On a rencontré Milda Mitkute, fondatrice de Vinted :  » Le défi est de faire de la seconde main un premier choix « 

Milda Mitkute © I4U studio
Stagiaire

Curieuse de jeter un coup d’oeil dans le placard des autres, Milda Mitkute a fondé Vinted il y a maintenant quatorze ans. Aujourd’hui, elle a quitté l’entreprise, mais revient sur le concept qui fut au départ une idée de potes. Une idée qui a littéralement révolutionné la seconde main.

Créé en 2008, en Lituanie, par Milda Mitkute et Justas Janauskas, Vinted s’est implanté au fil des années dans toute l’Europe en tant qu’opérateur en ligne permettant aux privés de vendre facilement ses vêtements et autres objets inutilisés. Si l’entreprise s’est durablement ancrée dans l’industrie du prêt-à-porter, c’est avec l’idée de prouver que « la seconde main peut être un premier choix ». Pari réussi puisque la plate-forme compte à ce jour 50 millions de membres et couvre 15 marchés en Europe et en Amérique du Nord. Le siège de la start-up se trouve à Vilnius, mais la société possède des bureaux à Amsterdam, Berlin, Utrecht et Prague, et compte plus de 1000 employés.

En 2021, les principales marques de vêtements revendues sur l’application, chez nous, étaient Nike, JBC, Levi’s et Petit Bateau ainsi que d’autres articles étiquetés vintage. Mais on retrouve aussi dans le catalogue des labels de décoration d’intérieur tels que Riviéra Maison, Casa, Villeroy & Boch… Avec ses deux millions de membres belges, la plate-forme espère responsabiliser les acheteurs, mais également les inspirer en les aidant à comprendre à quel point il peut être facile d’opter pour une mode plus responsable et circulaire.

Aujourd’hui, la jeune Lituanienne de 36 ans qui a lancé le mouvement, ancienne étudiante en Management Culturel, consacre, elle, sa vie à sa famille et a laissé la gestion à d’autres. Bien occupée entre ses quatre enfants et ses cinq chats, elle a néanmoins trouvé le temps, depuis Vilnius, pour nous accorder cette interview par écrans interposés.

Comment est née cette idée de créer Vinted?

Au départ, il s’agissait d’une idée égoïste. En raison d’un déménagement, j’avais trop de vêtements et je voulais simplement en réduire le nombre. Mais en ligne car dans la vraie vie, cela aurait pris trop de temps. J’ai gardé cela dans un coin de ma tête et par chance, j’ai rencontré Justas (NDLR: Janauskas, le co-fondateur de Vinted) à une soirée. Je lui ai alors expliqué mon concept, tout en lui disant que je ne savais pas comment créer une appli. Lui, était développeur. Et par chance, il était intéressé. C’est donc à cette soirée, à 2 heures du matin, qu’on a décidé de travailler sur Vinted.

À quel moment avez-vous réalisé que ce n’était pas un « petit » projet, mais une idée avec un potentiel ?

Les deux premières années, ce n’était qu’un projet de loisir, on a gardé nos jobs respectifs. Même quand Vinted a pris un peu d’ampleur, nous ne considérerions pas cela comme une entreprise. J’avais 21 ans, je ne réalisais pas et je n’étais pas intéressée par les affaires. Plus tard, nous avons commencé à recevoir beaucoup de propositions d’achat de notre concept. Mais nous ne voulions pas vendre, car il s’agissait d’un projet de loisir et c’était intéressant d’expérimenter et d’essayer des choses de notre côté. Si nous avions vendu, nous n’aurions plus pu faire d’expériences. Deux ou trois ans plus tard, notre premier partenaire nous a rejoints. Et il nous a dit que nous ne nous rendions pas compte du potentiel de Vinted, que le concept pouvait vraiment exploser. A ce moment, Vinted était déjà installé en Lituanie, en Allemagne et en République tchèque, et tout évoluait correctement et rapidement. Mais on ne réalisait toujours pas. Jusqu’au jour où notre partenaire nous a proposé de se lancer ensemble plus largement en Europe. C’est à ce moment qu’on a eu le déclic.

C’est-à-dire…

On a enfin constaté qu’avec Vinted, on pouvait vraiment augmenter la consommation d’articles d’occasion. En Allemagne, nous avons pu vraiment observer que nous étions en train de changer leur perception des articles d’occasion. Parce qu’avant, les gens achetaient en seconde main juste pour le prix, pas parce que c’était plus durable. Avec Vinted, nous avons commencé à changer cela en mettant en avant ces valeurs. Dans tous les pays européens, il y a une surconsommation de vêtements. Contrairement à nos grands-mères qui avaient une paire de chaussures qu’elles pouvaient porter en toutes saisons, nous en avons minimum deux, juste pour l’hiver… et aussi des robes que nous ne portons jamais !

Mais alors, pourquoi ne pas tout simplement donner ses vêtements?

Parce que j’ai remarqué que lorsque vous donnez quelque chose pour rien, les gens veulent l’obtenir uniquement parce que c’est gratuit. Donc, il faut au moins mettre le prix à 2 ou 3 euros pour déceler l’engagement chez l’acheteur.

N’avez-vous pas peur que Vinted encourage les achats compulsifs, puisqu’il est possible de revendre facilement ensuite ?

C’est plus compliqué que ça. Il ne s’agit pas seulement de vendre et d’acheter moins cher. Mais aussi d’être conscient de ce que vous avez dans votre placard et de ce que vous en sortez. Faire des photos des vêtements et les télécharger, ça prend du temps! Du coup, maintenant, quand j’achète quelque chose de nouveau, j’y réfléchis à deux fois car je sais que je ne peux plus jeter. Et trouver un nouveau propriétaire est chronophage. Donc, je m’interroge: « En ai-je vraiment besoin? » C’est donc tout le contraire de l’achat compulsif! Et je ne pense pas être la seule à raisonner comme ça. Mon profil d’acheteuse a changé depuis l’expérience Vinted.

Comment peut-on être certain de ce changement de comportement du consommateur grâce à Vinted ?

Cela vient avec le temps. Quand on a lancé Vinted, je me disais : « Oh mon dieu, tous ces placards sont à moi, je peux tout acheter. » Et j’ai acheté. Beaucoup. Et puis, la courbe s’est inversée. Je me suis rendue compte que ce n’était pas si rapide de revendre. Et la magie a opéré. Mon comportement a changé. On devient plus conscient avec le temps.

Avez-vous définitivement quitté l’entreprise ?

Je suis partie il y a cinq ans, et maintenant je suis en congé de maternité, donc je n’ai pas l’intention de revenir. Je suis en quelque sorte sur un projet familial, celui d’avoir cinq enfants. J’en ai déjà quatre…

Quel sera, selon vous, le plus grand défi pour Vinted dans les années à venir ?

Un défi majeur est selon moi de faire de la seconde main un premier choix. Chaque fois qu’une personne souhaite acheter un article, il faudrait qu’elle envisage immédiatement de l’acquérir en seconde main. Nous constatons d’ailleurs un certain changement, les gens commencent à avoir ce réflexe. Concrètement, les achats augmentent sur Vinted.

Et pour vous, Milda ?

Mon challenge personnel est davantage celui de créer un impact en termes de changement climatique. Je veux trouver un format qui change. Quelque chose qui ne serait pas comme le blabla habituel, mais qui comprenne conférences et événements. Je veux faire quelque chose que les gens vont écouter. C’est ça, mon futur challenge.

Par Myriam Karrout

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