L’année des tricopathes

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La maille a la cote. En mode, design ou art contemporain. Une pelote, deux aiguilles, c’est parti.

C’est l’époque qui veut ça : une ère de nerfs en pelote et la douceur soudain n’est plus un vain mot. Surtout si elle est naturelle et lanugineuse, format XXL en version cape, à grosses côtes anglaises ou jacquard retour de Gstaad. Voir la démonstration sur podium de Chloé, Prada ou D&G ; dans l’ordre. Ainsi donc la maille a la cote, même si ce n’est pas tout à fait nouveau, que cela fait même quelques années que cela dure. Le siècle avait débuté feutré – en mode du moins, 2010 fut l’année des tricopathes, l’apothéose.

Passons rapido sur les débuts du « tricot », n. m., « terme désignant plusieurs choses distinctes » : 1) une matière fabriquée selon une technique de tricotage ; 2) une des techniques permettant de fabriquer un produit tricoté ; 3) un vêtement tricoté appelé « pull-over », toutefois dans cette signification, ce terme est désuet, tout cela selon Le Vêtement de A à Z, Sophie George, éditions Falbalas.

On sait que Mademoiselle Chanel eut la première l’idée de piquer les dessous si confortables de l’un de ses prétendants et d’en utiliser la matière pour en faire des robes qui rangeaient définitivement le corset dans la case « engins de torture à bannir ». Merci le jersey. On sait aussi que, plus tard, en 1968, Sonia Rykiel, reine de Saint-Germain-des-Prés et queen de la maille, bluffa son monde avec des cardigans près du corps à porter déboutonnés très « t’es toute nue sous ton pull ».

C’est l’époque qui veut ça : une décennie de prise de conscience et deux aiguilles + un écheveau de laine + patience et longueur de temps ne sonnent plus comme des gros mots. On a donc vu les créateurs de mode s’y mettre, version combinaison de ski, twin-set néo-bourgeois ou body seconde peau, le tout avec plus ou moins de style, d’ingéniosité et d’opportunisme. On a aussi vu les designers se lâcher, vase ou lampe, tout est bon, du moment que ce soit de la laine sous toutes ses coutures. Même les jeunes artistes s’en sont donné à coeur joie. Clémence Joly, par exemple, qui expose à la galerie Iukbox, à Bruxelles, jusqu’au 22 janvier prochain et qui reproduit (presque) à l’identique et en crochet sa boucherie idéale. Saucisses sèches, boudin de Noël et poulet rôti forment un étal d’hybrides artisanaux qui parlent de tripes et de douceur, d’industries de la viande et de la mode et de besoins plus ou moins assouvis. Anny Blatt aurait aimé…

Mais surtout, on a vu éclore un peu partout des gangs de tricoteuses, mamies comprises, qui pointmoussent à tout crin, pour le plaisir, contre la consommation effrénée, contre la laideur des villes, contre le sida. Tout ce petit monde, très actif sur la Toile, partage kits, trucs et astuces avec vidéo à l’appui ou fait dans la maille éco/green boostée par le nom de Lily Cole, mannequin anglaise qui veut sauver le monde, et ce n’est pas si mal (www.thenorthcircular.com).

Si ces travaux d’aiguilles, délégués ou non, font toujours l’éloge de la lenteur, du slow wear, du durable, du « c’est moi qui l’ai fait », ils vont parfois un pas plus loin. Telle la guérilla des Américaines de Knitta Please, qui sortent le tricot de la maison et l’empalent dans la rue, sur tout ce qui blesse le regard, des knit graffiti qui emballent parcmètres, lampadaires, antennes et autres bornes de métal – de l’art fait main en réponse « à la déshumanisation de l’environnement urbain ». Telle aussi l’aventure de Knitting Against Aids qui vit 40 créateurs de mode belges – connus ou non – tricoter des écharpes montées ensuite en installation par Marina Yee et vendues au profit d’associations qui luttent contre le VIH. Autant de manifestes grandeur nature qui prônent un « faut que ça maille » plutôt joyeux. La boucle est bouclée.

ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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