Madrid: capitale underground de la mode

Et si la capitale espagnole était devenue l’épicentre underground de la mode ? Nous sommes allés à la rencontre d’une scène alternative et fashion qui inspire aujourd’hui toute la planète.

Entre street chic et minimalisme, la collection printemps-été 17 de la designer Pepa Salazar.
Entre street chic et minimalisme, la collection printemps-été 17 de la designer Pepa Salazar. © PEPA SALAZAR / SDP – GERARD ESTADELLA

 » Si la Movida des années 80 a été l’âge d’or de la culture pop espagnole, aujourd’hui nous vivons un âge d’argent.  » Popy Blasco parle en se promenant à Madrid, dans la vaste et toujours bouillonnante Gran Via, où les Zara et les McDo se mêlent aux boutiques d’objets religieux et aux magasins de souvenirs dans lesquels s’accumulent les muñecas, ces poupées en plastique habillées en Sévillanes. Ce journaliste sait de quoi il parle : dans son émission de radio, il interviewe aussi souvent des icônes de la Movida, comme Pedro Almodóvar ou la chanteuse Alaska, que les personnalités du moment comme l’it girlSita Abellan ou le réalisateur Carlos Vermut.  » Tout est arrivé du jour au lendemain, en un peu plus d’un an, ajoute-t-il. La scène musicale, le cinéma d’auteur et surtout la mode sont en pleine effervescence. Soudain, Madrid est devenue un vivier où les Espagnols et les étrangers viennent s’inspirer, et qui, à l’inverse, exporte son talent partout dans le monde.  » Lorsqu’on lui demande, avec une petite hésitation, s’il parlerait d’une sorte de néo-Movida, il s’écrie, enthousiaste :  » Oui ! Il y a tellement de similarités avec ce qui se passait pendant les eighties, c’en est presque troublant.  »

Cette ville possède une énergie bordélique, punk même, avec ses rues désordonnées, ses graffitis, ses cafés…

 » On a beaucoup de chance. Contrairement à Londres ou à New York, Madrid n’a pas beaucoup changé durant les trente dernières années. Cela vient sans doute de son côté assez  » provincial  » « , observe Luis Venegas. Il est l’éditeur des magazines EY ! Magateen et Candy, des publications très pointues dédiées aux cultures jeunes et transgenre – l’un des derniers numéros de Candy a été dirigé par le mannequin trans Hari Nef, en collaboration avec la photographe Nan Goldin.  » Cette ville possède une énergie bordélique, punk même, avec ses rues désordonnées, ses graffitis, ses cafés – dont la déco est la même depuis les années 40 – pleins de vieilles dames en train de manger des churros, qui côtoient des night-clubs bruyants et sales, et des groupes de rock qui font la fête toute la nuit. C’est une ambiance différente qui donne, même si ce n’est que de façon inconsciente, une culture unique « , précise-t-il. La Movida était fascinante parce qu’elle mélangeait cinéma, musique, photo et art, mais aussi pour son esthétique entre punk et folklore : comment oublier la chanteuse Alaska, 16 ans, vêtue et maquillée comme Siouxsie Sioux, mais portant des éventails à pois en guise de crête, en 1980 dans le premier long-métrage d’Almodóvar ?  » Cette façon provocante d’associer culture institutionnelle, underground et pop, c’est ce qu’on retrouve aujourd’hui « , poursuit Popy Blasco.

Le succès des outsiders

Pour comprendre ce qu’il veut dire, il suffit d’observer Sita Abellan, la meilleure ambassadrice de la mode madrilène. Cette  » techno princess  » ibérique n’a pas peur de porter un total look Loewe avec des cuissardes en vinyle rouge achetées dans un sex-shop, ni d’associer des pièces de Gosha Rubchinskiy ou Vetements à celles des créatrices espagnoles Maria ke Fisherman ou Pepa Salazar. Ni d’affirmer, d’une voix amusée :  » Je ne me rends toujours pas vraiment compte de ce qui est en train de m’arriver. Je ne suis qu’une fille de Murcia !  » Elle nous parle depuis Milan, où elle travaille sur un projet avant de faire un saut dans sa ville natale du sud de l’Espagne, pour ensuite rejoindre New York.  » Madrid est sans doute une ville plus chaleureuse que les autres. Je suis fière de mes amis madrilènes, de leur créativité et leur détermination « , lance-t-elle, enthousiaste… Et cet amour est réciproque.  » Sita est notre muse à tous « , se réjouit Maria ke Fisherman.  » Elle et Aaliyah Rosales incarnent la Madrid d’aujourd’hui. Non seulement, elles nous inspirent, mais elles collaborent aussi avec nous !  »

Aaliyah Rosales est la muse de la scène mode madrilène.
Aaliyah Rosales est la muse de la scène mode madrilène. © PEPA SALAZAR / SDP – GERARD ESTADELLA

 » Je m’appelle en vérité Soraya, je ne sais plus trop comment j’ai adopté le nom Aaliyah, explique en riant cette jeune fille rousse qui ressemble remarquablement à Rossy de Palma. Je suis arrivée à Madrid il y a cinq ans. Je viens d’El Ejido, une ville andalouse, et je cherchais un endroit pour m’exprimer. J’ai commencé à travailler comme assistante pour plusieurs jeunes créateurs, puis peu à peu je me suis diversifiée « , raconte-t-elle. Aujourd’hui, elle est dans l’épicentre de la néo-Movida. Aaliyah fait des performances artistiques, du stylisme, réalise des costumes pour les films de Carlos Vermut (qu’on présente déjà en Espagne comme le nouveau Buñuel), et du consulting pour la marque du moment, Palomo Spain. Encensée par Nicola Formichetti, directeur artistique de Diesel, cette marque a été fondée, il y a un an, par le jeune Cordouan Alejandro Gomez Palomo, diplômé du London College of Fashion. Depuis, elle a défilé à New York lors de la dernière Fashion Week masculine.  » Notre production et notre studio sont toujours à Posadas, près de Cordoue, souligne le créateur. Mais je passe la plupart de mon temps à Madrid.  » Et c’est justement ce statut d’outsider qui rend son travail fascinant : car Alejandro franchit sans peur les frontières des genres. Ses garçons, habillés presque comme les femmes des films de Fellini, portent de longues robes vaporeuses et fleuries inspirées de celles des señoritasou, en ce cas, señoritos – du sud de l’Espagne au début du xxe siècle. L’effet est étrangement sensuel.  » Le sexe est mon inspiration, avoue Alejandro Gomez Palomo, sans fausse modestie, j’aime la façon dont il envahit et empoisonne tout.  » Son dernier lookbook a été shooté par Filip Custic et Kito Muñoz, deux jeunes photographes madrilènes qui comptent Vogue, Opening Ceremony et Nike parmi leurs clients. Et sont des habitués des soirées du Cha Cha, le club du moment, fondé par Andrea et Laura Vandall. Le duo à l’origine également de Ghetto Nailz, un salon de nail art qui travaille aussi pour des créateurs comme Paty Abrahamsson, Manémané ou Maria ke Fisherman.

Fondé en 1846, le maroquinier Loewe a mis en orbite la capitale espagnole, grâce à son directeur artistique, J.W. Anderson.
Fondé en 1846, le maroquinier Loewe a mis en orbite la capitale espagnole, grâce à son directeur artistique, J.W. Anderson. © PEPA SALAZAR / SDP – GERARD ESTADELLA

Shopping à Madrid

ekseption

La boutique madrilène de référence a été la première à vendre les collections de John Galliano en Espagne. Aujourd’hui, vous y découvrirez un mélange éclectique allant de Balenciaga à Etudes Studio, en passant par Palomo, Maria ke Fisherman et Loewe.

28, calle Velázquez.

MINI

L’endroit parfait pour acheter des marques pointues comme Y3, Raf Simons ou Gosha Rubchinskiy… et pour croiser Sita Abellan, qui est accro à la boutique.

24, calle del limón.

EL RASTRO

Ce marché aux puces en plein centre-ville est l’endroit où la Movida des eighties a commencé… En plus de vinyles et de jouets anciens, vous y dénicherez des blousons en cuir vintage et des pièces traditionnelles comme les foulards brodés de fleurs ou les peinetas (peignes à cheveux).

Calle de la Ribera de Curtidores.

LOEWE

Une des premières boutiques de la marque, qui garde encore des éléments de la décoration originale de 1939. Vous y trouverez une des plus grandes sélections des collections de Jonathan Anderson au monde. Incontournable.

8, Gran Via.

Un rite de passage

Ce mélange entre amitié, nuit et travail rappelle inévitablement celui des jeunes créateurs de l’East London (dans sa version non insulaire). Et on se prend à imaginer ce qu’ils pourraient faire s’ils avaient un organisme équivalent au British Fashion Council pour les soutenir.  » On ne va pas se mentir, les infrastructures pourraient être tellement meilleures, dit Popy. Le système officiel de la mode en Espagne fonctionne exactement comme il y a vingt ans, à partir de subventions et sans vraiment s’intéresser aux jeunes talents, en les méprisant même…  »  » Tant mieux pour eux !, ajoute Luis Venegas avec provocation. Cela les a forcés à travailler plus, à sortir, à devenir cosmopolites… C’est justement ça qui rend Madrid spéciale. D’un côté, il y a Loewe (NDLR : le maroquinier de l’aristocratie locale, propriété du groupe LVMH), plus présent que jamais dans la capitale. Son directeur artistique, Jonathan William Anderson, y passe beaucoup de temps, et nous ramène aussi ses collaborateurs internationaux. De l’autre, Demna Gvasalia fait défiler à Paris la performeuse Laura Forqué, Jeremy Scott, Balmain ou Diesel collaborent avec Sita… Cet échange fait toute la richesse de Madrid.  » Car, finalement, les Madrilènes d’adoption voient leur ville comme une sorte de rite de passage.  » C’est l’endroit où aller lorsqu’on veut échapper à la province, en attendant de pouvoir triompher à l’étranger « , explique Popy Blasco.  » A un moment, on quitte tous Madrid… mais on finit par y revenir, car Madrid, elle, ne nous quitte jamais.  »

Par Marta Represa

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