

 

C’est une présidente si profondément émue qui a pris la parole sous le soleil varois, à Hyères, pour clôturer la 37e édition du Festival international de mode, de photographie et d’accessoires. En ce dimanche full soleil, dans les jardins suspendus de la Villa Noailles, Pascale Mussard ouvrait la cérémonie de clôture dans un souffle tremblant. Derrière elle, sur fond de ciel bleu, se mouvant au vent léger, deux énormes poupées gonflables, les œuvres XXL pensées par Glenn Martens pour le défilé milanais de Diesel, dont il est le directeur artistique depuis 2 ans.

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Or, dans la nuit du 15 octobre, elles ont été vandalisées, lardées de coups de couteau, en un geste qui dit la rage de ses auteurs.

« Hier soir, nous avons eu une attaque », commence Pascale Mussard bien décidée à dénoncer la violence. Car cet acte de vandalisme contre la Villa Noailles, contre les œuvres de Glenn Martens, président du jury Mode de cette 37e édition est « une attaque contre les centres d’art, contre la grande famille des artistes, contre les acteurs du monde de la culture ».
Elle met les mots sur le l’urgence à ne rien lâcher, car il y a danger. Sans vouloir « plomber » cette remise des prix, elle rappelle combien il importe de chérir et protéger « le travail, la liberté, la bienveillance (et elle le répète, ce mot chargé), le goût de l’aventure, la transmission de la joie, de la création même quand elle est dérangeante. Il faudrait se souvenir que l’harmonie, la grâce sont un magnifique et unique bouclier dans un moment strié de dissonance partout dans le monde. Je vous remercie d’être là, j’espère sincèrement que vous avez vécu ces quatre jours comme l’affirmation d’un besoin d’inventer, d’étonner, d’innover, je tiens à remercier les finalistes qui ont une fois de plus créé des voies singulières, qui nous ont étonnés. Quoiqu’il arrive, tous sachez que vous avez été regardés, que vous avez été suivis et que vous avez tous gagnés. »

Concentré en un espace-temps intense, le Festival cartographie ce qui meut les jeunes créateurs de de mode, d’accessoires et les photographes réunis en une compétition de haut niveau.  Dans une ambiance décontractée, on y croise les membres des trois jurys, et leur président respectif, Glenn Martens, directeur artistique de Y/Project et de Diesel, Pierre Debusschere, artiste visuel et Aska Yamashita, directrice artistique de l’Atelier Montex, spécialisé dans la broderie. Son fondateur Jean-Pierre Blanc y convoque chaque année depuis 1986 « la joie, la force de la jeunesse et de la découverte ».

En mode artisanat

En mode, les collections de ces ex-étudiants venus de Finlande, d’Allemagne, de Belgique, de France ou du Brésil prennent à bras le corps les grandes thématiques qui innervent le monde d’aujourd’hui.

Il est question d’écoresponsabilité, mais ce n’est plus un argument, tant elle s’impose à eux comme une évidence, ils sont les enfants des crises climatiques.

Il est aussi beaucoup question d’introspection, de travail autour de la famille, des origines, des ascendances et de la transmission. On les interroge, on les triture, on les déteste, on les vénère, tout cela à la fois et puis on les régurgite en un acte parfois rebelle souvent cathartique, tel Valentin Lessner qui a fait de sa Bavière natale un terreau de créativité avec sa collection « Resurrectio (Ultra Ripam Alpina) ». 

« Resurretio (Ultra Ripam Alpina) par Valentin Lessner.

Et il est évidemment question d’artisanat: plus que jamais le geste, la main, le travail de la lenteur retrouvé durant les confinements remettent à l’honneur la valeur du temps passé à coudre, broder, embellir, tricoter, tisser, voire inventer sa propre matière première avec des tuyaux d’arrosage comme l’a fait Lora Sonney avec une grande fraîcheur pour sa collection « Soleil brûlant sous un orage aquarelle ».

« Soleil brûlant, sous un orage aquarelle » de Lora Sonney

L’artisanat est certes un choix, une volonté de se coltiner aux étoffes et à ce qui les compose mais c’est aussi une nécessité, voire une obligation pour ces designers à peine sortis d’un cursus scolaire qui, faute de moyens, bossent à moindre coût.
De même, l’upcycling, la chine acharnée, la collecte de pièces vintage et la récolte de tissus inusités et de deadstocks font partie de leur quotidien dès lors qu’il s’agit de trouver les matières premières qui forment l’ossature de leur collection. Ils s’en emparent alors pour mieux les manipuler, les détourner, les métisser, les réinventer.

« Unisex », la collection de Jenny Hytönen, la gagnante du Grand Prix Première Vision.
 

Jenny Hytönen remporte le Grand Prix du Jury Première Vision et le Prix du Public de la ville d’Hyères.
La jeune finlandaise est basée à Paris, travaille pour l’heure chez Olivier Theyskens et a été formée à l’Université Aalto à Helsinki. Elle a deux passions dans la vie: le BDSM et le tricot, annonce-t-elle d’emblée, avec un petit éclat dans le regard, qui illumine son visage de Madone.
Elle marie ainsi dans sa garde-robe des tricots extrêmement délicats à de lourdes pièces de cuir, s’inspirant de la vie et des œuvres de deux artistes qu’elle vénère, Atsuko Tanaka et Rebecca Horn.
Elle a donc passé des heures à tricoter le nylon comme les femmes de marins tricotaient les filets de pêche. Dessus, elle est venue apposer une à une des perles de verres, des cristaux, patiemment.

Cuir, clou, artisanat, par Jenny Hytönen et Maison Michel pour la coiffe, gagnante du Grand Prix Première Vision et du Prix du Public de la ville d’Hyères

Avec la même minutie, elle a travaillé de concert avec Maison Michel pour réaliser une cagoule punk qui forcément attire les regarde. Et pour venir contraster le tout, elle travaille le cuir, lourd et pesant qu’elle hérisse de vis et de boulons, comme autant de repoussoir à trop de douceur sans rien enlever à la poésie transparente de ses vêtements qui donnent à voir le dos, la naissance des fesses, le corps en entier et qui se portent sans limitation de genre.

Valentin Lessner repart avec deux statuettes en forme de palmier. Il emporte le Prix de la collection éco-responsable Mercedes-Benz et le Prix le19M des Métiers d’art. Ce prix, à l’initiative de la maison Chanel, dit tout de son potentiel. Car il récompense « la meilleure collaboration entre les dix finalistes du prix Mode et dix des maisons appartenant aux Métiers d’art ». Il a œuvré en l’occurrence avec l’Atelier Montex. Le résultat : un pantalon rebrodé avec une Cornely, cette machine centenaire, mécanique et guidée par la main, qui permet de réaliser des techniques alternatives de piqué. Et c’est bluffant

« Resurrectio (Ultra Ripam Alpina) par Valentin Lessner et l’Atelier Montex, Prix le 19M les Métiers d’art.

D’autant que le jeune homme, formé à Düsseldorf, y injecte en sous-texte son amour-haine de ses Alpes bavaroises, de cette culture qu’il affirme kitsch, d’un rapport romantique à la nature, de l’absurdité de notre société, de la garde-robe de son grand-père tailleur, d’une certaine mélancolie, d’un questionnement sur nos lendemains et du désir d’innover.  

« Grâce, mérite et audace ». Le Festival international de mode, de photographie et d’accessoires à Hyères s’est ainsi clos sur ces trois mots qu’il faut faire sien, c’est une invitation. Trois mots que prônait la première propriétaire de ces lieux d’exception, Marie-Laure de Noailles. Trois mots qui définissent cette villa moderniste rêvée et voulue par cette mécène fantasque et visionnaire.

En 2024, la villa fête ses 100 ans. Cela nous laisse une année pour donner vie à la grâce, au mérite et à l’audace.

Villa Noailles
La Villa Noailles accueille le 37ème Festival international de mode, de photographie et d’accessoires à Hyères © Villa Noailles

Les Prix du 37e Festival international de mode, de photographie et d’accessoires à Hyères

Mode :

Grand Prix du Jury Première Vision : Jenny Hytönen (Finlande)

Prix le19M des Métiers d’art : Valentin Lessner (Allemagne)

Prix de la Collection éco-responsable Mercedes-Benz : Valentin Lessner (Allemagne)

Prix l’Atelier des Matières : Sini Saavala (Finlande)

Prix du Public – Ville d’Hyères : Jenny Hytönen

Photo :

Grand Prix du Jury Photographie : Rala Choi (Corée du Sud)

Prix de la Photographie American Vintage : Chiron Duong (Vietnam)

Mention spéciale du Jury Photographie : Adeline Care (France)

Prix du Public – Ville d’Hyères : Rala Choi (Corée du Sud)

Accessoires :

Grand Prix du Jury Accessoires : Joshua Cannone (France)

Prix Hermès des Accessoires de Mode : Lola Mossino et Indra Eudaric (France)

Prix du Public – Ville d’Hyères : Lola Mossino et Indra Eudaric (France)

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