« Je veux montrer que la durabilité peut être sexy »

Ronald van der Kemp crée des tenues de rêve, tout en se souciant de leur impact environnemental. © SDP/ imaxtree

Le Néerlandais Ronald van der Kemp travaille dans les coulisses de la mode depuis des années. Il y a cinq ans, ce quinqua a lancé RVDK, la première marque de haute couture durable au monde.

« Je travaille dans la mode depuis vingt-cinq ans et progressivement, j’ai vu tout changer. D’abord, il y a eu l’émergence de la fast fashion, puis le luxe a entièrement copié le modèle. Tout est allé très vite. On n’avait plus le temps de fabriquer des vêtements, de les vendre, de les porter, d’y penser. Finalement, tout était une question de marketing. Je me suis dit qu’on produisait beaucoup trop. Qui pouvait bien avoir besoin de tout ça?

Je trouvais tout le concept de la mode un peu ridicule : que la saison précédente soit soudainement terminée, que chaque collection doive absolument suivre un thème, juste pour que les journalistes puissent facilement écrire sur le sujet. Ce système n’avait plus de sens.

Quand je me suis mis à mon compte, j’ai pensé: je vais faire avec ce qu’on a déjà. Je vais imaginer des vêtements qui signifient quelque chose, qui ont une âme. Mais ça devait malgré tout rester de la mode. Je ne voulais pas non plus faire cavalier seul. Je voulais créer quelque chose d’excitant et de neuf, et faire réfléchir. Vous devez séduire le public avant même d’avoir narrer votre histoire.

Dans la mode durable, l’aspect durable n’est généralement qu’un effet de mode, justement. Pour moi, c’est l’inverse

Je veux toucher des gens qui sont d’abord conquis par le rêve que je vends avant même de se rendre compte de ce qu’il représente. Des gens qui ont vu Michelle Obama, Céline Dion ou Justin Bieber porter mes looks, eux aussi, je veux les inclure dans mon histoire. Je veux provoquer un changement de manière positive.

Je me souviens avoir invité quelques acheteurs lors de ma première présentation. « Ce n’est pas possible, a dit l’un d’eux. Il n’y a aucune ligne directrice, ça part dans tous les sens. » Et pourtant, cinq ans plus tard, je suis toujours là, et je pense que j’avais raison. Ce que j’essaye de montrer depuis le début, c’est un peu là où nous devrions aller. »

Une cible élargie

« J’avais de l’expérience, je savais comment fonctionnait l’industrie et je savais aussi que ce ne serait pas facile. Je me suis dit: je dois juste m’y mettre. Alors j’ai commencé à fabriquer des vêtements de manière très intuitive. Je ne pensais pas créer une collection, mais plutôt une garde-robe. Où on trouverait de tout : des pièces très chères, d’autres très abordables. Maintenant, je suis en discussion avec des investisseurs pour aller au bout de ce que j’ai en tête. Je voudrais aussi augmenter l’échelle pour pouvoir toucher les masses. Pas spécialement avec les vêtements, mais avec d’autres produits aussi. Nous travaillons actuellement sur un parfum fabriqué à base de déchets, et d’autres produits à base d’écorce d’orange. Nous sommes sur tous les fronts. Les plans sont là. Maintenant, il faut passer à l’action. Je veux montrer que la durabilité peut être sexy, excitante. Et haute couture. Et que c’est bien réel: ce n’est pas du greenwashing, c’est notre produit, notre métier.

Je n’utilise pas de matière neuve. Tout – je dirais, 98% – est de la récup’. On parle de nouveaux matériaux, plus durables, mais quelque chose cloche. Prenez par exemple des matières fabriquées à partir de bouteilles PET. Lorsque vous les lavez, il reste des particules de plastique. La fausse fourrure est pire pour l’environnement que la vraie. Alors je sais que ce n’est pas la solution à tout, mais pour le moment, c’est la seule qui fonctionne vraiment: travailler avec ce qui est là. Le mal est fait. Si vous produisez localement, à petite échelle et de bonne qualité, et que vous y mettez de l’âme, vous obtiendrez des vêtements que les gens ne jetteront pas le jour suivant. J’essaye de donner une vie plus longue aux vêtements. Cardi B a récemment porté une jupe à nous qui date d’il y a des années. »

Des collabs au top

« J’aimerais collaborer avec de grandes griffes: faire quelque chose avec leurs invendus, que ce soit des vêtements, des tissus, des chutes. Ou par exemple créer un jeans unique avec une marque de jeans. Je fabrique déjà du denim, mais avec une maison importante, vous pouvez voir les choses en grand: ne pas en faire dix, mais mille. J’aimerais jeter un oeil du côté de Louis Vuitton, notamment, pour voir ce qui leur reste. Le problème, c’est que personne n’aime parler de ses surplus. Je suis en contact avec plusieurs personnes, mais je dois dire que ce n’est pas facile.

Nous avons récemment cessé de vendre en magasin, parce que j’ai remarqué que cela commençait à aller à l’encontre de mes principes. Maintenant, il y a aussi des soldes de mi-saison. Et si vous ne les suivez pas, votre marque ne s’en sort tout simplement pas. En plus, les boutiques disparaissent les unes après les autres. Nous avons essayé, mais ça n’a pas fonctionné pour nous. Nous avons donc perdu cette source de revenus, ce qui n’est pas facile. Mais je remarque aussi que la voie que nous suivons nous convient mieux et respecte ce que nous défendons. Nous continuerons la bataille! »

En bref

© INEZ & VINOODH

– Il est né en 1964 dans la ville de Wijchen, aux Pays-Bas.

– Il a travaillé comme consultant pour, entre autres, Céline, Escada et Wolford. Il a été directeur artistique de Guy Laroche pendant une courte période et a eu sa propre marque entre 1999 et 2003.

– Il a habillé des stars: Michelle Obama, Céline Dion, Cardi B…

– En 2019, il gagne le Grand Seigneur, le prix le plus important de la mode néerlandaise.

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