Le second souffle de la maille belge

Valentine Witmeur Lab © iStock
Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Des écharpes douillettes aux cardigans cosy: ces dernières années, de nouvelles marques de tricot ont éclos dans notre pays, portées par la ruée pandémique vers des vêtements décontractés. Ce secteur, autrefois florissant chez nous, semble retrouver un second souffle.

L’image a fait le tour de la Toile en août dernier: dans les tribunes de la piscine olympique tokyoïte, le champion britannique de plongeon Tom Daley est en train de tricoter un pull garni des anneaux entrelacés. Un buzz volontaire, puisque le jeune homme récolte, grâce à ses créations, via un crowdfunding, de l’argent pour la lutte contre le cancer du cerveau, dont est décédé son papa.

Mais au-delà de l’anecdote, ce cliché a aussi remis, une fois de plus, la maille sur le devant de la scène. Autrefois reléguées au rang de joujoux pour mamys, les aiguilles et pelotes sont en effet, depuis plusieurs années déjà, brandies par les hipsters et autres branchés en quête d’authenticité et de homemade. Résultat, dans les collections de créateurs et les boutiques, les tricots débarquent également en force, pour ravir ceux qui aiment la matière mais ne se sentent pas l’âme tricoteuse.

Et notre petite Belgique ne fait pas exception, et ce n’est pas étonnant quand on connaît notre longue tradition lainière. A la fin du XIXe siècle, le secteur se portait à merveille. En Wallonie, Verviers, grâce à la Vesdre et à ses eaux de haute qualité, était même une des capitales mondiales de cette industrie… Aujourd’hui, la plupart des entreprises ont disparu, victimes des crises économiques. Il reste toutefois quelques irréductibles comme Traitex, qui s’occupe du nettoyage de la laine, ou Iwan Simonis, leader mondial de la fabrication de draps de billard. Côté Flandre, la société Cousy continue aussi à prospérer, collaborant avec de grands noms tels que Dries Van Noten, Haider Ackermann, Mosaert… et même Kanye West. Les initiatives se multiplient également pour soutenir les producteurs et inciter tout un chacun à utiliser de la laine du cru, via le programme européen Interreg Défi-Laines notamment (laines.eu). Quand au volet création, on compte aussi, chez nous, de jolis noms qui, pour certains depuis longtemps déjà, font revivre la maille et privilégient un approvisionnement et une production les plus locaux possible. Focus sur quatre d’entre eux.

Tom Daley en train de tricoter un pull garni des anneaux entrelacés, durant les JO 2020 de Tokyo.
Tom Daley en train de tricoter un pull garni des anneaux entrelacés, durant les JO 2020 de Tokyo.© Reuters

Christian Wijnants – « Je possède toujours des pulls que ma mère m’avait tricotés à mes 12 ans »

Le créateur belge n’a pas attendu que cela redevienne tendance pour inscrire le tricot dans son ADN. En 2013, Christian Wijnants remportait en effet le Prix international Woolmark. Depuis, ses pulls sont de véritables best-sellers. « Je savais tricoter avant même de commencer à coudre. Avec le tricot, on part véritablement de zéro, et avec un seul fil, on crée son propre matériau. Cela n’a rien à voir avec un tissu que l’on teint ou que l’on imprime. Vous concevez à la fois la forme et le textile. On ne s’ennuie jamais. Au bout du compte, l’innovation vient de vous. Vous avez le pouvoir de réinventer les choses », dit-il. Ce sont des machines japonaises Shima Seiki qui fabriquent ses tricots circulaires. Les pulls sans coutures sortent de la machine totalement achevés. De cette manière, il n’y a aucun déchet. Christian Wijnants travaille également avec des ateliers en Espagne, en Bulgarie, en Italie et au Portugal. « Au fil des années, j’ai trouvé le bon fournisseur pour chaque spécialité, se réjouit-il. Par exemple, le tricot à la main est réalisé en Bosnie. Là-bas, le savoir-faire en la matière est incroyable. » La maille a toujours fait partie de ses collections. Toutefois, les ventes ont, selon lui, fortement augmenté l’année dernière: « Indéniablement, un bon pull est l’idéal pour une journée de travail à la maison. Une chose est sûre, ce type de vêtement peut encore se développer. Depuis 2020, nous proposons une collection Essential regroupant des modèles intemporels aux couleurs moins prononcées. Ces tricots ne s’abîment jamais, ils gardent leur valeur. Je possède moi-même toujours des pulls que ma mère m’avait tricotés à mes 12 ans. »

Christian Wijnants
Christian Wijnants© DAMON DE BACKER

Howlin’ – « Nous n’avons délibérément pas suivi la tendance des marques d’héritage »

Howlin’ est le label anversois des frères Jan et Patrick Olyslager. Leurs tricots colorés en laine shetland proviennent d’ateliers traditionnels écossais et toute la collection été est fabriquée en Belgique. « Nos parents étaient dans le métier et avaient déjà des contacts dans les années 80, lorsque l’Ecosse était l’épicentre de la mode du tricot, racontent-ils en choeur. Plus tard, tout le secteur s’est déplacé en Asie, et nous avons dû trouver de nouveaux fournisseurs. En revanche, les quelques ateliers survivant outre-Manche détiennent une grande expertise. Même Chanel y possède son usine de tricot. » En 2009, le duo s’est rendu au salon de Berlin avec sa première collection et le succès fut immédiat. Directement, les deux Belges ont séduit une trentaine de clients, de belles boutiques correspondant à leur marque. « L’innovation réside dans la spécialisation dans une catégorie de produits, la laine shetland locale, justifient-ils. Cela plaît aux boutiques de niche qui perçoivent la qualité. Howlin’ sublime les tricots écossais artisanaux de façon moderne. Nous n’avons délibérément pas suivi la tendance des marques d’héritage: nous avons donné un nouveau look aux classiques. La texture des laines combinée aux magnifiques techniques rendent le tricot écossais inimitable. Notre fabricant de fils est unique au monde. Il réalise toutes les étapes de fabrication et nous pouvons même créer nos propres couleurs. En prime, les fils sont toujours un mélange de couleurs. C’est ce qui donne leur richesse aux pièces. Sans parler de la texture: le tricot n’est jamais plat. » 95% des ventes du label se font en dehors de la Belgique, en Corée notamment, preuve de son succès international. Nous sommes conscients de proposer un produit de niche, avec un prix plus élevé qui s’explique par la production de proximité », concluent-ils.

Howlin'
Howlin’© DAMON DE BACKER

Valentine Witmeur Lab – « Le succès de la maille réside dans sa polyvalence »

Valentine Witmeur Lab a connu un véritable boom, passant d’une ligne de cinq pulls en 2015 à un label international proposant des silhouettes complètes en maille, six ans plus tard. « J’ai toujours désiré avoir ma propre marque mais je ne m’y attelais pas vraiment. Jusqu’à ce que j’aie soudain une révélation: je devais fabriquer des pulls, raconte la créatrice. D’après ma propre expérience d’achat, je savais qu’il n’y avait rien d’exceptionnel sur le marché. Alors qu’en Belgique, c’est un article que l’on porte neuf mois sur douze. Je connaissais quelques personnes dans l’industrie de la mode. J’ai donc rencontré un agent de production italien qui connaissait un producteur correspondant à ce que je recherchais. »

Sa première ligne de cinq pulls en taille unique a vu le jour. Aujourd’hui, chaque collection compte soixante pièces. En novembre, la marque lancera également ses premiers Essentiels: trois pulls surdimensionnés, disponibles en quatre couleurs. « Le succès de la maille réside dans sa polyvalence, insiste la Belge. C’est un article incontournable, comme une chemise blanche. Vous le combinez aussi bien avec un jeans qu’avec une jupe en soie. Les tricots sont souvent sous-estimés, les gens pensent immédiatement à des pulls en laine épaisse. Or, il existe un large éventail de techniques, tant dans la conception que dans la composition des fils. La production belge ferait grimper notre prix. La marque Valentine Witmeur Lab est synonyme de qualité, mais nous souhaitons qu’elle reste abordable. » Valentine Witmeur voulait absolument produire à proximité, tout en étant informée de chaque étape du processus. Depuis le début, elle collabore donc avec un atelier familial spécialisé, au nord du Portugal. « Il est primordial de soutenir ces ateliers, dit-elle. Cela rend la production transparente et va à l’encontre de la production de masse à bas prix. »

Valentine Witmeur Lab
Valentine Witmeur Lab© DAMON DE BACKER

Stéphanie Anspach – « Tricoter, ce n’est pas comme acheter un tissu. Vous concevez votre propre matériau »

En 2015, Stéphanie Anspach, alors âgée de 22 ans, a lancé son propre label en autodidacte. Elle a d’abord commencé par des collections complètes, mais s’est vite rabattue sur un seul type de produit: le tricot. « C’est dans cette activité que je pouvais le mieux exprimer ma personnalité, justifie-t-elle. Et puis, il est bien plus facile de travailler en se concentrant sur un seul produit. Vous dépendez moins des différents producteurs et fournisseurs. Mes mains s’expriment davantage dans la maille. La laine est très polyvalente sur le plan pratique. Vous pouvez combiner tellement de points et de techniques. Tricoter, ce n’est pas comme acheter un tissu. En réalité, vous concevez votre propre matériau. »

Toutes les pièces sont fabriquées à la main dans deux ateliers belges – Cousy à Zottegem et une maison anversoise: « Ce sont de vrais artisans, avec un énorme savoir-faire. Ils produisent pour des labels haut de gamme en Belgique et en Europe, tout en se souciant de la qualité. Ils comprennent mes idées et j’ai un contact personnel avec les personnes qui réalisent mes projets. » Cette relation humaine est essentielle pour elle. Dès le départ, elle estimait qu’il était important, voire évident, de produire près de chez elle: « Il y a l’aspect éthique, bien sûr, mais c’est aussi tout bonnement plus pratique. Je peux moi-même inspecter les échantillons et faire les ajustements. La production belge est certes plus chère, mais j’économise énormément sur les frais de transport. C’est aussi plus logique pour une petite production comme la mienne ; je ne fabrique pas un produit de masse et je garde délibérément ma production à petite échelle. Et puis, produire à l’étranger n’est pas compatible avec ma façon de travailler. Je vise principalement le public belge et français. »

Stéphanie Anspach
Stéphanie Anspach© DAMON DE BACKER

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