William Lhoest, agitateur né

William Lhoest, directeur de casting et agent de mannequins © Nagib Chtaïb
Anne-Françoise Moyson

Il est Belge, jeune (32 ans), casting director et agent de mannequins. Il a bossé avec Tom Ford, Viktor&Rolf, Patou, Ester Manas ou Marine Serre. Avec une conviction et un talent qui forcent le respect, il prône l’inclusivité dans la mode. Voilà pourquoi, à juste titre, William Lhoest figure parmi les 100 personnalités les plus novatrices de l’année, sur la liste hautement honorifique dressée par The Vogue Business, 100 Innovators, catégorie « Next-gen entrepreneurs and agitators ». Bravo ! Interview

Quels sont vos sentiments à figurer sur cette liste honorifique ?

Cela me fait plaisir. J’en suis fier. Et j’avoue que j’ai été surpris quand on m’a contacté pour m’annoncer cela, parce que c’est toujours difficile de se rendre compte de l’impact du travail que l’on fait… D’autant que tout a été rapide, cela fait à peine 4 ans que j’ai commencé comme directeur de casting – cela fait toujours plaisir d’être reconnu pour son travail et qu’il soit apprécié. Et puis j’aime l’idée d’être « innovator », je pense que je suis le seul directeur de casting dans ce classement mondial liste, cela veut dire que l’on considère que je travaille de manière un peu différente de ce que l’on voit à l’heure actuelle, et c’est plutôt flatteur.

Concrètement cela va-t-il changer quelque chose pour vous ?

J’espère forcément, me ramener des nouveaux clients, c’est toujours un plus, et un peu de visibilité aussi…

Avez-vous dès le départ formulé votre différence ?

Oui, c’est pour cela que Marine serre m’a choisi parce que justement elle voulait un regard nouveau sur le casting de son défilé, elle m’a choisi alors que je n’étais pas encore réellement casting director, ça a été un de mes premiers jobs.  Et cela a bien marché dès la première saison, les critiques étaient positives, on avait rassemblé des « friends and family », de sorte que sur le show, on montrait d’autres corps, d’autres tailles et d’autres âges. Effectivement depuis le début, mon travail est ancré sur l’inclusivité, je suppose que c’est cela que Vogue appelle « innovator », en tout cas, c’est comme ça que je le traduis.

Etes-vous le premier à promouvoir ainsi l’inclusivité ?

Non ! Le premier c’était Jean-Paul Gaultier qui lui a inventé d’une certaine manière le street casting. A l’époque, il faisait des castings ouverts où tous les jeunes venaient se présenter, les vieux aussi d’ailleurs, il a toujours choisi des corps différents. C’est un précurseur. Et j’aime m’inspirer de son travail. Je me base d’ailleurs toujours sur des références dans mes castings – on sait que la mode reste un éternel recommencement, je prends donc des idées et des éléments que je trouve intéressants et je les remets au goût du jour. C’est aussi pour cela que je travaille souvent avec des mannequins qui avaient disparues mais qui ont marqué l’histoire de la mode.

William Lhoest
William Lhoest: « Japporte ma petite pierre à l’édifice » © Nagib Chtaïb

Et êtes-vous le seul à promouvoir ainsi la singularité ?

Non, cela se fait de plus en plus. Ce qui fait la différence, c’est que je pousse le curseur au maximum. Par exemple sur les castings d’Ester Manas, où l’inclusivité est maximale dans le sens où on essaie d’avoir un point de vue et de le développer et de soutenir la plus large palette de corps différents, ce qui n’est peut-être pas encore développé à ce point aujourd’hui, c’est plus timide dans certaines maisons. J’ai la chance d’avoir des clients qui jouent le jeu, c’est leurs valeurs avant tout. Et c’est ça qui est bien : c’est eux qui me permettent au final d’accomplir tout cela, ce sont leurs idées jointes aux miennes, les étoiles s’alignent bien, les maisons viennent me chercher pour de bonnes raisons et elles me permettent de faire la différence. C’est un travail d’équipe : ce sont autant les marques que moi qui avons ce désir d’inclusivité. Et de progrès.

Au sein de l’écosystème de la mode, avez-vous parfois l’impression de crier dans le désert ?

De manière générale, dans la mode, il y a ce désir d’évoluer avec son temps et de se rapprocher de la clientèle actuelle qui ne correspond plus à une fille de 16 ans caucasienne de 1 mètre 80 et de 90 cm de tour de hanches. Heureusement, ce tout de hanche n’est plus une caractéristique prépondérante au niveau des agences pour sélectionner des filles, la mode évolue même si cela se fait petit à petit, avec parfois des retours en arrière, comme cette saison des défilés printemps-été 23 de septembre dernier, où il y avait un manque de représentation en termes de body type alors que les saisons précédentes, on avait avancé dans la bonne direction.

Comment expliquer ce retour en arrière ?

Je ne sais pas… C’est vraiment un pas en avant deux pas en arrière… J’avoue que cela m’a un peu dérouté mais j’espère que l’on va continuer à progresser.

Quand on est directeur de casting, on peut changer l’industrie de la mode ?

Non, je ne pense pas que c’est moi qui ferai changer l’industrie de la mode loin de là, je pense que les seuls qui peuvent l’influencer, ce sont les consommateurs. A eux de se faire entendre quant à leurs desiderata, sur ce qu’ils veulent et comment ils veulent que cela se passe. Je n’ai pas de pouvoir à ce niveau-là mais je suis en adéquation avec mon travail et je suis fier et content de ce que je réalise… Tant que je peux apporter ma petite pierre à l’édifice, je le fais mais clairement mon pouvoir décisionnel n’est pas assez grand pour faire changer les choses.

Vous avez été mannequin, avant d’être scout puis directeur de casting et agent de mannequins, vous connaissez donc le métier de l’intérieur. Est-ce un plus ?

J’ai une forme de respect et d’empathie différentes je pense que ce que ressentent ceux qui n’ont pas été mannequins, qui n’ont pas été dans cette situation. Moi je suis arrivé un jour devant un casting director, en sachant qu’il y avait un job à la clef et que j’avais envie de l’avoir, j’ai connu le rejet comme tous les mannequins le connaissent… Je comprends leur quotidien, les difficultés qu’ils surmontent, j’essaie dès lors d’avoir une approche plus respectueuse, plus propre.

Vous avez vu et connu des mochetés ?

Il ne faut jamais oublier que malgré tout, les mannequins sont jugés sur qui ils sont, ce qu’ils représentent. Ils viennent à un casting, se mettent à nu au figuré, se livrent, se rendent vulnérables et après ils vont devoir faire face à un oui ou un non… La majorité des critères sont basés sur des traits physiques, malgré tout c’est difficile de ne pas le prendre personnellement, de ne pas se sentir rejeté quand c’est négatif. C’est un métier compliqué, on sous-estime souvent à quel point ils font partie du processus de création, c’est indivisible, c’est eux qui rendent le vêtement vivant, qui le portent. C’est important de respecter leur métier et de les respecter. Et il ne faut pas oublier que malgré tout même si cela évolue, ce sont majoritairement des ados ou des jeunes adultes qui travaillent dans un monde d’adultes. On leur demande d’être matures très jeune, c’est beaucoup de responsabilités, cela dit, c’est un super métier, j’ai adoré mon expérience, je ne regrette absolument rien mais il faut les épaules pour être mannequin…

Vos vœux pour 2023 ?

Que l’inclusivité, mais l’inclusivité honnête, progresse. Que tous et toutes se sentent représentés, considérés et inclus dans la mode. Il est temps.

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