Objets de tous les désirs, pourquoi les chaussures nous obsèdent-elles?

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Saison après saison, les stilettos nous élèvent à des sommets d’érotisme. Le point sur une fascination qui s’analyse mais ne se guérit pas.

Il y a quelques décennies, on aurait pris l’obsession des chaussures pour une bizarrerie, voire une perversion. Aujourd’hui, ce fétichisme est devenu une passion ordinaire qui s’exhibe au grand jour dans toutes les capitales.

Championnes du talon glamour tout-terrain, les Moscovites s’amusent à courir le 50 mètres, perchées sur des stilettos d’au moins 9 centimètres (un concours organisé en juillet dernier par l’édition russe du magazine Glamour). Les Américaines, en bonnes compatriotes de Carrie Bradshaw, en possèdent en moyenne une vingtaine de paires dans leur garde-robe, soit plus du double des Françaises. Pourquoi le soulier est-il devenu l’accessoire de mode le plus désirable du XXIe siècle ?

« La chaussure a toujours été un objet de fascination car elle est comme un prolongement du corps qui traduit à la fois un état psychologique et social, explique Valerie Steele, commissaire de l’exposition Shoes Obsession. Ces dernières années, sa palette d’expression s’est considérablement élargie grâce à des chausseurs de talent, à mesure que le vêtement, lui, devenait de plus en plus uniforme. » Leurs noms : Manolo Blahnik, Christian Louboutin, Pierre Hardy, bien sûr, mais aussi, dans la nouvelle génération, les Britanniques Nicholas Kirkwood et ses modèles sculpturaux, Charlotte Olympia dont les souliers boudoir pleins d’humour séduisent la planète mode. Ou encore des créateurs plus expérimentaux comme le Japonais Noritaka Tatehana et ses pointes de danseuse hautes de 45 centimètres, portées par Lady Gaga en 2012.

Mais si les souliers sont devenus une véritable obsession, c’est surtout grâce à leur pouvoir de séduction. « Les talons sont les objets érotiques les plus répandus depuis la disparition du corset, poursuit Valerie Steele, et ils demeurent aujourd’hui l’un des ultimes symboles de la différenciation sexuelle. » Et le chausseur Pierre Hardy de renchérir : « C’est un artifice qui fait naître une féminité construite. Cela positionne le pied sur une cambrure extrême qui n’est pas naturelle, rebascule les équilibres, tend les jambes, cambre les reins. Le corps se met en tension. » Bloc, aiguille, virgule acérée comme une dent de tigre (Walter Steiger), ou constitué de bois et de Plexiglas comme des béquilles (Givenchy)… Selon les saisons, les talons n’en finissent pas de modifier la position du corps, dans une mise en scène du désir, parfois à la limite du supplice.

14 centimètres de vertige sans patin : tel est aussi l’adage d’Ernest, la boutique de souliers sexy de Pigalle, le quartier chaud de Paris, qui profite de cette vogue des hauteurs extrêmes pour séduire une clientèle plus mode. « Le patin annule la cambrure. Or, plus le pied est cambré, plus c’est élégant », explique Isabelle Bordji, une passionnée qui a racheté récemment la marque. Zahia ne s’y est pas trompée en lui commandant les modèles de son dernier défilé de haute lingerie, ni le mannequin Baptiste Giabiconi, perché sur des escarpins Ernest lors d’une séance photo hommage à Helmut Newton (une série réalisée en 2009 par Karl Lagerfeld pour Purple Magazine). Belles de Pigalle, garçons ou fétichistes : disponible du 32 au 46 et pour 250 euros, la chaussure Ernest relèverait presque de l’acte militant.

Une envie de jouer, rendue plus acceptable depuis le succès du roman érotique Fifty Shades of Grey? Chez le créateur américain Stuart Weitzman, dont une des dernières campagnes mettait en scène une Natalia Vodianova couchée à moitié nue, mais chaussée des nouvelles bottes « 50/50 », on confirme l’influence du best-seller d’E.L. James. « Les femmes ne pensent qu’aux chaussures. Elles en rêvent durant la journée, les convoitent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C’est un peu comme l’histoire d’amour de Fifty Shades of Grey. Tout le monde veut 50 paires de souliers. » La saison dernière pourtant, sur les podiums, l’érotisme s’exacerbait à travers un répertoire adouci, où la fourrure (sur un escarpin Céline) le disputait à la mule de cocotte, revisitée en version satin rose et talon bloc chez Roger Vivier. Sans oublier les jeux d’effeuillage, donnant raison à Helmut Newton lorsqu’il déclarait : « Une bonne chaussure n’est pas une chaussure qui habille mais qui déshabille. » Ainsi, les spartiates s’enroulent autour de la jambe comme des serpents de cuir (Gianvito Rossi). La résille (Alexander McQueen) et le vinyle encouragent les instincts voyeuristes, dénudant la cheville ou la naissance des orteils. Car, ne l’oublions pas, avertit Valerie Steele, « si le soulier possède pour les hommes une très forte charge érotique, pour les femmes, il est surtout un instrument de pouvoir. Le pouvoir du style et de l’imagination. »

Par Charlotte Brunel


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