Jan-Jan Van Essche, le créateur belge le plus respecté du moment
Comment Jan-Jan Van Essche est devenu, à son propre rythme et en restant fidèle à ses valeurs de slow fashion, l’un des créateurs belges les plus respectés du moment.
Au printemps dernier, Jan-Jan Van Essche a rejoint le calendrier officiel de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, l’organisation derrière les Fashion Weeks parisiennes. Une promotion surtout symbolique, qui garantit une attention accrue et une certaine légitimité. « C’était comme une reconnaissance mais après dix ans nous étions prêts, explique le créateur aux gigantesques dreadlocks. J’ai toutefois ressenti la même chose que quand j’ai envoyé une boîte en carton remplie de tee-shirts emballés dans du plastique à l’étranger pour la première fois, ou que j’ai découvert des étiquettes avec des instructions de lavage sur mes créations. Nous étions là, parmi les défilés Homme, entre Dior et Junya Watanabe. »
‘J’ai longtemps souffert du syndrome de l’imposteur. Mais aujourd’hui, je sais ce que je fais, quelles sont mes valeurs et mes limites.’
Le trentenaire belge, de signe astrologique gémeau, avec un double nom et un frère jumeau, répète plusieurs fois au cours de notre entretien qu’il a toujours beaucoup douté. « J’ai longtemps souffert du syndrome de l’imposteur, avoue-t-il. Mais aujourd’hui, je sais ce que je fais, quelles sont mes valeurs et mes limites. J’ai appris que rester soi-même est la clé. Si vous racontez votre propre histoire, il n’y a pas de place pour le doute. » En réalité, cela fait déjà longtemps que le créateur va à Paris, chaque saison, pour présenter ses collections. Ces dernières années, avec son équipe, il a réalisé deux films dont il est « vraiment très fier ». Il aurait donc pu déjà avoir sa place dans le calendrier… « Mais cela ressemble aussi à un nouveau départ, à un nouveau chapitre », analyse-t-il, philosophe.
En bref: Jan-Jan Van Essche
- Jan-Jan Van Essche est né à Anvers en 1980.
- Il a étudié la mode à l’Académie des beaux-arts d’Anvers et en est sorti diplômé en 2003.
- Il a lancé l’atelier Solarshop et sa marque en 2008.
- Une deuxième ligne, JJVE, a vu le jour en 2010.
- En 2021, enfin, il a fait son entrée dans le calendrier officiel des défilés, à Paris.
Un départ tardif
Jan-Jan Van Essche est né et a grandi à Anvers. Enfant, il rêvait déjà de créer sa propre collection et son image de la mode était influencée par la mode belge: « Je ne serais pas ici sans les Six d’Anvers, confie-t-il. J’ai aussi contemplé les Armani du monde entier, mais l’étincelle, elle est venue des Six. Pendant longtemps, je n’ai pas osé avouer mon rêve, même à moi-même. Je ne savais pas si j’avais le courage ou l’énergie pour le réaliser. »
Diplômé de l’Académie royale au printemps 2003, une semaine avant son 23e anniversaire, le jeune homme a toutefois eu du mal à trouver ses marques dans le milieu. « En y repensant, je crois que j’étais trop jeune. J’étais un peu perdu, analyse-t-il. Après l’Académie, il faut acquérir quelques années d’expérience et ce fut un échec. J’ai beaucoup postulé, mais en vain. J’ai conçu des vêtements pour enfants, j’ai travaillé pour une grande marque de jeans pendant un certain temps, et entre deux emplois, je bossais pour mon père, qui est directeur artistique dans le cinéma et la télévision. C’était chouette, et pratique. Mais lorsque j’ai eu 30 ans, ça a commencé à vraiment me démanger. »
Jan-Jan Van Essche et son partenaire, Pietro Celestina, ont d’abord ouvert l’atelier Solarshop dans la métropole flamande, dans un bâtiment vide de la Dambruggestraat, entre les salons de coiffure africains et les épiceries chinoises. Le locataire précédent y vendait des panneaux solaires. Le duo a transformé l’espace en une sorte d’atelier, en y ajoutant aussi un restaurant, une boutique pop-up, une galerie et un espace de coworking – « Pietro avait travaillé chez Louis et Jurgi Persoons, et il faisait aussi des castings, notamment pour Raf Simons. Autrement dit, nous étions compatibles. »
Entre-temps, l’atelier a déménagé dans un gigantesque loft situé à proximité, dans un ancien garage à calèches. Et depuis quelques années, le Solarshop est une boutique, dirigée par Pietro Celestina, qui propose, outre les collections de Jan-Jan Van Essche, une sélection de marques de créateurs difficiles à trouver ailleurs, comme le label culte japonais Cosmic Wonder ou le designer américain Evan Kinori, ainsi que de la vaisselle et d’autres objets spéciaux, ramenés par les propriétaires de voyages lointains. Le magasin attire parfois plus de visiteurs venus de l’étranger que de chez nous. « Is Antwerp’s Atelier Solarshop the Vibiest Store on Earth? » (littéralement, « cet atelier est-il le plus vibrant de la planète? ) , c’est ainsi que le magazine américain GQ décrivait l’enseigne il y a quelques années. Ce même article présentait Jan-Jan Van Essche comme « one of the most exciting emerging designers in fashion ».
Un boubou inspirant
L’Anversois a décidé de créer sa propre marque lors d’un voyage de deux mois et demi au Mali et au Sénégal. « J’ai eu une véritable révélation, raconte-t-il. J’ai vu un homme et une femme portant exactement le même boubou, qui était en fait un morceau de tissu avec un trou pour le cou. Et pourtant, la façon dont l’étoffe était drapée sur leurs corps les faisait paraître complètement différents. Ce simple bout de tissu reflétait mes pensées mieux que tout ce que j’avais essayé auparavant. »
L’homme adore en effet la confection mais estime qu’elle n’est pas faite pour lui, ce qui importe, c’est que « le corps façonne les vêtements, et non le contraire »: « Mon grand-père et son père étaient tailleurs. Les livres m’ont appris la marche à suivre. Mais ce n’est pas comme ça que je fonctionne. En fait, je fais tout l’inverse. J’utilise autant de pièces de tissu droites et aussi peu de coutures que possible », explique-t-il. On pourrait dès lors décrire son travail comme minimaliste et chaleureux – « le moins de détails possible, sans perdre l’essentiel » – mais ses créations sont souvent moins simples qu’il n’y paraît. « Je dessine mes patrons moi-même et à ce stade, je suis un peu autiste. Il s’agit alors uniquement de la forme, pas du tissu ou de la couleur », ajoute-t-il.
‘Je préfère imaginer des pièces qui n’attirent pas forcément l’attention, mais qui peuvent transformer celui qui les porte.’
Au départ, Jan-Jan Van Essche ne s’est lancé qu’avec quelques dizaines de tee-shirts et de sweat-shirts. Avec les bénéfices, il a financé sa première vraie collection, un an plus tard. Il a ensuite décidé de monter à Paris, louant un showroom pendant la Fashion Week et l’aménageant comme son adresse anversoise, de façon très accueillante. « Je voulais créer une atmosphère dans laquelle je puisse me sentir bien moi-même, se souvient-il. Cette fois-là, six boutiques ont été séduites. Nous avons grandi petit à petit, jusqu’à atteindre 35 boutiques avant la pandémie. » La marque est désormais présente dans des enseignes prestigieuses comme Dover Street Market à Tokyo, H. Lorenzo à Los Angeles, Joyce à Hong Kong, Stijl à Bruxelles, et en ligne sur Ssense. C’est au Japon que la popularité du label est la plus importante – « Là-bas, les clients comprennent directement mes vêtements. »
Pas de greenwashing
Jan-Jan Essche repère des éléments qui lui rappellent sa mode dans les habits traditionnels – les kimonos, les costumes ottomans et les robes européennes du Moyen Age. Car lui aussi préfère utiliser des formes simples et est économe en matériaux. « Lorsque vous tissez une étoffe à la main, vous voulez en utiliser le plus possible, car cela demande beaucoup de temps et d’efforts. Découper un disque dans votre pièce de tissu et jeter le reste est un gaspillage, surtout si vous avez passé du temps à concevoir ce matériau » En ce sens, l’Anversois semble être l’incarnation de la slow fashion: « J’ai intitulé ma première collection « Yukkuri », qui signifie « pas à pas » en japonais. En tant que créateur, j’essaie d’avoir le plus grand impact avec le moins d’actions possible. Je ne cherche pas non plus à imposer un style. »
Pour lui, le vêtement idéal est celui qui renforce l’identité de celui qui le porte – c’est la personne qui fait le vêtement, et non l’inverse. « Je doute peut-être un peu trop pour imaginer des pièces avec un fort caractère, concède-t-il. Je préfère donc penser des pièces qui n’attirent pas forcément l’attention, mais qui peuvent transformer celui qui les porte. » Ses collections privilégient dès lors les tons neutres, même s’il y a ajouté maintenant un peu de rouge vif. Son objectif: concevoir des vêtements qui peuvent être portés longtemps, qui ne se démodent pas après une saison et qui peuvent se combiner à d’autres modèles datant d’autres années. « Mes créations doivent vivre longtemps, insiste-t-il, leur qualité doit être irréprochable, les finitions impeccables. J’y accorde énormément de temps. »
Jan-Jan Van Essche ne se qualifiera cependant jamais de créateur « durable ». « J’utilise presque exclusivement des tissus naturels et il y a beaucoup de beige dans la boutique. Les gens pensent facilement que nous sommes un label vert, s’amuse-t-il. Mais je ne veux pas faire de greenwashing en jonglant avec des termes marketing et des affirmations impossibles à garantir et à contrôler en tant que petite entreprise. La chaîne de production, du fil au produit fini, est tout simplement trop complexe. »
Certes, il pourrait faire des collections plus restreintes, avec moins de tissus et avec un plus petit nombre de fabricants, « mais ce ne serait plus vraiment de la mode, estime-t-il. On lit souvent que la mode est la deuxième ou troisième industrie la plus polluante. Nous sommes petits, nous ne faisons pas de « fast fashion » et nous ne remplissons pas les décharges de déchets. Nous faisons de notre mieux. Mais nous restons une marque de mode. Nous fabriquons des choses dont les gens n’ont pas vraiment besoin, à une fréquence relativement élevée. »
Garder la main
Si le créateur a une préférence pour les matières naturelles, il ne se veut pas radical à ce sujet: « Si je trouve un tissu fantastique qui contient 2% de polyester, ce n’est pas rédhibitoire, illustre-t-il. Mais je n’aime tout simplement pas la sensation des matières synthétiques contre mon corps. Et je pense que dans notre gamme de prix, il convient d’utiliser des matériaux nobles. Si, comme moi, vous travaillez avec des formes très simples, le tissu représente 50% de votre message. » Le créateur rêve également de mettre en oeuvre exclusivement des tissus teints naturellement, « pour que tout ce poison n’ait pas à être rejeté dans la nature ». Mais d’un autre côté, environ la moitié de ses vêtements sont noirs, et de toutes les teintes, c’est la plus toxique puisque c’est un mélange de toutes les couleurs. « Je ne connais qu’une seule technique naturelle pour teindre les tissus en noir, une sorte de boue qu’il faut littéralement appliquer à la main. C’est faisable pour certaines pièces de couture, mais pas pour une production industrielle », déplore-t-il.
Le créateur belge ajoute qu’il ne désire pas grandir davantage: « Plus votre entreprise est grande, plus vous devez faire de concessions. » Il rêve aussi parfois de transformer son label en « maison de production/centre de formation, où les gens pourraient faire des stages et apprendre différentes techniques. Les jeunes ne veulent pas devenir des ouvriers d’usine, mais à mon avis, les personnes qui savent bien coudre ne sont pas des ouvriers. Ce sont des artisans, et nous en avons besoin. Sous-traiter est parfois une source de frustration. Il y a toujours un souci. Un article est cousu à l’envers, même si nous avons expliqué en détail ce que nous voulions, ou les boutonnières sont du mauvais côté. En général, on ne peut rien y faire. Ce serait chouette de pouvoir reprendre le contrôle de toutes ces étapes. Nous avons maintenant un métier à tisser, nous avons teint l’indigo nous-mêmes par le passé, nous fabriquons souvent nos prototypes », énumère-t-il. Revenir à une échelle plus petite lui plairait. Reste à voir comment cela pourrait fonctionner d’un point de vue commercial.
Atelier Solarshop, 48, Dambruggestraat, à 2060 Anvers. ateliersolarshop.be
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