Mode: la fin des créateurs stars ?

Katrin Swartenbroux Journaliste

Un créateur qui s’affiche dans sa propre pub de parfum, dont le nom est aussi connu que la marque qu’il représente ou qui revient trois fois à la fin du défilé sous les vivats du public. Nous trouvons tout cela parfaitement normal. Mais est-ce qu’on prête encore attention aux vêtements ?

Christian Dior. Yves Saint Laurent. Vivienne Westwood. Pierre Balmain. Tommy Hilfiger. Ralph Lauren. Mary Katrantzou. Alexander Wang. Stella McCartney. Diane Von Furstenberg. Marc Jacobs. Simone Rocha. Tom Ford. Giorgio Armani. Christopher Kane. Indiquer son nom sur une étiquette ne va pas vous transformer en icône de la mode, mais cela vous permettra de monter une marque. Simplement parce que les gens aiment construire un lien de confiance avec les marques dans lesquelles ils investissent. D’autant plus qu’un nom est bien plus personnel qu’un terme plus générique comme Nice Clothing Inc. Et même si vos initiales ne sont pas inscrites sur les sacs qui quittent les boutiques où vos créations sont vendues, il est encore possible d’inscrire son nom au panthéon des modeux. Karl Lagerfeld, par exemple, a une ligne à son nom, mais il doit sa gloire à son rôle iconique à la tête de la maison Chanel (et Fendi) et son look reconnaissable entre mille. John Galliano est lui aussi un nom connu de tous, bien que pour d’autres raisons.

What’s in a name

Pourtant, de moins en moins de créateurs se lancent dans la jungle du monde de la mode sous leur propre nom. Ou du moins ils ne sont plus légion à faire sortir leur tête du lot. Ce secteur ô combien mouvant fait qu’ils ne veulent pas sacrifier leur nom à une entreprise qui n’a que peu de chance de survivre. Car que faire – légalement – lorsque la marque qui porte son nom est reprise par une autre entreprise et que l’on se fait éjecter ? C’est ce qui est arrivé à Kate Spade qui a quitté sa société un an après que celle-ci ait été reprise par le groupe Neiman Marcus Group en 2006. Celui-ci l’a transformée en une marque globale alors que la créatrice lançait sous le nom Frances Valentine ses propres chaussures et sacs à main.

Comment aussi s’assurer que la marque qui porte son nom reste raccord avec ses valeurs lorsqu’on n’est plus aux commandes ? On pense à Calvin Klein, Oscar de la Renta, Ralph Lauren, ou encore Donna Karan. Cette dernière a quitté l’entreprise en 2015 après l’avoir dirigée pendant 30 ans. Dans une interview de Fashionista.com, elle glisse l’expérience étrange qu’est la direction d’une entreprise avec laquelle vous partagez un nom. « J’ouvrais presque tout le courrier, car je pensais qu’il m’était adressé. Mon nom ne m’était plus réservé et c’était perturbant. »

L’autre explication, c’est qu’on assiste à un retour d’une certaine modestie dans le secteur de la création. Au-delà d’une personnification moins présente, on remarque moins de clinquant, moins de robes du soir et un recentrage sur la finalité première du produit.

L’une des figures de proue de ce mouvement est sans conteste le label Vetements. Pas de prise de position, mais de proportions, des volumes et des pièces que l’on voulait simplement porter. Le créateur ravive la flamme du mouvement No Logo de Naomi Klein qui n’en pouvant du name dropping et des logos criards se sont mis à porter des t-shirts publicitaires. L’un des faits de guerre de Gvasalia, directeur artistique de Balenciaga ? Faire payer les fashionistas 400 dollars pour un t-shirt jaune marqué d’un logo DHL. Il a retenté l’expérience il y a peu avec le sac IKEA chez Balenciaga. Le pire ? C’est que ça marche.

« Il est important que l’accent soit mis sur le vêtement et sur sa finalité et pas sur la personne derrière ce vêtement », disaient Elodie Ouedraogo et Olivia Borlée lors du lancement de leur ligne de vêtements sportifs 42|52. Si elles ont choisi ce nom, et pas le leur – ce qui aurait commercialement pu se révéler plus intéressant – c’est parce qu’il symbolise le chrono qui a permis aux sportives de gagner la médaille d’argent sur le 4X100 mètres lors des Jeux Olympiques de Pékin.

Anonyme Designers

Les Italiens d’ Anonyme Designers travaillent dans ce même état d’esprit. « Les femmes qui achètent nos créations sont ma source d’inspiration, mes muses », selon Alessandro Pulcini qui a créé ce label il y a cinq ans avec Jonas Schneider. « Nous sommes heureux de constater que nous ne sommes plus les seuls et que de grands noms nous suivent dans cette tendance. »

Que la lumière délaisse les créateurs pour se concentrer sur les créations n’est pas quelque chose de nouveau dit The Independent. Maison (Martin) Margiela s’y attèle depuis 1989, tout comme Comme des Garçons, qui cache à merveille le genre et la nationalité japonaise de son directeur artistique Rei Kawakubo.

« Je pense que les gens sont trop souvent éblouis par les marques et que cela les transforme en victimes. Ils achètent une pièce uniquement pour la marque, pas parce qu’ils adhèrent au style, à la qualité ou aux finitions du vêtement. Et les marques en ont trop longtemps profité » dit Pulcini. « Nous pouvons redonner le pouvoir au consommateur, car celui-ci sait parfaitement ce qu’il préfère. In fine, la mode tourne autour de l’expression de son propre soi. »

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