Festival d’Hyères: Les merveilles de Tom Van Der Borght et Maison Michel

Lors de la 36ème édition du Festival international de mode, de photographie et d’accessoires de mode à Hyères, le créateur belge Tom Van der Borght a convié tous ceux qui voulait le suivre à  » un avenir meilleur et à la célébration des rapports humains « . Le gagnant du Grand Prix du jury Première Vision 2020 et du Prix du public a fait défiler sa tribu de néo-hippies et de créateurs hybrides inséparables sous des chapeaux jamais vus créés en collaboration avec Maison Michel. Merveilles.

Il est fatigué mais heureux,  » hyper content  » en réalité, et touché au coeur par l’accueil du public du festival. Le soir du défilé dans le hangar du Salin des Pesquiers, à Hyères, avec sa collection  » Time for love « , Tom Van Der Borght a gagné à l’applaudimètre.  » C’est important pour moi que le public réagisse et réponde bien à ma collection. Après mes études de mode, j’ai suivi un master en arts performatifs à Maastricht, dès lors pour moi, le public importe.  » Avec une simplicité et une franchise désarmantes, le créateur belge partage son univers où la démesure est à la mesure de ses battements de coeur. Nul besoin de se définir pour lui, il ne choisira pas entre la mode et l’art.  » Je suis surtout humain « , dit-il.

Festival d'Hyères: Les merveilles de Tom Van Der Borght et Maison Michel

Aviez-vous dès le départ cette envie de tout faire tourner autour de ce  » Time for live « , votre leitmotiv écrit en majuscules sur vos silhouettes ?

Oui, c’était très clair pour moi. Je pars toujours de quelque chose de très personnel : on peut lire mes collections comme un journal de bord de ma vie. Chacune d’entre elles parle des moments de mon histoire, mais à la fin, ce n’est pas important, car si je parle extrêmement de moi-même, c’est pour parler de ce qui est plus large. C’est pourquoi j’essaie toujours d’avoir un message que je trouve important.

Festival d'Hyères: Les merveilles de Tom Van Der Borght et Maison Michel
© © Etienne Tordoir/Catwalkpictures

A quoi ressemble votre processus de création ?

Je n’ai pas vraiment de méthode très définie, cela change d’une fois à l’autre, d’une collection à l’autre. Par exemple, pour la collection avec laquelle j’ai gagné le prix du Public et le Grand Prix du Jury Première Vision à Hyères l’année dernière, j’ai commencé avec les matières et un mannequin, sur lequel j’ai vraiment travaillé comme un sculpteur. Cette fois-ci par contre, j’ai voulu retourner au métier de créateur. J’ai étudié dans une école belge, à Saint Nicolas, j’ai donc cette base technique, qui débute par les dessins puis le moulage. J’ai effectivement commencé par dessiner ma collection.

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© © Etienne Tordoir/Catwalkpictures

Dans vos dessins préparatoires, tout est déjà là…

Oui, les dessins correspondent à mes silhouettes finales. Prenez le croquis du double look avec le chapeau créé ensuite avec Maison Michel, c’est très proche de la réalité. Peut-être que pour la prochaine collection, ce sera totalement différent. J’aime changer de façon de travailler, que le départ soit autre, pour que cela reste frais et nouveau. Si on suit toujours le même parcours, on risque de devenir une machine de création, et je n’aime pas vraiment les machines. J’essaie de garder une façon de procéder plus humaine.

Festival d'Hyères: Les merveilles de Tom Van Der Borght et Maison Michel

Vous avez donc créé des chapeaux avec Maison Michel, l’un des Métiers d’art de Chanel. Pourquoi avoir choisi cet atelier ?

Pour deux raisons. Parce que ce qui est typique dans mon travail, c’est que je crée des looks de la tête aux pieds. Or, les chapeaux, c’est un savoir-faire que je ne connaissais pas, c’était très nouveau pour moi. J’avais envie de chapeaux très larges, peut-être inspirés de la pandémie, de cette période où l’on devait se cacher une partie du visage… Mes chapeaux sont une contre réaction : ils couvrent tout sauf la bouche et le nez. J’avais aimé cette idée de les faire évoluer pour qu’ils deviennent une sorte de masque. La deuxième raison trouve son explication dans l’idée de la collection basée sur l’amour – je voulais vraiment parler de connections. Puisque le vêtement est une barrière entre les individus, je désirais trouver une façon de passer outre cette barrière, que l’accessoire fasse le lien entre deux êtres. Peut-être que je dois creuser encore cette idée… J’aimerais d’ailleurs faire un chapeau pour dix personnes !

Festival d'Hyères: Les merveilles de Tom Van Der Borght et Maison Michel

Comment a-t-on réagi chez Maison Michel à votre idée suprêmement originale de double chapeau ?

Priscilla Royer, la directrice artistique, a aimé. Maison Michel n’avait jamais réalisé ce genre de chapeau. Or, c’est le plus grand chapelier du monde et c’est du coup difficile de leur proposer quelque chose de réellement novateur, qui n’a jamais été réalisé auparavant. Elle voulait vraiment tenter l’aventure. Techniquement, c’était un challenge, parce qu’il est grand. C’était passionnant d’observer comment l’équipe l’a développé sans peur, sans jamais dire non, ce n’est pas possible ou cela ne va pas, elle a sans cesse pensé en solutions et je trouve cela très beau.

Vous avez également collaboré avec le brodeur Lesage, des Métiers d’art de Chanel. Racontez-nous la rencontre.

Ces maisons m’ont tant apporté. L’année dernière, j’avais déjà eu une première expérience incroyable avec l’atelier Montex. J’avais eu le plaisir de rencontrer Hubert Barrère, son directeur artistique, qui était président du Jury Accessoires de mode. Il avait eu un coup de coeur pour ma collection et, avant même que je gagne, il m’avait dit qu’il aimerait un jour peut-être, si c’était possible, faire quelque chose avec moi parce qu’il aimait mon univers et ma façon de travailler. Et j’ai gagné. Ma maison préférée était Lesage, j’avais déjà eu une très belle expérience avec son équipe et j’avais déjà passé des heures dans les archives de Chanel. La connexion a été très facile, c’était direct, on a commencé à travailler immédiatement, d’autant que je savais ce que je voulais. J’aime chercher, pour tenter l’innovation, pour que ce soit contemporain. J’ai pensé que c’était une bonne idée de trouver quelque chose qui serait aussi un peu nouveau pour la maison Lesage, qui est connue pour son travail très fin. Très vite, nous nous sommes arrêté aux archives des années 70, une période marquée par la liberté – j’étais tombé en arrêt devant des échantillons un peu étranges, avec des perles en plastique, en bois, en verre. J’avais une palette de couleurs très particulière, Hubert Barrière était un peu inquiet parce qu’il ne trouvait pas assez de perles dans la même couleur, la même forme et la même matière. Je l’ai rassuré : c’est exactement cela qu’il me faut, j’aime les défauts et les limites imposées parce que c’est une excellente base pour une création forte et intéressante. A la fin du projet, on a travaillé ensemble avec la maison Paloma et Régina Weber, pour réaliser la silhouette complète car il fallait assembler les panneaux, ce n’était pas simple. Et c’était très lourd, à cause du poids des perles, la tunique pèse 12 kilos !

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En exergue de votre collection, vous avez placé cette phrase de Depeche mode :  » Tout ce que j’ai toujours voulu, tout ce qu’il m’a toujours fallu se trouve ici, dans mes bras. Les mots sont bien inutiles. Ils ne savent que causer du mal « . Pourquoi ?

C’est une chanson que j’aimais beaucoup quand j’étais jeune et que j’aime toujours. La musique définit toujours très clairement un mood. Quand je débute une collection, elle s’impose toujours très clairement. Et puis souvent c’est une petite route, je commence avec une chanson, puis cela devient comme une playlist et à la fin je reviens à la première chanson – cela fait partie de la recherche. Je trouve ce texte beau parce que c’est une déclaration d’amour et une invitation à apprécier le silence.

Comme au coeur de votre défilé, où le silence s’est fait soudain et la bande-son s’est tue…

C’est venu très tôt, cette idée. C’était un thème très important pour moi durant l’année qui vient de s’écouler… Avoir gagné ces deux prix au Festival d’Hyères m’a aidé à trouver un peu de paix. Je me suis senti toute ma vie, ou presque, un alien. C’est aussi une base de mon travail : j’ai toujours été un peu trop artistique pour la mode ou trop mode pour les arts… Gagner a vraiment mis les choses en place pour moi, cela m’a peut-être surtout montré à moi-même que ce n’est pas très important de choisir l’un ou l’autre, que tous ces éléments peuvent être réunis dans une seule et même personne.

Festival d'Hyères: Les merveilles de Tom Van Der Borght et Maison Michel

La recherche – l’acte de faire – est l’un des fondamentaux de votre travail.

J’aime ça. Quand j’ai des stagiaires je leur dis toujours que je n’aime pas parler des idées mais que je veux qu’ils me montrent des choses réelles. Cela vient de mon éducation à l’Académie de Sint Niklaas, avec Maureen De Clercq et Ellen Monstrey, qui m’ont appris cela : on peut parler des idées pendant des heures, des jours, des semaines mais ce n’est que lorsqu’on peut les retranscrire visuellement ou concrètement que l’on est prêt à évoluer. Pour chaque collection, je travaille avec un livre, des petits dessins, des échantillons, des essais et des collages, ce n’est pas très limité dans un sens ni l’autre… Ma façon de faire mes recherches me vient de mes études artistiques, de la performance qui m’a appris vraiment à prendre soin du processus créatif et artistique.

Et la suite ? What’s next ?

Nous sommes en train de lancer notre e-shop : j’ai envie de commercialiser mes pièces, 80 % sont réalisées en collaboration avec des partenaires qui peuvent les produire. L’une de mes assistantes m’a dit d’une façon très belle que ma collection de l’année passée était un statement –  » voilà, ça, c’est moi, Thomas Van Den Borght, c’est mon univers. Et on l’aime ou pas, point final « . Je pense que cette fois-ci, avec cette collection-ci, c’est comme si j’avais créé une porte dans mon univers, que je l’avais ouverte et que je vous dis :  » Soyez la bienvenue chez moi « . Je suis désormais prêt à inviter des gens dans mon univers et à leur laisser le choix, y pénétrer totalement, s’emparer d’une silhouette entière ou se contenter d’un petit accessoire. Ce n’est pas à moi de décider ce qu’ils doivent porter ni comment, ni si ce doit être une femme, un homme, c’est très ouvert à tout le monde. Et même à ma famille ! Mes proches ne sont pas vraiment dans la mode, même si ma mère est couturière… Et quand ma soeur a découvert mes nouvelles propositions, elle m’a annoncé qu’elle aimerait en porter. Alors qu’avant, ils aimaient ce que je faisais, je pense, mais ils reconnaissaient que c’était un peu trop loin de leur univers. C’est beau que des gens très différents puissent trouver quelque chose qu’ils veulent porter chez Thomas Van Der Borght. Cela résume parfaitement mon message.

« Rien n’est impossible »

Priscilla Royer est directrice artistique de Maison Michel, l’un des Métiers d’art de Chanel. Elle a accompagné Tom Van Der Borght dans son processus créatif. Comment joyeusement transcender les limites.

 » Tom est arrivé avec sa belle énergie, son univers et une idée de collection bien précise en tête, déjà dessinée. On a discuté longuement de ses chapeaux, extrêmement ambitieux. On en a réalisé trois et on est content d’avoir été jusqu’au bout de l’exercice ! La difficulté consistait surtout à trouver des matières suffisamment grandes dans les coloris qu’il désirait et à être juste par rapport à son envie de proportion. C’était assez compliqué, c’était même un challenge : il fallait notamment couper les yeux, mais à l’aveugle… Jusqu’au bout, on a un peu sué mais cela s’est hyper bien goupillé et le résultat est là. Et il m’était impossible de ne pas pouvoir répondre positivement à son désir de chapeau pour deux têtes. La dimension humaine et conceptuelle était belle : il entendait réunifier les gens après ces mois de confinement, il avait l’espoir de les réunir à l’image de ses deux mannequins marchant ensemble main dans la main. C’était une première et une vraie prouesse. Cela paraît simple comme bonjour, et c’est en cela que c’est du bon design, pour moi : une idée juste mais pas encore réalisée, on a l’impression d’avoir déjà vu ça mais non. Et puis cela nous parle à tous. C’était vraiment rafraîchissant de travailler ainsi, on a utilisé notre coeur de métier, on l’a développé en paille cousue. Tom avait envie que son projet aboutisse et ce qui m’a frappé le plus, c’est son attitude extrêmement positive et en même temps, il ne voulait pas lâcher son idée de chapeau à deux têtes. Nos équipes se sont dépassées. On peut désormais réellement se dire que rien n’est impossible ! « 

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© © Etienne Tordoir/Catwalkpictures
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