Le gang de copines remplace l’idéal masculin

Un clan de huit filles pour s'emparer du nouveau jus Hermès. © HERMÈS

Le segment des parfums ciblant les femmes de moins de 35 ans est devenu la locomotive d’un marché de plus en plus morcelé. Les campagnes qui soutiennent ces sorties se doivent d’embrasser les codes d’une génération obsédée par l’image, en particulier celle qu’elle aime donner d’elle-même. Le gang de copines y remplace de loin l’idéal masculin.

Il est toujours bon de maîtriser son sujet, Christine Nagel en sait quelque chose, elle qui vient de signer le  » parfum des filles d’Hermès « , en confessant avec tendresse  » en avoir à la maison, de ces modèles-là « . Mais les désirs supposés de ces jeunes femmes nées entre 1981 et le tournant du millénaire, et donc membres de la si désirable génération Y, ne sont pas si faciles à cibler. Ils font dès lors l’objet de toutes les attentions des gourous du marketing, comme si le futur de notre société de consommation en dépendait – ce qui est sans doute vrai.

Le gang de copines remplace l'idéal masculin
© HERMÈS

Dans le sous-titre, quel que soit finalement le produit que l’on cherche à leur vendre, il est question de  » codes « , de tradition même, que loin d’envoyer aux orties comme les féministes de 68, ces Millennials chérissent, à condition toutefois de les travailler à leur façon. On leur prête aussi un sens de l’amitié et du partage – les réseaux sociaux encouragent les échanges à tout va – jamais égalé à ce jour, un comportement clanique qui s’exprime dans les récentes campagnes accompagnant les lancements de parfums majeurs cette saison.

La
La « Girl of Now » d’Elie Saab dicte ses règles.© ELIE SAAB

Chez Hermès, elles sont huit à forcer sans effraction la porte de la boutique rue Faubourg-Saint-Honoré, à Paris, pour s’emparer d’un drôle de flacon que l’on dirait coiffé d’un chapeau melon, ce n’est pas pour rien qu’il se prénomme Twilly, cette tranche de soie délicieuse qui compte parmi les produits iconiques les plus accessibles de la maison. Dans leurs mains, des spaghettis de soie rappellent le jeu de la ficelle des récréations d’autrefois. Le jus, lui, n’est ni rétro, ni sucré, le craquant du gingembre vient ici réveiller la langueur supposée de la tubéreuse. On est là face à une vraie signature faite pour surprendre.

Les nouvelles guerrières de Dior imposent leur vision de la séduction.
Les nouvelles guerrières de Dior imposent leur vision de la séduction.© DIOR

Rien pourtant, assure le marché, ne serait trop gourmand pour celles qui, par ailleurs, n’ont jamais autant édicté de règles balisant le contenu de leur assiette. Le nouveau Girl of Now d’Elie Saab fleure bon l’essence d’amande amère, celle-ci semblant rebrodée par codistillation sur la fleur d’oranger, fil rouge de tous les jus de la maison, créant ainsi ce que les parfumeurs appellent une  » floralité addictive « .

Les nouvelles guerrières de Dior imposent leur vision de la séduction.
Les nouvelles guerrières de Dior imposent leur vision de la séduction. © Dior

Dans la dernière version de Poison Girl, lui-même une  » revisite  » du classique entêtant de Dior, l’orange givrée a des accents de vanille et de fève tonka. Conséquence directe d’une certaine désacralisation du parfum identitaire (lire par ailleurs), les variations sur un thème identique – ce que les professionnels qualifient parfois du bout des lèvres de flankers – alimentent plus que jamais le flux continu des lancements, surtout lorsqu’ils visent une clientèle plus jeune.

Une variation de Mon Paris d'YSL, pour séduire les jeunes femmes.
Une variation de Mon Paris d’YSL, pour séduire les jeunes femmes.© YVES SAINT LAURENT

La déclinaison eau de toilette de Mon Paris d’Yves Saint Laurent, apparue l’an dernier sous la forme originelle d’une eau de parfum, vague cousine du mythique Paris, en est un bel exemple. Aux Millennials, Chanel a réservé en 2016 son N°5 L’Eau, incarné par Lily-Rose Depp, gardant le morceau du roi ou plutôt de la reine, le nouveau Gabrielle, pour une consommatrice plus sûre d’elle et plus mûre… en refusant toutefois d’y accoler un âge. La campagne abstraite, presque cérébrale, n’a rien de commun avec les sorties en bandes organisées qui jalonnent désormais les story-boards des agences de publicité. Les hommes, s’ils sont présents, y font tout au plus de la figuration.

Un goût pour le passé twisté

Le mythe des Incroyables et des Merveilleuses revu par Roger & Gallet.
Le mythe des Incroyables et des Merveilleuses revu par Roger & Gallet.© ROGER & GALLET

 » Plutôt que de montrer une femme en particulier, j’ai préféré partir d’une situation imaginaire que j’avais dans la tête, détaille Alessandro Michele, le directeur artistique de Gucci, responsable de la communication du nouveau parfum de la maison créé sous son impulsion. Dans mon esprit, ces trois filles que l’on découvre à l’écran sont toutes amoureuses mais il n’est pas nécessaire de voir celui qu’elles aiment à l’écran. Pour moi, c’est l’instant idéal car on peut encore rêver à l’amour. L’étape suivante présente souvent beaucoup moins d’intérêt. Les choses, lorsqu’elles se concrétisent, sont rarement à la hauteur de ce que l’on croyait.  » La lumière légèrement voilée, l’ambiance éthérée d’un spot encensé pour sa modernité alors que tout ici invite à la nostalgie rappellent bien sûr les campagnes pour Anaïs Anaïs, sans doute la première fragrance de luxe spécialement créée et marketée, dans les années 80, pour les très jeunes filles qui, déjà, se passaient des échantillons sous le manteau dans les cours d’école.

Le gang de copines remplace l'idéal masculin
© ROGER & GALLET

Chez Roger & Gallet, c’est un autre mythe, ô combien fantasmé, qui est convoqué : celui des Incroyables et des Merveilleuses, ces survivants glamour de la Révolution française.  » Assoiffée de naturel, d’authentique, cultivant la joie de vivre « , cette génération à l’apparence futile partagerait avec les Millennials un goût pour la fantaisie et l’originalité  » en inventant ses codes elle-même chaque jour dans un esprit créatif et sincère « . Avec ses cinq nouvelles Cologne, la marque parisienne entend remettre en selle l’art du parfumage façon XVIIIe siècle et mêle dans sa communication, à la façon d’une Sofia Coppola dans son Marie-Antoinette, les attributs de deux époques, l’ancienne édulcorée par la nôtre.

Trois filles amoureuses, à l'aube de leur aventure, pour le Bloom de Gucci.
Trois filles amoureuses, à l’aube de leur aventure, pour le Bloom de Gucci.© GUCCI

Cet  » entre filles  » auquel semblent revenir les jeunes femmes d’aujourd’hui maintenant qu’elles n’y sont plus contraintes – ce n’est sans doute pas un hasard si les cercles féminins tout sauf féministes sont à nouveau en vogue – se veut militant, du moins en surface. Luma Grothe, qui incarne l’une des Merveilleuses de Roger & Gallet, est présentée comme une entrepreneuse engagée à la tête d’une association visant à combattre les stéréotypes, bien que, à l’instar de la top Camille Rowe, ce soit sans doute le nombre de ses followers sur les réseaux sociaux qui ait justifié ce choix. Les héroïnes de Michele sont vendues comme de vraies battantes, l’une d’elles est carrément une actrice transgenre.

Le gang de copines remplace l'idéal masculin
© GUCCI

L’idée du partage dépasse d’ailleurs les échanges filmés à l’écran. Le caractère de plus en plus inclusif et participatif de ces campagnes a trouvé son point d’orgue cette année chez Dior avec le  » Poison dance challenge « , soit cinq chorégraphies détaillées dans des vidéos tutos pour reproduire à la maison  » le  » move de ces nouvelles guerrières bien décidées à imposer leur vision décomplexée de la séduction. Dans le même ordre d’idées, plus rien ne se lance désormais sans un chapelet de hashtags associés. Un réflexe que les post-Millennials, ceux qu’on labellise Z sans avoir même commencé à les cerner, ne se privent pas de moquer…

Le contre-pied de Paco Rabanne

On pourrait s’étonner que le modèle de la bande de potes n’ait pas encore percolé dans les schémas narratifs des campagnes de parfums masculins destinées aux jeunes gens de la génération Y. Pour les experts du secteur, il faut y voir le signe que ce segment, somme toute encore anecdotique, ne reçoit pas la même attention que son pendant féminin. Réputés plus fidèles à leurs jus, les hommes se contenteraient d’ailleurs d’une seule fragrance. Aussi, le parfum étant plutôt de l’ordre de l’intime, il est sans doute moins probable qu’il fasse l’objet de discussions animées entre copains, voire d’échanges dans les vestiaires.

Le gang de copines remplace l'idéal masculin
© PACO RABANNE

On notera toutefois que pour le lancement d’Y, Saint Laurent a fait appel non pas à une mais à trois égéries, certes bien distinctes et appartenant à des univers totalement différents, comme pour mieux couvrir le spectre des différentes  » tribus  » en vogue auprès des Millennials. Plus décalé encore, le spot pour le nouveau Paco Rabanne Pure XS met en scène lui aussi une bande de filles, cette fois complètement sous l’emprise d’un beau gosse à la charge érotique palpable (photo). Incarnation baroque du mâle irrésistible, il se laisse mater derrière un miroir sans teint. On est dans le second degré, bien sûr, l’humour un brin grivois est la marque de fabrique de la griffe qui n’embraie pas du tout sur la tendance féministe chère aux cadors du marketing.

3 questions à Émilie Falagan

Qu’est-ce qui rend les Millennials si différents des autres consommateurs ?

Nous considérons qu’ils et elles sont nés entre 1981 et 1997 et ont été élevés  » online « . Ils sont connectés en permanence et leur profil digital est une part essentielle de leur identité, ils accordent d’ailleurs beaucoup d’importance à la validation de leurs choix par leurs pairs à travers les réseaux sociaux. On les dit autocentrés mais ils sont très conscients des enjeux du monde qui les entoure. La période est trouble. L’amitié et le cocon familial sont redevenus centraux car leur besoin d’ancrage est réel.

C’est avant tout dans la com’ plus que dans le produit que la différence se fait ?

Pas uniquement. Le goût pour les fragrances gourmandes n’est pas si présent chez les cibles plus âgées. Au niveau du flacon de Girl of Now, nous avons voulu réinterpréter des codes vintage car si les jeunes filles ont gardé le sens de la tradition, elles souhaitent la moderniser. Je pense qu’on est passé du parfum signature, qui vous accompagnait plusieurs années, au parfum lifestyle qui se porte comme un accessoire. Chacune en possède plusieurs et en change selon son humeur, ses vêtements. Elles se les prêtent, aussi. Il y a une désacralisation du jus identitaire.

Mettre en scène des groupes de jeunes filles, cela se faisait déjà dans les années 80, lors du lancement d’Anaïs Anaïs, un des premiers parfums générationnels…

Peut-être, mais celles que l’on voit dans les spots aujourd’hui sont plus militantes. Elles refusent d’être définies en fonction de l’existence ou non d’une relation amoureuse ou du regard que pourrait porter sur elles un alter ego masculin. La séduction telle qu’on l’entendait autrefois n’est plus du tout valorisée. Elles veulent plaire, oui, mais en restant elles-mêmes et pour ce qu’elles sont vraiment.

Le contre-pied de Paco Rabanne

On pourrait s’étonner que le modèle de la bande de potes n’ait pas encore percolé dans les schémas narratifs des campagnes de parfums masculins destinées aux jeunes gens de la génération Y. Pour les experts du secteur, il faut y voir le signe que ce segment, somme toute encore anecdotique, ne reçoit pas la même attention que son pendant féminin. Réputés plus fidèles à leurs jus, les hommes se contenteraient d’ailleurs d’une seule fragrance. Aussi, le parfum étant plutôt de l’ordre de l’intime, il est sans doute moins probable qu’il fasse l’objet de discussions animées entre copains, voire d’échanges dans les vestiaires.

Le gang de copines remplace l'idéal masculin
© PACO RABANNE

On notera toutefois que pour le lancement d’Y, Saint Laurent a fait appel non pas à une mais à trois égéries, certes bien distinctes et appartenant à des univers totalement différents, comme pour mieux couvrir le spectre des différentes  » tribus  » en vogue auprès des Millennials. Plus décalé encore, le spot pour le nouveau Paco Rabanne Pure XS met en scène lui aussi une bande de filles, cette fois complètement sous l’emprise d’un beau gosse à la charge érotique palpable (photo). Incarnation baroque du mâle irrésistible, il se laisse mater derrière un miroir sans teint. On est dans le second degré, bien sûr, l’humour un brin grivois est la marque de fabrique de la griffe qui n’embraie pas du tout sur la tendance féministe chère aux cadors du marketing.

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