Nos favoris de l’été: l’espadrille, le chic décontracté aux pieds des grands (et des petits) de ce monde
Elle a 4 000 ans, a chaussé les grands et les petits de ce monde et se renouvelle chaque été en de multiples avatars contemporains, plus ou moins heureux. C’est qu’avec cette chaussure, on marche comme sur du velours.
Elle a tout pour elle – un peu de chanvre, de jute, du lin, quelques doigts de fée, femme ou homme peu importe, un savoir-faire ancestral et la voilà tressée, coupée, cousue en un tour de main. Elle est de surcroît légère, peu coûteuse, biodégradable, ancrée dans le terroir et foncièrement anti-odeurs. On peut la choisir avec lacets noués ou non, mais il est strictement interdit d’écraser sauvagement la talonnette et de se vautrer dans ce porter négligé… au risque d’être pris en flagrant délit de traîne-savates. La liste de ses fans est longue comme une sardane dansée entre hommes, un dimanche d’autrefois, quand les dames vaquaient comme il se doit aux tâches ménagères.
A replonger dans les archives estampillées » espadrille « , on tombe nez à nez avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, Dalí, Picasso, Grace Kelly, Penélope Cruz et même Gaston Lagaffe, qui ne serait pas tout à fait lui-même sans ses tatanes en corde, à son image, jean-foutre et joyeusement avachie.
A l’origine, il y a les semelles tressées, qui résistent parfois à outrance : on en a retrouvé en Andalousie, dans la Cueva de los Murciélagos, aux pieds d’un squelette vieux de 4 000 ans ; elles trônent désormais au musée archéologique de Grenade en version primitive de l’espadrille qui nous occupe aujourd’hui. On raconte qu’au XIIIe siècle, les soldats de Pierre II, roi d’Aragon, en chaussaient mais rien ne le prouve.
Laissons donc tomber les légendes, préférons leur Le Petit Robert, qui date le substantif féminin (1842, de » espardille « , 1752) et le définit sobrement ainsi : » Chaussure dont l’empeigne est de toile et la semelle de sparte tressée ou de corde. » Il lui adjoint cette phrase de l’écrivain Pierre Loti (1850-1923) qui sonne comme un rébus : » Le jeune passant solitaire, qui montait si vite sans peine et dont la marche en espadrilles ne s’entendait pas. »
En réalité, il a fallu attendre le XVIIIe siècle pour que, dans le Béarn et le Pays basque, dans la foulée de leurs voisins espagnols, les Français s’y mettent aussi, les tisseurs de chanvre y faisant des merveilles. Très vite, l’espadrille devient la chaussure du pauvre, du mineur, du curé et des soldats de la couronne d’Espagne. Après la Première Guerre mondiale, la gomme pare les semelles, elle peut dès lors jouer les citadines, se balader en ville, dans les salons et puis sur les podiums des défilés de mode. L’idée appartient à monsieur Saint Laurent, qui savait y faire en matière de géniale réappropriation. Il la dote de talon, de rubans et demande à Isabel et Lorenzo Castaner de la lui fabriquer – la maison ibère existe depuis 1927, elle entre dans la légende, avec son authentique artisanat méditerranéen qui fait des ravages.
Si Pablo Picasso et Salvador Dalí la portent naturellement, presque génétiquement, ce n’est pas le cas de Françoise Sagan ou de Jacqueline Kennedy, qui s’en emparent pourtant avec élégance. Elles savent combien l’exotisme ravageur de ce bout de tissu cousu sur une semelle tressée donne parfaitement le change, comme elles ont raison.
L’espadrille est devenue un élément essentiel de notre garde-robe d’été. Ce qui fait son succès ? La toile ! Qui permet de créer des styles différents et d’arborer paillettes, strass, imprimés pour s’adapter, chaque année, aux dernières tendances de la saison. Également déclinée en mule, soit ouverte derrière, elle laisse place aux ornements de toutes sortes. Un classique revisité avec extravagance.
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