Kasbah Kosmic, la mode belge qui boxe
Kenza Taleb/Vandeput est une vraie « local hero ». Avec son label Kasbah Kosmic, la jeune styliste belgo-algérienne mixe ses identités plurielles. En résidence au Mad Brussels, elle upcycle joyeusement des vêtements seconde main et créé 4 looks totalement upcyclés pour l’expo Local Heroes du Mima museum. Elle a la gnaque. Et sais que parfois la vie est aussi un ring de boxe.
Pour l’exposition Local Heroes, le Mima, aka le Millenium Iconoclast Museum of Art est transformé en temple de la boxe anglaise. Tes créations y sont à l’honneur…
J’ai créé 4 looks complets, totalement upcyclés, uniques, short et peignoir, no gender. Avec un petit code couleur pour chaque tenue. Elles seront exposées au Mima et seront aussi portées durant les combats que le musée organisera. On va boxer avec elles, c’est un challenge, il fallait que chaque pièce soit à la fois technique, mais aussi esthétique et évidemment sustainable. J’ai fait de la boxe, je savais donc où je mettais les pieds, les poings. J’avais 14 ans à l’époque et j’avais l’idée de devenir amateur, j’étais la seule fille, j’étais donc obligée de combattre avec des garçons. Et puis j’ai eu des soucis au genou et je n’ai pas pu continuer de manière intensive. Je suis venue m’entraîner avec des boxeurs, pendant mes recherches et je me suis aussi inspirée des looks des combats à Las Vegas et des tenues vintage des années 50 avec les shorts à taille haute. J’habille aussi la crew du Mima, pour avoir une identité totale, avec un côté coach. Je travaille avec des deadstocks de trainings neufs. L’’idée est de venir faire une intervention avec des broderies et du dye.
On reconnaît ta signature ?
Je pense bien. La base, c’est un peignoir de boxe, avec un capuchon, je me suis inspiré des kachabia d’Afrique du Nord, les capuchons en pointe avec la floche qui pend, cela donne la touche Kasbash Kosmic. Et j’y ai ajouté pas mal de broderies, je les fais en machine à la Micro Factory, avec une brodeuse qui est une machine de guerre. C’est un travail d’expérimentation. C’est important d’avoir de l’ornement dans ce genre de pièces, des broderies, des logo, des mots, comme « Respect » en arabe sur le col, cela donne beaucoup de force et du poids au vêtement.
On a fait un shoot avec le photographe Antwan.jpg, il a capté vers où je voulais aller au niveau du casting, avec deux modèles qu’il connait, très beaux, une amie à moi au look très badass, Naomie, la DJ NayNay Dluxx et un champion de boxe marocain, Abdeladim Mis. J’ai aussi créé une tenue modeste – j’avais été m’entraîner à ma salle pour les recherches, il y avait plein de filles qui en mettaient, cela n’aurait eu aucun sens de ne pas faire une tenue modeste, c’est comme si on mettait une croix sur elles, j’ai donc fait un short plus long pour les filles qui boxent en hidjab. L’inclusivité vient à partir du moment où on commence à designer.
L’envie de créer des vêtements, cela remonte à loin ?
Depuis que je suis enfant. J’ai toujours été attirée par les vêtements. Il y avait beaucoup de tissus à la maison, une partie de mon désir vient de là et l’autre repose sur cette envie de me différencier, j’ai toujours eu un style orignal. J’ai grandi à Bruxelles, pure souche. J’avais une petite machine à coudre, et j’étais très attirée par le seconde main, un penchant qui vient vraiment de ma mère.
« À la fin de la première année à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, le feedback a été horrible: les profs m’ont dit que je ferais mieux d’arrêter le design. Cela m’a cassée: pendant un an, je n’ai plus touché ma machine à coudre »
Et tu te lances alors dans des études de stylisme, après tes secondaires…
Je me suis inscrite dans une école de stylisme et de modélisme à Francisco Ferrer, j’avais 18 ans, c’était il y a douze ans. Là, je fais deux fois ma première année, et ça ne marche pas, j’étais trop dans la créa, or, c’est une école qui est très technique. J’ai alors fait des études d’assistante sociale à Ilya Prigogine, et j’ai obtenu mon bachelier. Et puis je me suis dit que si je n’essayais pas l’examen d’entrée à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, j’allais le regretter toute ma vie. Je l’ai passé, j’ai été acceptée, mais à la fin de la première année, le feedback a été horrible: les profs m’ont dit que je ferais mieux d’arrêter le design. Cela m’a cassée: pendant un an, je n’ai plus touché ma machine à coudre.
Qu’est-ce que tu y as appris qui te sert encore aujourd’hui ?
J’ai appris à bosser vraiment dur, je passais des nuits blanches à travailler. Il y a maintenant des trucs qui ne me font plus peur. Et puis il y avait un côté créatif très excitant là-bas, avec une dimension internationale. J’en ai gardé des amis, je les vois encore et mon coloc d’atelier au MAD – Stefan Kartchev – qui a étudié là-bas, au final j’arrive en résidence avec quelqu’un qui en est diplômé !
A l’époque, tu as mis ta machine à coudre de côté sans regret ?
C’était dur, j’étais brisée. J’avais mon diplôme d’assistante sociale, j’ai trouvé un job dans une école à pédagogie active à Molenbeek, l’école Plurielle au Karreveld, c’était en 2016, j’y suis restée 4 ans. C’était chouette même si émotionnellement c’était parfois dur, parce qu’il y a une réalité de terrain. Petit à petit, j’ai recommencé à coudre, c’était mon échappatoire… Et puis j’ai fait des pop-up vintage, dès que j’avais un gros stock de vêtements de second main, je continuais à chiner, chassez le naturel, il revient au galop. Quand j’ai ressorti ma machine à coudre, je me suis mise à travailler de manière totalement différente qu’à l’Académie : je prenais le vêtement qui m’inspirait, je le customisais, je changeais la forme, je peignais dessus… Et j’ai commencé à avoir des commandes, de DJ en particulier.
Ton label, tu l’as baptisé Kasbah Kosmic, pourquoi ?
J’ai fait de longues recherches avant de le trouver. Je suis partie sur plein de trucs, je ne voulais pas utiliser mon prénom, mais quelque chose de plus spécifique. J’ai regardé qui je suis, d’où je viens : la kasbah, c’est là où se concentre toute l’énergie, avec ses marchés, ses tissus. Et puis Kosmic, c’est en référence à mon papa passionné d’astronautique. J’ai grandi avec cette vision qui veut qu’on fasse partie d’un ensemble un peu plus large. Le mode cosmique vient apporter une autre traduction à la kasbah, je trouvais que cela matchait bien.
Tu privilégies le collectif et tu t’entoures d’une « team » pour créer?
Je travaille beaucoup avec Wildbarz, qui fait principalement de la sérigraphie, on a commencé avec une petite collab’, avec des tee-shirts qu’il avait sérigraphiés et que j’ai déconstruits, on a commencé à partager une amitié incroyable et on continue à bosser ensemble. C’est un master en sérigraphie. Il est hyper pointu. Et le fait qu’il soit Iranien apporte beaucoup dans l’esthétique, il ramène sa touche dans les prints, il fait partie de ma team.
« J’ai regardé qui je suis, d’où je viens : la kasbah, c’est là où se concentre toute l’énergie, avec ses marché, ses tissus. »
Et tu oses aussi t’aventurer dans des collaborations singulières…
Oui, pour l’Outsiderwear festival, avec des artistes en situation de handicap, qui font de l’art brut. J’ai travaillé avec Marie Bodson, de La grand S, à Vielsalm, elle travaille le textile, elle est fan de Johnny Hallyday, on a fait une petite collection où Johnny rencontre Oum Kalsoum, un improbable patchwork de ses photos de Johnny printées sur des vêtements et de photos d’Oum Kalsoum dans toute sa splendeur.
On a créé une collection upcyclée de pantalons, de vestes et de bob. J’ai aimé la beauté de cette collaboration. J’ai aussi collaboré avec Saaber Bachir, un artiste en situation de handicap, qui crée aux ateliers Indigo à Bruxelles, toujours dans le cadre de ce Festival. On a développé des bijoux en tissus très bling bling inspirés des bijoux nord-africains, très brillant et gros. On a tissé des liens extraordinaire. On réexpose d’ailleurs à Amsterdam en mars, toujours dans le cadre de ce Festival. J’y vois aussi un lien avec mon boulot social. Et puis ce sont mes valeurs: pour moi, l’inclusivité est hyper importante. Je désire d’ailleurs que ces valeurs soient dans ma marque, parce qu’elles font partie de moi.
Tout comme ta double identité, moitié-algérienne moitié-belge, que tu insuffles dans Kasbah Kosmic?
On ne sait jamais vraiment ce qu’on est, algérienne, belge, on est les deux en même temps. Ce sont des cultures tellement différentes mais au final, j’ai l’impression de vivre un autre culture encore, qui est issue de ce mélange. Et c’est aussi cette idée-là qui nourrit ma marque: utiliser les vêtements traditionnels que j’adore et pouvoir les combiner avec un vêtement de seconde main d’ici. Je veux que ce soit hyper éclectique, playfull, avec beaucoup d’informations, des associations de couleurs, des ornements. Il y a toujours ce côté oriental que l’on retrouve dans les pièces au niveau des broderies et des tapisseries. Et on voit aussi que c’est un vêtement de seconde main, je trouve chouette de garder son âme.
Local Heroes au Mima, du 3 février au 28 mai 2023 – www.mimamuseum.eu – www.kasbahkosmic.com – www.mad.brussels
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