Histoire de la mode, pour mieux entretenir le mythe

Désormais, le luxe se raconte. Pour les grandes maisons, l’histoire est devenue un enjeu décisif : il faut entretenir le mythe pour rester désirable. L’exercice consiste à faire vivre le patrimoine. Et à le faire entrer au musée. Vive le storytelling.
Rien de plus aisé que de mettre en scène ses racines quand, comme la maison Saint Laurent, on conserve toutes ses archives depuis le début. Un peu plus compliqué pour les autres, qui dépensent désormais temps et argent à chiner les collections d’antan et tout ce qui pourrait avoir une valeur patrimoniale. Car le musée a désormais valeur sacrée et feu Pierre Bergé, le bras droit d’Yves Saint Laurent, l’avait bien compris, lui qui tira sa révérence à 86 ans, le 8 septembre, à quelques jours de l’inauguration officielle des deux mausolées qu’il a tout fait pour ériger.
Le 3 octobre, à Paris, et le 19 à Marrakech, le mYSLp et le mYSLm ont en effet ouvert leurs portes, en grande pompe. A deux pas de la tour Eiffel, avenue Marceau, l’hôtel particulier où siégea la griffe de couture de 1974 à 2002 sert de cadre élégant à la quintessence du style YSL, lequel se concentre dans quelques modèles emblématiques qui font pour toujours partie de l’histoire du xxe siècle – le smoking, la saharienne, la robe Mondrian…
A deux pas du Jardin Majorelle, rue Yves Saint Laurent, le nouveau bâtiment signé par le cabinet d’architectes français Studio KO abrite, lui, un condensé de l’univers du créateur et de ses audaces inspirées par le Maroc. Ces deux lieux se nourrissent des archives précieusement inventoriées depuis 1964, soit 34 000 oeuvres, 7 000 pièces textiles de haute couture et leurs accessoires, sans compter la réserve d’arts graphiques, avec les dessins originaux du couturier, les fiches d’atelier, les planches de collection et les Polaroids qui, juste avant le défilé, figèrent les mannequins pour un bout d’éternité. Un trésor qui permet d’ancrer un ADN, d’écrire la mode et son histoire. Car ce storytelling est devenu indispensable dans la guerre commerciale que se livrent les groupes de luxe. D’autant plus que le paysage a changé, à l’heure du tout à l’image diffusée ad nauseam sur les réseaux sociaux, et face à l’émergence d’une nouvelle clientèle, les Millennials consommant et s’informant autrement que leurs aînés.
La mode a donc parfaitement compris l’intérêt de ce patrimoine enjoliveur, quitte parfois à ne guère s’embarrasser de vérités historiques, voire à verser dans l’hagiographie. Quand Louis Vuitton s’installe place Vendôme, il convoque le Roi-Soleil et sa cour pour mieux se poser en héritier de l’artisanat et du luxe à la française, peu importe si la concordance des temps n’est pas respectée – le malletier n’existe que depuis 1854. Tout héritage est désormais digne d’entrer en boutique et a fortiori dans les institutions qui drainent les foules, avec mises en scène ad hoc.
Prenez l’exposition Christian Dior, couturier du rêve, montée par la maison mère aux Arts décoratifs, à Paris. Il est évidemment question de l’homme qui créa le tailleur Bar, le New Look et le vestiaire féminin d’après-guerre, mais aussi de ses successeurs qui, depuis septante ans, brodent l’histoire de ce vénérable label. L’installation donne le tournis : 3 000 m2, 300 robes haute couture conçues de 1947 à nos jours, signées par les sept directeurs artistiques qui, un jour, endossèrent le logo CD, plusieurs centaines de documents, croquis, lettres, pubs, accessoires, chapeaux, bijoux, flacons de parfums… Le faste et l’abondance sont de mise, le mythe est sublimement cadré, entretenu, le visiteur, hypnotisé – l’expérience intime comme antidote à la volatilité des images.
Dans la lignée, Chanel encore décrétait 2017 » Année Gabrielle « . Pour mieux conter des » microhistoires opérationnelles « , lancer un parfum féminin et un sac qui portent ce prénom fondateur et donner à lire, comme dans un livre ouvert, les secrets de Mademoiselle qui, d’après l’histoire officielle, aimait à répéter : » Si vous êtes née sans ailes, ne faites rien pour les empêcher de pousser. «
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