Phar West, beauté antifasciste et maisons de couture sans gouvernail: 9 choses à retenir des Fashion Weeks Homme

Pharrell Williams avant le défilé Dior. © Getty Images

Avec une économie en perte de vitesse, la mode masculine joue la carte de la sécurité. Mais le rêve est toujours permis.

1. La mode est un système qui n’est résolument pas infaillible

À première vue, les choses ne vont pas très bien pour la mode. Les ventes ralentissent, les perspectives économiques ne sont pas au beau fixe et de nombreuses grandes maisons semblent à la dérive. C’est tout un système qui commence à craqueler et montrer ses failles.

Il y a trop de vêtements, et trop de vêtements arrivent sans cesse. Chaque saison, chaque semaine, chaque jour. Ce n’est pas nouveau, certes, mais il semble maintenant que cette abondance de collections, de sorties et de produits (et, dans le cas des Fashion Weeks, de défilés et de présentations) mette également un frein à la créativité. À l’imagination des créateurs, d’une part, et à la capacité des amateurs de mode (et des journalistes) à traiter encore un peu cette abondance de choses et d’élan, d’autre part.

En bref: la Fashion Week masculine, qui s’est achevée hier à Paris avec le retour du label berlinois GmbH, n’a pas été à la hauteur.

Et si les géants du luxe nous ont laissés de marbre, nous avons tout de même vu suffisamment de vêtements intéressants – des vêtements qui nous ont interpellés, qui nous ont fait rire ou que nous avions juste envie d’enfiler tout de suite – pour conclure: oui, l’hiver à venir en vaudra (quand même) la peine. Le logo d’un sweat-shirt chez Sacai, hier après-midi, annonçait « The Good Vibe Tribe » (la tribu des bonnes vibrations). Nous aimerions bien en faire partie.

2. Les stars de la K-pop et les joueurs de football ont une place de choix dans la mode

Les marques de luxe continuent de produire des ambassadeurs exclusifs, et chaque saison, un nouveau char de stars de la K-pop est lâché sur Paris et Milan. Chez Dior, entre autres, les fans étaient toujours aussi nombreux devant les portiques, mais l’hystérie d’il y a quelques saisons semblait s’être un peu calmée. Chez Dior toujours, le boys band Tomorrow X Forever a fait son apparition (ainsi que Haerin, une des filles de NewJeans, et le chanteur taïwanais un peu plus âgé Jay Chou, qui a rempli des stades à Londres et à Paris pour ses concerts la semaine précédente). Chez Louis Vuitton, les garçons de Riize étaient au premier rang.

Le groupe K-pop Riize chez Louis Vuitton © Getty Images

Nous avons donc repéré des rappeurs, des gens du cinéma et des footballeurs. Chez le créateur américain KidSuper, c’est Ronaldinho qui a foulé le podium tandis que des chants de foot retentissaient des coulisses. Chez Yohji Yamamoto, le réalisateur Wim Wenders est soudainement apparu à son tour sur le podium. Et à l’invitation d’Hermès, nous avons rencontré les acteurs de The Young Royals, la série suédoise de Netflix dont la troisième (et dernière) saison démarre en mars. La Maison Schiaparelli quant à elle, a ouvert, avec J-Lo et Zendaya au premier rang.

3. Pharrell a déménagé au « Phar West »

Grand, plus grand, plus gros: les marques de luxe aiment aller crescendo. Mais pour Louis Vuitton, qui avait loué le Pont Neuf la saison dernière pour les débuts de Pharrell Williams en tant que directeur artistique de ses collections masculines, il n’était pas possible de faire plus méga cette fois-ci.

Le défilé s’est donc déroulé sous une tente à côté de la Fondation Louis Vuitton. Un paysage rocheux du Far West était projeté sur les murs à l’intérieur, de sorte que l’inspiration était immédiatement évidente – cow-boys et Indiens, yeehaw. Ce genre de mode vestimentaire littérale est facile, mais aussi un peu désuète, même si, comme Pharrell, vous avez accès aux meilleurs studios et aux matériaux les plus raffinés. Tout cela ressemblait à une collection de Dsquared circa 2012, mais sans humour. Car si Pharrell aime tout ce qui est ludique et « mignon », il se prend aussi très au sérieux.

Le défilé Louis Vuitton © Getty Images

L’artiste protéiforme est ainsi apparu à la fin du défilé avec un chapeau de cow-boy et un tee-shirt de Human Made, le label de son camarade Nigo, dont il est le conseiller créatif officiel depuis la semaine dernière. Et Nigo, qui dirige Kenzo depuis quelques années, a aussi déambulé dans un tee-shirt de l’un de ses autres employeurs, Nike, après son spectacle dans la salle de lecture de l’ancienne Bibliothèque nationale. C’est comme si nous écrivions ici que le magazine De Standaard publie aussi de très bons articles sur la mode (totalement impensable).

C’était la cinquième collection de Nigo pour Kenzo, qui, comme Vuitton, appartient au groupe de luxe LVMH. Mais le talentueux Japonais, chouchou des spécialistes du streetwear, n’a jamais vraiment trouvé sa voie chez Kenzo. Cette fois, moins de références directes aux archives de Kenzo Takada, Nigo se concentre sur les matières, les détails, les passerelles entre Tokyo et Paris. Mais il a le même problème que Pharell: sa mode est prétentieuse, pleine d’elle-même, mais creuse.

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Jun Takahashi d’Undercover, qui a commencé à travailler avec Nigo (ils étaient copropriétaires de la boutique culte Nowhere à Harajuku, à Tokyo), reste toujours aussi brillant. Cette fois, dans son showroom du Marais, il a dévoilé une collection reprenant des imprimés de la série Twin Peaks, inspiration favorite des créateurs de sa génération (voir aussi Raf Simons).

4. Van Beirendonck reste d’actualité

Walter Van Beirendonck a organisé un défilé intime dans un appartement hausmannien classique, les mannequins déambulant dans les pièces avec leur propre bande sonore, se présentant parfois (« Je viens d’Espagne » a dit l’un des garçons). Les vêtements étaient neufs, mais le style, les coiffures, les accessoires et le maquillage étaient inspirés des défilés des années 90 de Wild & Lethal Trash, le label avec lequel Van Beirendonck était à l’époque un précurseur des méga défilés que les maisons de luxe organisent aujourd’hui. Il est bon de voir Van Beirendonck rester pertinent et aventureux, comme l’un des rares créateurs de sa génération. La collection était intitulée ‘Banana Wink Boom’: « Cela signifie tout et rien à la fois », a déclaré le styliste. Je joue à un jeu artistique frankensteinien avec mon propre esprit ».

Le show de Van Beirendonck, janvier 2024 © Getty Images

5. « La beauté est antifasciste »: il y a de l’espoir

La saison des Fashion Weeks a débuté, comme toujours, à Florence, chez Pitti, où cette fois-ci le créateur italien Magliano, le jeune Britannique S.S. Daley et le designer américain Todd Snyder (du luxe américain dans la lignée de Ralph Lauren) étaient à l’affiche. Achilles Ion Gabriel, directeur créatif de la marque de chaussures espagnole Camper, y a dévoilé sa propre griffe, dont l’esthétique rime avec Diesel. Nicolai Marciano, descendant de la famille Guess, a de son côté lancé une nouvelle ligne de denim moins polluante, Guess Jeans. La première boutique, parmi des centaines probablement, ouvrira à Amsterdam au printemps prochain.

Cela fait déjà bien trois ou quatre ans que nous pensons que Luca Magliano est le grand espoir de la mode italienne, et nous en sommes toujours convaincus. Il a d’ailleurs remporté l’important prix Karl Lagerfeld l’année dernière. Le défilé de Magliano, dans un gymnase, était impressionnant: les mannequins, hommes et femmes, descendaient lentement d’un escalier situé au milieu de la tribune, sur le modèle d’un légendaire défilé de mode sur la place d’Espagne à Rome, avec en finale une chanson du vieux chanteur contestataire italien Fabrizio de Andre.

Depuis le début, Magliano travaille sur l’identité de genre et la culture populaire. Lors d’une avant-première, le créateur a souligné que « la beauté est antifasciste ». Il a ajouté: « Nous avons choisi l’élégance des laissés-pour-compte comme critère, ce qui représente l’aspect social et politique de notre travail ». On peut philosopher à l’infini sur l’esthétique sans-abri de Magliano (et, avant lui, de Martin Margiela et de Vêtements, entre autres), mais nous ne le ferons pas ici.

Le show du prometteur Magliano © Getty Images

6. Gucci reste un chantier

A Milan, les poids lourds de la mode homme étaient de sortie. Gucci était particulièrement attendu, la marque ayant fait ses adieux à son directeur créatif Alessandro Michele il y a plus d’un an. Si Michele avait fait tourné la boutique avec succès pendant un peu moins de dix ans, sa formule a commencé à s’essouffler, et il était temps de passer à quelque chose de nouveau. Et pour cela, Gucci compte sur Sabato de Sarno, longtemps bras droit de Pier Paolo Piccioli chez Valentino. La semaine dernière, le directeur de création a présenté sa première collection masculine à Milan. Ses débuts en septembre, lors de la Fashion Week femme, avaient été accueillis avec tiédeur. Son deuxième jet, qui s’inscrivait dans la lignée du premier avec un certain nombre de silhouettes qui étaient elles-mêmes des adaptations de silhouettes de la collection Femme, n’a pas non plus réussi à convaincre. Peut-être les attentes étaient-elles tout simplement trop élevées. Après tout, il n’est pas évident de succéder à Michele.

Finalement, Gucci en 2024 est de nouveau plus proche de ce qu’il était auparavant. Pas franchement sexy comme à l’époque de Tom Ford, bien qu’il y ait de timides échos de cette période, mais élégante, solide et commerciale, un peu comme dans l’ère qui a suivi, lorsque Frida Giannini était directrice de la création et que les défilés de Gucci, qui se déroulaient alors toujours dans la salle de bal de l’hôtel Sheraton Diana Majestic, n’ont finalement que peu contribué à l’histoire de la mode.

Le défilé de Gucci ©Gucci

Ford était, selon les critères du luxe, un peu sauvage, Giannini beaucoup plus courageux. Michele: sauvage, De Sarno: plus courageux. C’est ainsi que la mode oscille toujours entre les opposés. Le minimum et le maximum, le long et le court, la couleur et le noir. En d’autres termes, il n’y a rien de spécial. D’ailleurs, Gucci sait au moins dans quelle direction elle veut aller, à savoir celle du luxe intemporel, classique et « réel ». Pas de sweatshirts à logo, ni de collections capsules absurdes inspirées des tenues de scène d’Elton John dans les années soixante-dix, ni de pulls à l’effigie de Donald Duck.

Ce penchant pour les vêtements « simples » était d’ailleurs universel, et pas forcément une bonne nouvelle. Tant Dries Van Noten que Comme des Garçons ont présenté des collections minimalistes par rapport à leurs standards. Mais, dans les deux cas, leurs collections étaient aussi très belles.

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7. Il y a moins d’attention à la durabilité et à la diversité

Prada tient bon, mais la collection dévoilée la semaine dernière était la plus faible depuis que Raf Simons a commencé à travailler avec Miuccia Prada. Le podium était un plancher de verre transparent sous lequel un jardin de rocaille éphémère était prévu, et les invités étaient assis sur des chaises de bureau. En coulisses, les créateurs ont parlé de la merveilleuse relation entre l’homme et la nature. Mais au final nous n’avons vu que des vestes oversize à trois boutons et des bonnets en laine.

Autre chose frappante: si la mode redevient plus conservatrice, il semblerait qu’elle accorde moins d’importance à la durabilité et à la diversité. Le premier point n’est pas nécessairement une mauvaise chose, car l’industrie textile pratique beaucoup le greenwashing. Il vaut mieux agir que communiquer.

Quelques looks du défilé Prada © Getty Images

8. Alors on danse

Dior s’est inspiré de son oncle, Colin Jones, danseur de ballet puis photographe, qui avait réalisé un jour un reportage photographique sur Rudolph Noureev, sans doute le danseur le plus célèbre du XXe siècle (un livre contenant les photos était posé sur la chaise de chaque spectateur). Le décor: une scène circulaire avec des cercles tournants. La bande sonore: un Prokofiev assourdissant. La collection: très raffinée, avec évidemment de nombreuses références au ballet (y compris des ballerines avec le motif canna tissé de Dior: la mary-jane similaire pour homme est de toute façon la chaussure du moment).

Le défilé Dior © Getty Images

Il y avait aussi de la danse à Lazoschmidl, mais à une échelle différente : un garçon vêtu d’un slip, d’une écharpe et de pantoufles de la marque a dansé lentement dans la vitrine d’une galerie d’art. Dirigée par un Allemand et une Suédoise et basée à Stockholm, Lzaoschmidl est l’une des marques les moins appréciées du calendrier des défilés parisiens, à la fois queer, amusante et intelligente. « Les choses vont très mal en ce moment », disent les créateurs du label en riant, « mais nous persévérons ».

9. Il y avait plein de nouveaux arrivants intéressants

D’autres noms sont à surveiller: MASU, qui a défilé pour la première fois à Paris après plusieurs défilés à Tokyo (un défilé très onirique, avec des paillettes et de l’obscurité), et 8ON8, une marque chinoise pour hommes qui a troqué Londres pour Paris.

Et nous avons même eu la chair de poule lors du dernier spectacle de notre agenda, ce dimanche soir: une procession de zombies sexy, qui semblait à la fois très romantique, chez le Japonais Doublet. « We must allow our frozen hearts to beat again » (nous devons permettre à nos cœurs gelés de battre encore), pouvait-on lire dans le programme du spectacle. « Nous devons nous permettre de ressentir à nouveau la chaleur de l’espoir. Car l’espoir est ce qui fait de nous des êtres humains. » À la sortie, le label avait installé un stand traditionnel, avec des okonomiyaki fumants qui nous ont réchauffés…

Depuis ce lundi matin à Paris, les maisons de couture sont à l’honneur. Schiaparelli a ouvert, avec J-Lo et Zendaya au premier rang.

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