Jacqueline Karachi (Cartier Prestige): « Si on veut surprendre, on doit se renouveler soi-même »

© SDP/Jacqueline Karachi@Cartier

Jacqueline Karachi (58 ans) est entrée chez Cartier en 1982 en qualité de dessinatrice de bijoux. Elle en a gravi les échelons et depuis 2009, elle y supervise le studio qui crée la haute joaillerie, les objets d’exception et l’horlogerie haute joaillerie. Le prestige au quotidien.

J’ai toujours voulu faire autrement. Dans ma famille, personne n’exerçait un métier artistique. Je me suis inscrite à l’école Boulle, je pensais être décoratrice d’intérieur mais j’ai découvert le rapport à la matière et le côté artisanal, surtout. Quand je suis entrée chez Cartier, en 1982, nous n’étions que deux femmes au studio de création et nous étions les premières joaillières – on ne parlait alors que de joailliers… La diversité est importante. Que ce soit de genres ou de pays d’origine et donc de visions, car tout cela enrichit notre style; les frères Cartier voyageaient pour ramener les inspirations du monde entier, aujourd’hui, on a le monde entier dans notre studio.

La diversitu0026#xE9; est importante. Que ce soit de genres ou de pays d’origine et donc de visions, car tout cela enrichit notre style.

Le métier n’est plus le même qu’hier. Avant, on commençait très jeune, les joailliers débutaient à 14 ou 15 ans, ils étaient souvent issus de famille de joailliers. Aujourd’hui, ce sont des vocations, sans filiation, on les choisit avec plus de maturité. De même, avant, on devenait designer de bijoux tout de suite après l’école, sans transition; je suis tombée directement dedans, j’avais 20 ans. Plusieurs de mes designers ont exercé d’autres métiers du design avant de se consacrer au bijou, ils ont posé un choix, plus réfléchi, ils sont dès lors plus conceptuels.

Les bijoux font travailler l’imaginaire. Ils concentrent l’histoire que nous raconte la pierre, l’histoire imaginée ensuite par le créateur pour la mettre en valeur et puis l’histoire que se raconte la personne qui est touchée par cette pièce… C’est une espèce d’effet miroir: chacun y projette ses attentes et son vécu, y mêlant ainsi son aura à celle du bijou. Et c’est une histoire sans fin. Car ils sont voués à passer de génération en génération, à accompagner plusieurs vies. Et c’est beau, cette transmission.

Les pierres fines et précieuses dictent leur loi. Elles nous parlent quand elles ont un supplément d’âme. Elles nous appellent, c’est compulsif. On est comme des enfants face à celles qui nous attirent. Cet instant magique que vivent ceux qui les sélectionnent se reproduit avec les designers. Ils les choisissent eux aussi parce qu’elles les appellent. C’est très émouvant de les voir les découvrir. Puis de les regarder s’impliquer pour les mettre en valeur avec d’autres pierres… Sur les salons, on sait pratiquement déjà à quel designer on va les confier, en fonction de la sensibilité de chaque personnalité. Une conversation s’établit toujours entre les pierres et le designer.

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J’impose que les idées soient dessinées à la main. Il n’y a alors aucun filtre, tout est émotion. Il peut ensuite y avoir une phase intermédiaire, avec ordinateur pour certains designers, pour d’autres jamais, cela dépend de la façon dont ils ont appris leur métier. Pendant la création d’un bijou, on travaille toujours en équipe, avec les autres artisans et les experts techniques, notamment, qui disent si la réalisation est possible ou pas, si on peut aller plus loin. Car faire un joli dessin, cela ne sert à rien si on ne peut pas le réaliser.

Malgré la pandémie, il y a toujours une attente de nouveauté. Soit ce sont des associations de pierres, soit de couleurs. On ose, on propose des pierres différentes, qui ne l’auraient pas été pour la haute joaillerie. Jeanne Toussaint (NDLR: la Belge qui fut directrice de la création chez Cartier de 1933 à 1977) créait déjà des associations ou des thématiques inédites. Avec cette collection Sur Naturel, on va plus loin sur la façon d’illustrer la nature, on ouvre une nouvelle porte. Et c’est ce qui nous stimule au quotidien: faire autre chose, autrement, tout en restant dans la lignée.

Si on veut surprendre, on doit se renouveler soi-même. J’ai appris cela tout au long de ma carrière et c’est cela que je veux transmettre. Je pousse les designers à s’illustrer ailleurs que dans leur zone de confort. Toute expérience qui nous permet de voyager dans le temps ou dans l’espace est formatrice. Généralement, cela laisse des traces: les designers sont comme des éponges, ils absorbent tout pour mieux le retraduire.

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