Quelle mode pour l’après-crise?

Simplicité, qualité, durabilité. Telle est la sainte trinité que les griffes mettent en avant pour effacer les excès du bling-bling. Zoom sur ces nouvelles stratégies du luxe, qui augurent une nouvelle ère de la mode.

Réutiliser les patrons de pièces iconiques -la jupe tulipe, la robe bustier, le sac Downtown…- et des stocks de tissus maison. Telle est l’idée de New Vintage 2009, une collection capsule en édition limitée qui sera lancée dès le mois de décembre dans les boutiques Yves Saint Laurent. Recyclage des matériaux -et du style- prix légèrement plus doux… Derrière l’argument écologique mis en avant par Stefano Pilati se cache la réalité d’une crise économique qui touche de plein fouet les griffes de luxe. Personne n’est en mesure de prédire la fin de ce séisme qui aura ébranlé pour la première fois et à l’échelle mondiale la pulsion de consommation et, pis, la foi en l’avenir.

« Depuis trois saisons déjà, on sentait que les collections avaient du mal à se vendre. Le public en avait assez de cette débauche d’effets spectaculaires, de mannequins, d’accessoires… La crise a précipité tout cela et a forcé les marques à changer leurs valeurs », analyse Jean-Jacques Picart, consultant pour le luxe. Le premier à déclencher ce type d’offensive griffée et décomplexée? L’Américain Marc Jacobs. Déjà, à la fin de 2008, il proposait pour l’ouverture de sa première boutique parisienne, Marc by Marc Jacobs, des stylos à 1 euros, des bretelles à 20 euros. Cet automne, il récidive avec une vraie ligne anticrise -composée notamment de tee-shirts- qui devrait se poursuivre. Un exercice de haute voltige entre le luxe et le low cost, cher au créateur, connu pour ses grands écarts impertinents.

Mais le cas n’est pas isolé. Sans forcément l’avouer, ils sont ainsi de plus en plus nombreux à trouver des solutions pour s’attaquer à l’un des tabous du luxe -à savoir son prix- serrant les coûts de fabrication, imaginant des secondes lignes plus accessibles et intemporelles.

Une initiative que l’on croyait réservée au mass market, qui multiplie cette rentrée les opérations commandos en faveur du pouvoir d’achat. Des cachemires à 39,90 euros d’Uniqlo à Think Up, la nouvelle collection low cost de Mango.

Car, plus qu’une simple baisse du pouvoir d’achat, la crise cache une profonde remise en question de la consommation et a fortiori du luxe, symbole de tous ses excès. « Aujourd’hui, il est difficile de montrer des vêtements à 3 000 euros dans les magazines. Les gens se demandent pourquoi c’est si cher. Ils se méfient des artifices du marketing, veulent privilégier le besoin par rapport au désir impulsif », explique Danièle Clutier, coauteure de « La crise, parenthèse ou refondation?« , une publication de l’Institut français de la mode (IFM) parue cet été.

Du coup, chacun cherche à renouer le dialogue avec sa clientèle. Quitte à tout simplement réduire les prix. Comme chez l’Américaine Vera Wang, qui annonce une baisse de 40% sur ses robes de mariée, ou chez Dolce & Gabbana, dont la saison printemps-été 2010 sera de 10 à 15% moins chère. « Nous avons réagi à la crise en créant des collections plus rationnelles, car les clients sont plus que jamais informés, attentifs et critiques envers les vêtements qu’ils achètent et leurs prix », analysent Domenico Dolce et Stefano Gabbana.

Leur botte secrète? Améliorer l’efficacité de la chaîne, de la création à la distribution, en passant par la production, « sans affecter la qualité ni brider la créativité ». On se demande pourquoi personne n’y avait pensé plus tôt… D’autres le font via des collections capsules moins chères, nouveau mot pour désigner les secondes lignes, en vogue dans les années 1980. C’est le cas de Versace, qui vient de relancer Versus. Mais aussi de Redux de Givenchy, qui réinterprète à travers une quinzaine de modèles les pièces phares maison, comme la blouse blanche créée en 1952 par Hubert de Givenchy (300 euros, pour 800 euros dans la ligne principale).

Ici comme ailleurs, on se défend d’y voir un effet crise, standing oblige. « Cette collection n’est pas une réponse à la situation économique, mais a été conçue pour offrir un choix plus large à notre clientèle ainsi que des pièces iconiques », explique Fabrizio Malverdi, directeur général de Givenchy Couture. Quoi qu’il en soit, ces propositions plus abordables en termes de prix et de style sont bien un effet de l’époque, où le luxe est poussé dans ses retranchements par les lignes de créateurs des géants de la grande consommation (Sonia Rykiel sera l’invitée de H&M en décembre).

« La crise est en train de provoquer un rééquilibrage des gammes, analyse Patricia Romatet, professeure à l’IFM. Même les précollections, dont la mission est de poser les assises du chiffre d’affaires en proposant des pièces plus faciles à porter, prennent le pas sur les collections principales. » Cap, donc, sur les classiques, qui opposent leur pérennité au jeu de la tendance de mode. Un message qui prend valeur de manifeste même au royaume des accessoires, jusque-là épargné par la crise. En guise de symbole? Ces talons plats, plébiscités lors des derniers défilés et qui s’apprêtent à dégonfler des saisons d’architectures vertigineuses. Et ces nouvelles collections qui se veulent intemporelles. Tandis que Salvatore Ferragamo vient d’ouvrir à Paris une première boutique proposant les rééditions de ses modèles les plus célèbres, Jimmy Choo lancera en janvier prochain 24/7, une ligne conçue pour chausser ses clientes actives avec, entre autres, ballerines et escarpins à petits talons.

« Aujourd’hui, la création n’est plus impériale, et le discours des équipes commerciales est davantage pris en compte. Même les podiums révèlent plus de conscience et de bon sens. Il faut inventer une créativité appliquée qui soit à la fois désirable et déculpabilisante », poursuit Jean-Jacques Picart. Mais sagesse ne veut pas forcément dire tristesse. Ainsi, certains semblent avoir trouvé dans ce contexte un stimulant intellectuel. A l’image de Guillaume Henry, nouveau directeur artistique de Carven, qui vient de relancer le prêt-à-porter féminin de la maison pour le printemps 2010, avec des robes à 220 euros qui s’enfilent comme des tee-shirts. « Nous voulions élaborer une mode efficace, qui associe le vocabulaire couture à des qualités plus urbaines, fonctionnelles. Cela passe par le prix et, donc, le choix des tissus, car les étoffes sont comme le bon vin au restaurant, c’est ce qui coûte le plus cher. » Michèle et Olivier Chatenet (alias E2) ont planché sur la structure du vêtement pour élaborer (à partir d’un lot de foulards vintage Dior et Balenciaga) E2.2, une ligne de robes d’une étonnante simplicité. Comment obtenir des pièces uniques trois fois moins chères que leur ligne principale? « En réduisant le temps de travail grâce à des jeux de pliages, de drapés retenus par des rubans », explique Olivier Chatenet. Une luxueuse ingéniosité que n’aurait pas reniée Madeleine Vionnet. Car, l’Histoire le prouve, les périodes de crise sont un bon terreau pour tous ceux qui savent emprunter les chemins de traverse.

Charlotte Brunel, Lexpress Styles

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