Le Levi’s 501 a 150 ans: retour sur le succès de ce jeans iconique

Un Levi’s datant de 1937 avec son étiquette rouge typique. © SDP

En mai, le jeans le plus célèbre au monde fête ses 150 ans. Quinze décennies que le modèle 501 de Levi’s a traversées sans heurt. Un parcours où il est question de qualité, d’ingénieuse publicité et de parfait timing.

Si on entend un peu partout que le 501 fête son cent cinquantième anniversaire en 2023, ce n’est pas tout à fait exact, celui-ci n’ayant été mentionné pour la première fois dans les carnets de commandes de Levi Strauss & Co qu’en 1890. L’objet des célébrations est en réalité plutôt le jeans Levi’s tout court, l’embryon du modèle précité.

La célèbre marque doit son nom et sa destinée à Löb «Levi» Strauss, un Bavarois qui, en 1847, à l’âge de 18 ans, émigre à New York pour tenter sa chance. Ses frères Jonas et Louis y tiennent un commerce de gros, et le jeune homme fait ses armes à leurs côtés. Six ans plus tard, il ouvre une filiale à San Francisco. La société, Levi Strauss & Co, est spécialisée dans les vêtements de travail pour les mineurs, cow-boys et chercheurs d’or. Elle importe également du linge de lit, des peignes, des portefeuilles et des mouchoirs de poche. Jacob W. Davis, un client de Strauss à Reno, au Nevada, lui soumet l’idée de consolider les pantalons d’ouvriers au moyen de rivets en cuivre. Les deux hommes s’associent et, le 20 mai 1873, ils obtiennent un brevet pour leurs «waist overalls» innovants, les premiers jeans dans l’histoire. Ceux-ci se composent de denim bleu de la manufacture textile Amoskeag, située à Manchester, dans le New Hampshire.

‘Personne ne sait pourquoi le nombre 501 a été choisi, les archives de Levi’s ont été détruites lors du grand séisme de San Francisco en 1906.’

La référence «501» est utilisée pour la première fois en 1890, spécifiquement pour les jeans en denim. C’est une nouveauté en matière de comptabilité: il est ainsi plus simple de répertorier le produit à l’aide de chiffres qu’avec une longue description. Personne ne sait toutefois pourquoi ce nombre a été choisi, les archives de Levi’s ayant été détruites lors du grand séisme et incendie de San Francisco en 1906. Strauss est alors déjà mort. Reprise par ses neveux à l’époque, l’entreprise est aujourd’hui encore entre les mains de la famille.

Strauss, Davis et leurs descendants ont doté les pantalons Levi’s de plusieurs détails qui les démarquent de la concurrence, en particulier lorsque leur brevet tombe dans le domaine public en 1890 et que d’autres fabricants ont le droit de confectionner des jeans. Ainsi, en 1886, ils ont l’idée de l’étiquette en cuir portant le logo des deux chevaux, toujours utilisée de nos jours… même si celle-ci n’est plus en cuir. Autres signes distinctifs: la petite étiquette rouge sur laquelle figure le logo ®Levi’s en lettres blanches, introduite en 1936, la cinquième poche sur le côté arrière gauche (1901), les passants de ceinture (1922) et le 501Z, un 501 avec Zip à la place des boutons (1954), résultat du succès grandissant du jeans sur la côte est des Etats-Unis, où les hommes semblent préférer ce type de fermeture.

De Marlon Brando à Blondie

C’est lors de la Seconde Guerre mondiale et surtout à sa suite que le jeans conquiert le monde. Levi Strauss & Co envoie de nombreux pantalons aux soldats américains qui sont au front, amenant les Occidentaux et les Japonais à adopter le denim à leur tour – le Coca-Cola, le chewing-gum et le rock’n’roll suivront la même voie. Plus tard, la propagande américaine fera de ce vêtement un symbole de l’Occident libre et donc une arme dans la lutte idéologique contre les pays communistes derrière le Rideau de fer.

Aux Etats-Unis, les femmes, elles, commencent à porter du denim dans les usines où elles sont mobilisées en tant qu’ouvrières pendant la guerre, les jeans rigides et épais les protégeant des éclats des machines à souder.

Dès la seconde moitié des années 40, ce pantalon passe d’une tenue purement utilitaire à une pièce cool, et de l’Amérique au monde entier. Les jeunes en font leur uniforme, influencés notamment par Marlon Brando, qui porte un Levi’s 501 dans L’Equipée sauvage, en 1953. Son personnage, Johnny Strabler, chef du Black Rebels Motorcycle Club, qui l’associe à un tee-shirt blanc et un perfecto en cuir noir, devient l’archétype du rebelle du XXe siècle. Elvis s’en inspire pour le clip de Jailhouse Rock, et les Beatles tiendraient leur nom des «Beetles», les ennemis de la BRMC. Deux ans plus tard, dans La Fureur de vivre, James Dean arbore un jeans, un tee-shirt blanc et un blouson en Nylon rouge McGregor. Certes, il ne s’agit pas d’un Levi’s, mais d’un Lee 101Z Rider.

Au même moment, des hommes d’affaires des quatre coins du globe surfent sur la vague. Le Japon possède EDWIN (anagramme de DENIM, avec un M retourné), importateur de pantalons en jean américains fondé en 1947. L’Italie Roy Rogers, dès 1952. En Belgique, Salik détient une usine de jeans à Quaregnon, dont les publicités reposent sur des personnages de BD comme Lucky Luke et Tintin. L’entreprise, lancée après la guerre en tant que distributrice de surplus militaire, se distingue par ailleurs avec son Kangourak, rival du Français K-Way.

Dans les années 60 et 70, lorsque tout le monde commence enfin à parler d’eux, les jeans deviennent omniprésents, notamment en tant qu’élément essentiel de l’uniforme du baby-boomer. La pièce est adoptée par toutes les sous-cultures: des motards dans l’érotisme homosexuel du dessinateur Tom of Finland en passant par les hippies avec leurs pattes d’eph aux punks américains, Deborah Harry de Blondie et les Ramones en tête. D’ailleurs, sur la pochette assez iconique du premier album de ces derniers, les membres du groupe portent un 505, tout comme Joe Dallesandro sur la cover de Sticky Fingers des Rolling Stones, conçue et photographiée par Andy Warhol. Il faut néanmoins attendre 1981 pour que Levi Strauss & Co lance un 501 pour femmes.

‘Dans les années 80, Levi’s consacre une campagne ingénieuse au jeans par le biais de clips vidéo tout à fait dans l’esprit MTV de l’époque.’

Le pantalon universel

La «canonisation» du 501, en particulier, est un phénomène des années 80. Levi’s consacre alors une campagne ingénieuse au pantalon par le biais d’une vidéo britannique de 1985 dans laquelle le top-modèle Nick Kamen se déshabille dans un lavoir fifties sur fond de I Heard It Through The Grapevine de Marvin Gaye. Deux ans plus tard, la marque sort le clip qui met en scène un modèle vêtu d’un 501 s’immergeant dans sa baignoire. La bande-son? What A Wonderful World de Sam Cooke. Deux campagnes tout à fait dans l’esprit MTV de l’époque. La marque redevient hip, et les ventes de boxers et de gel coiffant Brylcreem explosent grâce à Nick Kamen. Quant aux deux chansons, elles se hissent de nouveau au sommet des hit-parades. Pendant une décennie, Levi Strauss & Co exploite la formule des pubs cool et de la musique pop, notamment en 1999 avec la vidéo de la peluche pop Flat Eric et du tube Flat Beat de Mr Oizo, devenue aussi virale qu’un reel TikTok pourrait l’être aujourd’hui.

Depuis, le 501 est considéré comme LA référence de l’industrie du jeans ; celui auquel tous les autres doivent se mesurer, qu’ils soient skinny, baggy, straight ou flared, et ce quelle que soit l’époque. Il n’y a sans doute jamais eu autant de choix en la matière qu’en 2023. Des expériences à succès de Glenn Martens avec le denim pour la marque italienne Diesel, aux modèles abordables des grandes chaînes comme Uniqlo ou encore les versions à faible impact, à l’instar de la griffe belge HNST, en passant par les déclinaisons ridiculement chères du secteur du luxe.

Mais le 501 est à l’image du Coca-Cola ou de la Suisse: à la fois «the original» et neutre, complètement mainstream, mais cool malgré tout. Pour citer la campagne anniversaire de Levi’s, ce modèle représente «The Greatest Story Ever Worn», le pantalon universel et la pièce vestimentaire la plus connue de tous les temps.

Denim de Nîmes et jean de Gênes

Le mot «jean», qui n’est utilisé couramment que depuis les années 60, dérive de Gênes, la cité portuaire italienne connue pour ses marins en uniformes de denim. Denim, quant à lui, se réfère à la ville française Nîmes, où plusieurs fabricants de textile étaient établis.

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