Punk: back to the No Future

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Le Metropolitan Museum of Art, à New York, consacre une exposition à ce mouvement musical et culturel qui n’a cessé d’infuser la mode contemporaine. Comme un raccourci efficace pour défier l’establishment et signifier la rébellion.

Punk: Chaos to Couture, Metropolitan Museum of Art, New York. www.metmuseum.org Du 9 mai au 14 août prochain.

Fermetures d’usines, paupérisation galopante… La crise mondiale réédite les souffrances des années Thatcher, à une échelle incomparablement plus grande. Si une génération a eu le droit de crier  » No future « , aujourd’hui, les jeunes  » indignés  » se retrouvent chômeurs avant d’avoir travaillé.

L’iroquoise tenue à la colle à bois, la cagoule bondage en vinyle, les piercings à la Frankenstein ? Non, merci : on lance mieux les cocktails Molotov en baskets-cagoule. Désormais, les vrais punks (le mot anglais signifie  » voyou « ) sont de l’autre côté, traders fous et financiers véreux… Car ce n’est pas aux chômeurs que s’adressent les tee-shirts de créateurs artistiquement troués, les escarpins de luxe hérissés de clous ou les ceintures de force à paillettes.

Le punk n’existe plus aujourd’hui qu’à travers ses reliques, mixées et remixées dans le vocabulaire de la mode. Il est le marqueur suprême de la rébellion, au point qu’on en oublie les zazous, les blousons noirs et le gangsta rap. C’est la force des mythes que de vivre à travers des lambeaux que chacun s’approprie – même si, d’une mutation à l’autre, ils ont évolué au point d’être méconnaissables.

On attribue au punk la paternité du noir, oubliant que cette couleur fut à la mode dès la Renaissance. Et aussi la folie du cloutage – alors que les bikers paradaient, dès les années 50, en Perfecto customisé de chaînes. Punks, prépunks et postpunks ont brassé assez de références pour préempter tous les détails de mode un peu flashy ou rebelles.

Une histoire de fringues ?

Cette saison, les touches destroy fleurissent partout. Riccardo Tisci propose chez Givenchy des tee-shirts sans manches sérigraphiés de photos ? On lui prête un esprit punk. Maison Martin Margiela montre des costumes blancs ? C’était une tenue fétiche de Johnny Rotten. Bottega Veneta macule les siens de taches de graisse ? Alain Pacadis ressuscite. Rei Kawabuko jongle avec les tartans ? Siouxsie va réclamer des royalties. Quant aux shorts en cuir façon Lederhosen de Costume National, Nina Hagen, à coup sûr, n’aurait rien porté d’autre. Les perfectos en « daim » perforé de Diesel, les blazers sans manches de Dior Homme, les coupe-vent néobondage en plastique transparent de Versace, les vestes à empiècements de Jil Sander, les creepers à coques de Jean Paul Gaultier…, tous semblent dire :  » Punk is not dead.  » Et c’est ainsi chaque saison ou presque, depuis quarante ans…

Punk de la première heure, le critique de rock Patrick Eudeline s’en félicite :  » Depuis les années 60, la mode a toujours su récupérer les signes de son époque. Elle s’est tout de suite intéressée au punk. Un an après sa naissance, nous étions tous invités chez Régine où les filles portaient des épingles de nourrice en or ! Le mouvement s’est beaucoup nourri de la créativité de Vivienne Westwood. Ses combinaisons zippées (les cat suits) vont revenir un jour, c’est sûr.  » A l’entendre, le punk est aussi une histoire de fringues qui, en dégonflant l’optimisme des Trente Glorieuses, a forcé la mode à questionner ses bases. Sans cette remise à zéro des compteurs, les couturiers japonais n’auraient pas déconstruit le vêtement ni promu la mode clochard. Le minimalisme serait passé à l’as et on réserverait le noir au deuil.

C’est dire combien s’imposait l’exposition Punk : Chaos to Couture, qui investit ce 9 mai le plus prestigieux musée d’art contemporain du monde, le Metropolitan Museum, à New York.  » Depuis ses origines, le punk a eu sur la mode un effet incendiaire », explique Andrew Bolton, son commissaire.

Comme attendu, les tenues haute époque y dialogueront avec des créations couture : les vêtements déchirés de Zandra Rhodes (1977), la célèbre robe noire rapiécée à l’aide d’épingles par Versace pour Elizabeth Hurley, ou le tailleur Chanel troué de la collection printemps-été 2011, ainsi que d’autres vêtements sous influence signés Hussein Chalayan, Dolce & Gabbana, Helmut Lang, Alexander McQueen, Miuccia Prada… Ou comment transformer des épingles en paillettes, des lames de rasoir en plumes.

Mais au-delà de ces allégories décoratives, l’exposition consacre une galerie à la déconstruction, inspirée aux punks par les lectures situationnistes de Malcolm McLaren et promise à un bel avenir chez Jacques Derrida comme chez les couturiers japonais ou belges.  » L’idée la plus importante, avance Andrew Burton, est sans doute le do-it-yourself, pierre angulaire du punk au cours des seventies. » Quand les hippies se contentaient de customiser leurs treillis des surplus militaires, « les punks allaient incorporer à leurs vêtements des graffitis, des slogans ou des objets de la culture trash, un acte perçu comme politique à l’époque ».

Soucieuse d’établir des filiations, l’exposition trouve en Dada un aïeul. Ces artistes et intellectuels qui voulaient enterrer le vieux monde discrédité par la guerre de 14-18 maniaient l’outrage jusqu’à provoquer l’émeute. Adeptes de la table rase, ils offrirent un idéal d’art radical à la révolte adolescente, dont la longue tradition – de Lautréamont à Rimbaud – avait déjà produit de fameux esclandres. Comme la première d’Ubu Roi, une farce écrite par un trublion de 23 ans, Alfred Jarry, où les spectateurs criaient tant qu’on ne put rien entendre de la pièce. Pour imposer sa pièce Hernani, Victor Hugo avait recruté les punks de son époque dans les ateliers d’artistes, étudiants échevelés en habits flamboyants, qui parlaient d’envoyer à la guillotine le public âgé.

Relooking signé Westwood

L’exposition du MET ramène aussi le punk à son berceau : New York. En 1975, le mot sert de drapeau à plusieurs groupes – Ramones, Blondie, Suicide, Patti Smith… – qui marient l’agressivité du rock de Detroit aux dérives angoissées du Velvet Underground.

Au club CBGB (Country, Blue-Grass and Blues), leur fief, un jeune homme en tee-shirt déchiré et aux cheveux de porc-épic éructe plus qu’il ne chante. Son nom ? Richard Hell. Malcolm McLaren, le manager des New York Dolls, savoure le concert. Fini, les grandiloquences travelotes (le glamrock) et les effets de seringue (Heroin de Lou Reed…), le twist rebelle se donne enfin pour ce qu’il est : un cri.

McLaren rapporte le concept à Londres, où sa femme, Vivienne Westwood, tient sur King’s Road une boutique dédiée aux modes urbaines, sous le nom Let it rock. Elle y vend des tenues de teddy boys. Rebaptisé Sex, le lieu débite des tenues bondage, des tee-shirts portant l’effigie d’un violeur célèbre, des jeans aux poches en plastique et des chemises imprimées de slogans anars. On y croise des inconnus nommés Siouxsie Sioux, Chrissie Hynde et Billy Idol.

Ainsi que deux squatteurs au look sauvage : l’un d’eux porte un tee-shirt Pink Floyd, où il a rajouté au feutre : « I hate ». C’est le futur Johnny Rotten, l’autre étant Sid Vicious. McLaren les incorpore au groupe qu’il va lancer, les Sex Pistols. Westwood les relooke : cheveux courts coiffés en cornes, maquillages outranciers, vêtements de cuir et poignets de force. Cette troupe hirsute, qui danse en bousculant ses voisins (le pogo), fait de chaque concert un happening dévastateur. On en interdit la plupart.

Des teddy boys aux mods, l’Angleterre connaît la violence des fils d’ouvriers. La radicalité du gouvernement Thatcher va politiser leurs outrages : à l’occasion du premier jubilé, les Sex Pistols conspuent « la Reine et son régime fasciste ». On les jette en prison… et c’est la gloire.

A partir d’éléments disparates – le Perfecto des bikers, les colliers de chien sadomasos, les maquillages d’Alice Cooper, le cheveu raide des rockeurs, le graphisme de Dada, l’idéal hippy de la contre-culture et la conscience politique imprégnant cette époque -, McLaren a forgé une esthétique de la rage urbaine qui démode les guitar heroes incandescents et les ruminations du heavy metal.

Avec le punk, trois accords suffisent, chanter mal est un atout. Les looks terrifiants rendent les beaux sexy et donnent un genre aux moches. En 1978, les punks de Londres sont une attraction qu’on présente aux touristes. Jusque-là circonscrits aux territoires anglo-saxons, ils font bientôt leur entrée au Palace, où les fêtards distingués les accueillent avec des pincettes.

Le choc punk a permis la révolution new-wave. Il s’y engloutit bientôt, mais son esprit survivra dans la scène gothique (Cure, Cocteau Twins…) et va bientôt politiser sa rage (Clash, Madness…). Ce versant fera florès en France, où Bérurier Noir et les Garçons Bouchers rallient la mouvance autonome. Avec le grunge, l’esprit punk hisse une dernière fois son drapeau noir et puis rend l’âme. Emo, cyberpunks, sea punks… Aucun mouvement ne saura retrouver ce terreau de révolte, même s’ils perpétuent l’amour du look et les postures de défi. Mais de la préhistoire héroïque du punk, n’ont-ils pas, au fond, retenu l’essentiel ?

Par Jacques Brunel

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