Paris Fashion Week: Saint Laurent adolescent, Louis Vuitton vivifié, Chanel voyageur

Hedi Slimane pour Saint Laurent n’a jamais caché sa fascination pour les adolescents/es. Depuis longtemps maintenant, il les photographie. Et depuis 2012, il les habille en Saint Laurent Paris – habile calcul : on soustrait le Yves et additionne la ville Lumière, même si le studio de création est basé à Los Angeles, ne pas chercher à comprendre, de toutes façons, un changement de nom même minime, cela vous fouette les sangs. Et c’est ce que ce presque quinquagénaire s’est donné pour mission. Et sans surprise, il poursuit ce qu’il a entamé, sous le regard de Pierre Bergé qui considère désormais qu’entre Hedi et Yves, personne d’autre n’a compté pour la maison – ce qui est ma foi un peu cavalier pour Tom Ford et Stefano Pilati qui y oeuvrèrent en leur temps. On n’est donc pas surpris quand le parisien formé à l’Ecole du Louvre lance ses filles sur catwalk noir, sorties comme des bombes d’un cube noir lui aussi et constellé de loupiottes, tournant lentement sur lui-même et faisant ainsi sa propre révolution. Elles ont l’attirail des gamines d’aujourd’hui, repérées dans la rue ou dans les festivals, dans les backstage des défilés de mode ou les loges des groupes, grunge de préférence. Un diadème dans les cheveux, des bottes en caoutchouc, parfois customisées luxe, un chandail piqué à leur mec, ou son perfecto, ou son veston, un manteau de fourrure emprunté en douce à maman, une nuisette enfilée sur une culotte rouge ou noire, enfin toute la micro lingerie que l’on avait sous la main avant de sortir s’acheter un paquet de clopes et puis s’évanouir dans la nuit. Rien de nouveau sous le soleil, on connaît ces silhouettes juvéniles et le degré de vénération que leur voue monsieur Slimane. Qu’il les taille à sa mesure, pur luxe, a certes de la gueule, et selon ses moyens pécuniaires, on choisira la garde-robe Saint Laurent livrées clef sur porte ou l’on s’accommodera de celles de son boy-friend, de sa copine, de sa soeur, de sa mère ajustée à quelques fripes de derrière les fagots que l’on référencera immédiatement, parce qu’en mode, l’étiquette compte.

Nicolas Ghesquière pour Louis Vuitton a toujours prouvé sa fascination pour la coupe, les matières, les silhouettes nouvelles. Quinze ans passés chez Balenciaga lui ont évidemment forgé ce goût, sous l’ombre tutélaire du grand Cristobal dont se réclament beaucoup – dans ce monde ultra codifié, une telle influence vous range fissa dans la bonne catégorie. Dans le Jardin d’acclimatation, au pied de la Fondation maison architecturé par Frank Gehry, un espace tendu d’écrans attend la foule des grands jours, celebrities en tête et en Vuitton des pieds à la tête – de Michelle Williams (actrice) à Miranda Kerr (top-modèle) en passant par Xavier Dolan (acteur et réalisateur) ou Sofie Valkiers (fashion advocate/luxury shopper). Les images éclaboussent la toile, projection immédiate dans un monde virtuel – un homme, une pièce, puis l’abstraction, aplats de couleurs, paysages inaudibles qui défilent à toute allure, n’en restent que les lignes, vol ralenti d’un aigle royal filmé droit dans les yeux. La profusion empêche d’abord de se concentrer sur les vêtements, mais la vie n’est-elle pas ainsi ? Or, ce qui se passe sur le catwalk possède une énergie, agressive certes mais d’une justesse de ton imparable – avec Nicolas Ghesquière, on est toujours dans la concordance des temps. Son travail sur les patchworks de cuir renouvelle le genre, le monogramme en ressort vivifié. Son sens du détail le fait travailler toutes les ouvertures possibles sur une pièce, zip, boutons, rivets, crochets, qui changent la silhouette une fois dézippés, déboutonnés, dérivetés, décrochetés. Sa façon de faire tourner la boule à des jupes blanches donne du piquant à ces jeunes femmes assurées. Ses envies de make-up manga-esque, sa cabine hétéroclite, ses propositions de sacs qui pourraient ressembler à des jouets, tout dit l’assurance d’un créateur novateur.

Entre ces deux extrêmes, Chanel, qui ne fait jamais dans la tiédeur, rassurez-vous. Sous le dôme du Grand Palais, la maison de Mademoiselle fait en sorte que les rêves deviennent réalité : bienvenue au terminal 2C de l’aéroport Paris-Cambon, avec vue sur ciel bleu, où rien ne presse, un conte de fées. Last call for boarding, à la porte n°5, il n’y jamais de file. D’ici, on s’envole léger, avec la Chanel Airlines, trois petits bagages à main maximum, un trolley deux sacs assortis, pas besoin de plus, l’essentiel, on l’emporte avec soi, et cela ne prend pas de place. Dans l’oeil de Karl Lagerfeld, les jeunes filles qui s’apprêtent à embarquer ont un sens aigu de la modernité : elles sont coiffées d’une casquette ou d’un canotier (Gabrielle C. n’est jamais loin), elles portent des bottines en cuir argent et plastique transparent ou des sandales compensées qui ne sont pas sans rappeler les fameuses Birkenstocks que la mode vomissait il y a quelques années encore, est-il nécessaire de le rappeler, ce qui paraissait ignoble hier peut ne plus le paraître demain, surtout si quelques LED viennent renflouer la semelle ou que l’argenté fait briller ces tatanes confortables. S’il y a du jeans (avec camélia printé dessus tout de même), il y a aussi du tweed, forcément, du cuir, de la dentelle, de la guipure, du tulle, de la soie et de l’ottoman. Et sur ces habituées du jet-lag, le tailleur s’affiche, mais sans poches, sans boutons, sans ganse – allégez moi tout ça – tandis que les broderies raffinées, issues des ateliers que la maison chapeaute, leur donnent une allure soir décontractée. Elles osent superposer jupe sur pantalon larges, nouent leur pull à la taille, jongle avec les des couleurs du ciel, les imprimés des panneaux d’affichage et les fléchages, posent des lunettes pilote sur le bout de leur nez, glissent leurs mains dans des mitaines mains et domptent leurs cheveux avec un double catogan, joli clin d’oeil à ce monsieur si vif qui ne dit ni ne fait son âge – le privilège de ceux que la créativité régénère.

Anne-Françoise Moyson

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