La mode belge est-elle mourante?

Catherine Pleeck

2012 rime avec faillites, dans la sphère fashion belge. Dans le même temps, nos créateurs explosent, à l’échelon international. Comment se porte la mode noir-jaune-rouge ? État des lieux.

Une annus horribilis, pour la mode belge. En février 2012, l’entreprise Kesar, propriétaire de la griffe Mais il est où le soleil ?, dépose le bilan, avant d’être reprise par le groupe textile Vegotex. Le même mois, ce sont les deux sociétés de Walter Van Beirendonck qui sont mises en faillite, après la fermeture de son concept store anversois. La liste s’allonge encore en mai dernier, lorsque Christophe Coppens décide de stopper net la création de ses chapeaux et accessoires, « parce que le prix est trop élevé et que la fin ne justifie pas les moyens. C’est difficile depuis vingt-et-un ans. Cela l’a toujours été mais c’était de l’ordre du possible. Aujourd’hui, cela ne l’est plus, c’est devenu inhumain ». Et en juin, c’est la liquidation de la société Nissim SA, qui exploitait jusqu’alors le nom Olivier Strelli…

Le secteur est-il condamné ? Loin s’en faut.  » Chaque dossier a ses spécificités et il ne faut pas généraliser, nuance Erik Magnus, directeur de Creamoda, association belge qui regroupe les entreprises actives dans la mode, l’habillement ou la confection. Nous résistons assez bien à la crise. Il n’est pas question de dire que la mode belge n’existera plus d’ici à cinq ans. C’est une marque forte.  » Pour preuve, les imprimés de Dries Van Noten continuent plus que jamais de séduire ; 100 000 pièces sont vendues chaque année par la griffe, qui a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 32 millions d’euros en 2010. Ann Demeulemeester est présente dans 200 boutiques de par le monde, tandis que, après avoir mis la clé sous le paillasson en 2009, Véronique Branquinho défilera à nouveau à Paris en octobre prochain. Enfin, quand ils ne se décident pas à se lancer sous leur nom, les stylistes du plat pays se font remarquer au sein des maisons les plus en vue. Les exemples sont nombreux : Raf Simons, dernièrement arrivé à la tête de la mode féminine de Dior, Kris Van Assche pour son pendant masculin, Olivier Theyskens qui reprend en main Theory…

En tant que présidente de l’ASBL Modo Brussels et propriétaire de la boutique bruxelloise Stijl, réputée pour sa belle sélection de  » Belges « , Sonja Noël est aux premières loges pour percevoir l’état d’esprit du secteur :  » J’entends deux discours contradictoires, explique-t-elle. D’une part, la cote de certains créateurs ne cesse de grimper à l’étranger. C’est le cas notamment d’Haider Ackermann, d’Ann Demeulemeester ou de Sofie D’Hoore. Les Belges se démarquent par leur sens de l’innovation, leur créativité et leur capacité à se renouveler. Ils ne sont donc pas près de perdre du terrain.  » Mais, d’autre part, Sonja Noël ne peut que constater la concurrence accrue entre les jeunes talents, toujours plus nombreux à l’échelon mondial.  » Or, avec la morosité ambiante, ces labels prometteurs ont peu de chance de trouver des magasins qui veulent prendre le risque de proposer leurs collections. « 

Difficulté de s’imposer dans les points de vente, peine à gagner la confiance des investisseurs et des banques… Pas question, pour autant, de sombrer dans un discours pessimiste.  » La jeune génération ne semble pas effrayée par la crise, déclare Alexandra Lambert, à la tête du nouveau Centre Mode Design Brussels. Elle garde même de l’enthousiasme. Le contexte, certes pas aisé, agit comme stimulant.  » Un constat partagé par Laure Capitani, coordinatrice de WBDM (Wallonie-Bruxelles Design/Mode), qui n’en reste pas moins réaliste :  » Il y a de l’avenir pour les créateurs belges émergents qui sont talentueux et passionnés. Cependant, il est primordial de bien s’entourer et se professionnaliser en termes de stratégie et de gestion. Il faut avoir les reins suffisamment solides pour pouvoir se permettre de travailler à perte durant les trois ou quatre premières années d’existence. « 

Inventer, ici ou ailleurs

S’ils veulent survivre, les nouveaux talents de la mode belge doivent donc faire preuve d’inventivité dans leur business, comme c’est par exemple le cas de Jan-Jan Van Essche. Pour sa griffe éponyme, cet ancien diplômé de l’Académie d’Anvers a choisi de ne proposer qu’une seule collection Homme par an. Des pièces taille unique qu’il produit en amont, afin de pouvoir les livrer aux boutiques dès qu’elles passent commande, et non pas des mois plus tard, comme c’est le cas habituellement…  » Nous n’imaginons pas des vêtements pour le seul plaisir de faire des vêtements, résume le créateur anversois Christian Wijnants, qui oeuvre depuis près de dix ans. Il faut pouvoir les vendre. Ce n’est pas de l’art, c’est un commerce. « 

Pour réduire leurs coûts, bon nombre de marques sont également contraintes de faire réaliser leur collection à l’étranger.  » Si on avait le choix, on aimerait tous fabriquer nos vêtements ici, poursuit Christian Wijnants, qui produit 40 % de ses pièces en Belgique, et le reste au Portugal. Malheureusement, le coût de la main-d’oeuvre belge est loin d’être concurrentiel. Par ailleurs, beaucoup de fabricants ont fait faillite ces dernières années ; c’est donc aussi par manque de choix que je dois me tourner vers l’international. « 

Tous ne cèdent cependant pas aux sirènes de la délocalisation. La griffe d’accessoires VII Sept – Bruxelles, vendue depuis peu au Bon Marché à Paris, a même fait de la production locale son leitmotiv.  » J’ai voulu montrer que c’est possible, en offrant un produit de qualité à un prix juste « , revendique Cécile De Jaegher, qui a lancé sa gamme de sacs en 2008. C’est grâce à sa rencontre avec Monsieur Imeray, un artisan maroquinier à Koekelberg, que son voeu a pu être exaucé. Elle peut ainsi profiter d’une plus grande flexibilité, de gains en matière de transport et de courts délais de production. Et pour son fournisseur, cette collaboration permet tout simplement de faire survivre son entreprise ; il y travaille désormais seul, alors que huit ouvriers étaient à ses côtés, en 1995…

Une mode responsable, c’est également le fil rouge du nouveau projet de Bruno Pieters, lancé en janvier dernier. Cet ancien directeur artistique d’Hugo by Hugo Boss a tout plaqué voici trois ans, pour revenir avec une plate-forme virtuelle, baptisée Honest By. Le principe ? Une transparence totale au niveau des sources d’approvisionnement, des coûts et des prix. En six mois, plus de 20 000 personnes ont déjà visité cet e-shop, preuve qu’il existe un intérêt pour ce genre de pari alternatif…

Dans le même ordre d’idée, la Fédération belge de l’industrie textile, du bois et de l’ameublement (Fedustria) prône également une certaine traçabilité du tissu, qui permettrait de savoir s’il a été fabriqué en Europe ou pas.  » On estime à 70 % le montant des importations réalisées en dehors de l’Union européenne, évalue Fa Quix, directeur général de Fedustria. Bien entendu, nous savons qu’une majorité de consommateurs veulent acheter une mode low-cost. Mais pour maintenir notre part de marché, nous devons valoriser nos industries et éprouver de la fierté à leur égard. La labellisation des tissus est, en ce sens, une manière de sensibiliser la population. « 

D’ici, et pas d’ailleurs

Cette mise en avant du savoir-faire local n’est pas nouvelle. En 1981 déjà, l’État avait lancé le Plan Textile quinquennal, histoire de donner une image séduisante de notre production et de notre créativité nationale. Entre autres mesures de soutien au secteur de la confection (déjà) en souffrance, une disposition prévoit que l’étiquette  » C’est Belge « , depuis lors tombée dans l’oubli, soit apposée sur chaque vêtement entièrement conçu sur notre territoire. Quelques années plus tard, le désormais célèbre groupe des Six d’Anvers voit le jour et finit de braquer les projecteurs sur la mode noir-jaune-rouge. Sous cette appellation, on retrouve Ann Demeulemeester, Dirk Bikkembergs, Walter Van Beirendonck, Dries Van Noten, Dirk Van Saene et Marina Yee, tous issus de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, promotion 1981. Un style propre à chacun, des histoires qui s’écrivent séparément. Pourtant, aujourd’hui encore, cette dénomination commune continue de servir les intérêts fashion de notre pays.  » La Belgique a toujours une excellente réputation à l’étranger, atteste Christian Wijnants. Dans le milieu, dire que l’on est belge facilite la reconnaissance. Sans les Six d’Anvers, j’aurais peut-être rencontré davantage de difficultés. « 

Mais peut-on pour autant parler d’un style propre au plat pays ? Non, répond Dries Van Noten, qui confiait dernièrement à Libération :  » On nous a souvent catalogués de belges, comme si c’était un style en soi, mais ça n’a aucun sens, nous avons tous des univers différents.  » Un avis partagé par le Centre Mode Design Brussels, qui va même plus loin :  » L’absence de références identiques constitue justement un dénominateur commun aux créateurs, estime Alexandra Lambert. Il faut la voir comme une valeur, et non pas comme une faiblesse.  » Une diversité dans la créativité, mais aussi de la modestie, de la simplicité, du sérieux et une bonne dose de pragmatisme.  » Les Belges possèdent une personnalité à part, parce qu’ils sont loin de tout, considère le Bruxellois Jean Paul Knott, qui a vécu longtemps à l’étranger. Ils agissent comme des électrons libres et ont des facilités pour se réinventer, en fonction des besoins.  » Gageons que ce sont ces qualités qui permettront à la mode belge de sortir de la crise la tête haute…

Catherine Pleeck

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