Porté une fois avant d’être renvoyé: le wardrobing est-il la nouvelle façon de voler ?

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Acheter des vêtements en ligne, les porter une fois, puis les rendre. C’est ce qu’on appelle le wardrobing. Un phénomène qui atteint des sommets pendant la période de fin d’année. Est-ce que les boutiques en ligne nous facilitent trop la tâche, ou pèche-t-on par manque de moralité?

Vous paradez pimpante dans une superbe robe au diner de Noël, avant de la renvoyer le lendemain. Oseriez-vous le faire ? Peut-être pas, mais sachez que beaucoup de gens le font. Ce phénomène est à la hausse et est appelé wardrobing : un mot valise pour garde-robe et vol. Parce que même si ça semble innocent, en réalité cela s’apparente tout de même, un peu, à du vol, ou tout du moins à de la tricherie. En même temps, il est vrai que ce  » délit » ne demande pas beaucoup d’efforts. La politique qui encadre les retours des achats en ligne est tellement laxiste qu’elle semble vous pousser au crime. En moyenne, on a de deux à quatre semaines pour renvoyer nos achats. L’envoi, comme le retour sont gratuits et vous pouvez même reporter le paiement. Ceux qui retournent leur commande dans les temps ne se voient même pas retirer d’argent de leur compte.

Taches de ketchup et trous

La lutte contre cette forme de fraude n’est pas une chose aisée. Les magasins – en ligne et hors ligne – n’aiment pas accuser aveuglément leurs clients. Ils leur accordent donc souvent le bénéfice du doute avec pour effet pervers l’impression d’une certaine impunité. Trois journalistes du Laatste Nieuws ont testé les limites et ne les ont pas franchement trouvées. Ils ont commandé pour 900 euros de vêtements à Zalando, les ont portés un jour au travail et ont tout renvoyé. Quand le géant allemand du web a remboursé le montant dans sa totalité, ils ont commandé à nouveau. Cette fois-ci, ils ont porté les vêtements un peu plus longtemps et ont enlevé les étiquettes de prix, avant de les renvoyer. Cette fois encore, ils vont retoucher tout leur argent. La troisième fois, ils ont passé, portant la tenue qu’ils avaient commandée, des heures dans un local pour fumeur. La quatrième fois, ils ont poussé le bouchon encore plus loin en tachant de dentifrice et de ketchup les vêtements. Ils ont même délibérément fait des trous. Pas de quoi décourager Zalando qui a tout remboursé rubis sur ongle, une fois qu’ils avaient renvoyé leur commande. Les conditions de retour sur le site, pourtant très strictes, ne semblent pas être appliquées dans la réalité.

Zalando n’est pas d’accord avec ce constat. « La majorité de nos clients retournent les vêtements en parfait état. Environ 97 % de tous les retours peuvent, après inspection, être revendus immédiatement. Les abus sont limités « , déclare ainsi Andrea Ricciarelli, porte-parole de Zalando au Benelux. « Nous faisons tout simplement confiance à nos clients. »

Ne pas enlever l’étiquette

Le wardrobing coûte beaucoup d’argent aux boutiques en ligne. Chaque pièce doit être transportée, contrôlée, nettoyée à sec et stockée à nouveau. Zalando tente donc d’y remédier, un peu, depuis janvier. Ainsi, sur les articles plus chers, il y a maintenant une grande étiquette sur la face avant du vêtement où il est inscrit ‘Ne pas enlever cette étiquette’. « S’il était encore possible de cacher une étiquette dans le cou, ce n’est plus le cas avec une étiquette de ce genre-là »

« Pourquoi réagissent-ils si tard ? » demande-t-on à Jorg Snoeck qui a créé le site Web spécialisé Retail Detail et a écrit le livre The Future of Shopping.  » Contrairement à de nombreux magasins, Zalando ne vise pas le profit, mais une valeur marchande élevée. Et cela vous l’obtenez principalement en touchant un maximum de gens. En d’autres termes : plus les gens utilisent Zalando, plus l’entreprise a de la valeur en bourse. C’est absurde et pervers, mais Zalando a grandi avec le wardrobing. C’est justement parce que c’était si facile, que la boutique en ligne est devenue extrêmement populaire. Après tout, il y a une grande différence l’humain derrière le consommateur qui veut améliorer le monde et le consommateur que nous devenons dès que nous devons sortir nos portefeuilles. »

Le porte-parole de Zalando, Andrea Ricciarelli, réfute cette déclaration de Snoeck. « Notre ambition est d’être le point de départ de la mode. Nous voulons amener les cabines d’essayage chez les gens. Et c’est une réussite. Jetez un coup d’oeil à nos derniers chiffres trimestriels. Le chiffre d’affaires, la base de clients et les commandes : ils augmentent tous entre 17 et 26 pour cent. Et nous enregistrons aussi des profits. »

Selon Snoeck, ce problème est moindre dans les segments dits supérieurs. Parce qu’il y a moins de clients et que vous êtes donc plus susceptible d’être blacklisté. À titre de comparaison : Zalando compte 29,5 millions de clients, le groupe Yoox Net-a-Porter (qui comprend également Mr Porter et The Outnet) en compte 3,5 millions. À partir de 2020, bol.com vendra des vêtements. Peut-être qu’avec le temps, il y aura des cabines d’essayage chez Albert Heijn et Delhaize (tous deux faisant partie d’Ahold, tout comme bol.com) qui seraient comme des extensions du point de collecte classique. »

Être moins sournois

Le wardrobing est en sujet tendance, la dernière campagne de Diesel « ‘Enjoy before returning’ (Profitez avant de rendre) le prouve, où on voit des mannequins faire la fête avec des étiquettes sur leurs vêtements.

Porté une fois avant d'être renvoyé: le wardrobing est-il la nouvelle façon de voler ?
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« Si vous achetez, portez et retournez nos vêtements, arrêtez de le faire de façon sournoise et affichez la marque avec fierté. Nous n’allons pas vous pointer du doigt, comme d’autres marques », provoque Diesel. Le wardrobing n’est pas nouveau, mais il est en plein essor depuis le commerce en ligne. Remettre un objet dans une boîte et le rapporter demande en effet moins de courage que de ramener, mine de rien, une robe portée au magasin alors que le vendeur renifle des effluves de sueur ou de parfum.

Dans quelle mesure cela dérange-t-il réellement les magasins belges ? Lors de nos appels, on constate que le phénomène est relativement limité, sauf dans les grands magasins où le problème est plus important que dans les boutiques. À Galeria Inno, par exemple, cela arrive régulièrement. « Nous essayons d’être amicaux et de demander aux clients ce qu’ils en penseraient si leur achat avait déjà été porté. De toute façon, depuis que nous donnons des bons d’achat au lieu de l’argent, il y a moins de retours. »

Dans des magasins comme Verso à Anvers et A Suivre à Courtrai, Bruxelles et Sint-Martens-Latem le wardrobing est rare. « Nous avons principalement des clients réguliers et eux ne le font pas. Si nous voyons que les vêtements ont vraiment été portés, nous ne les reprenons certainement pas. Une telle pièce est invendable ». Ce n’est pas non plus une tendance populaire dans les magasins Essentiel. « Heureusement. Bien que nous avons déjà eu des clients qui ont porté une pièce lors d’une fête et ont posté des photos sur les réseaux sociaux. Ils ont été pris sur le fait. »

La bibliothèque de vêtements

Une solution à ce problème pourrait être la bibliothèque de vêtements. Si vous shoppez ici, vous pouvez porter la pièce sans l’acheter. Tout en pouvant encore vous regarder en face. En 2009, Rent the Runway a été lancé à New York. La société parisienne Panoply livre également en Belgique. Mais ce n’est qu’en 2016 que la première bibliothèque belge a ouvert ses portes. Les Rebelles d’Anvers n’ont pas survécu. Mais il reste Coucou à Bruxelles et Closet in the Cloud a ouvert ses portes en septembre à Gand. Dans le pop-up (il y a aussi une boutique en ligne), vous pouvez louer une chemise en soie longueur cheville A.F. Vandevorst (valeur au détail 845 euros) pour 85 euros. Une robe bustier Victoria Beckham est disponible au prix de 75 euros contre 1000 euros en magasin, incluant le nettoyage à sec, le transport et les retours. Ici, nul besoin de mentir au sujet des boutons desserrés, de petits trous ou de taches. C’est inclus dans le prix.

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