Qui est Simon Porte Jacquemus, créateur français le plus en vogue du moment ?
Moitié poète, moitié homme d’affaires, obnubilé par la Méditerranée de sa jeunesse, Jacquemus est le créateur français le plus populaire du moment. Bienvenue dans les coulisses d’un triomphe hors normes.
« Je m’appelle Simon Porte Jacquemus. J’aime le bleu et le blanc, les rayures, le soleil, les fruits, la vie, la poésie, Marseille et les années 80. » C’est ainsi que le Français le plus en vogue de la planète mode se décrit succinctement sur Instagram, où il peut compter sur ses presque deux millions d’abonnés. Une biographie, si pas exhaustive, déjà très complète. Jacquemus aime en effet la belle vie en bord de mer mais il est aussi… légèrement mégalomane. Le quotidien Le Monde l’a déjà comparé avec deux grands princes de la littérature: Saint-Exupéry et Machiavel. Et le magazine Vogue l’a baptisé « le Roi-Soleil de la mode ». C’est que ce nouveau Louis XIV, Français jusqu’au bout des ongles, rassemble l’enthousiasme de Jean Paul Gaultier et l’amour de la Provence de son voisin Christian Lacroix. Il est adoré, mais aussi détesté. Trop beau, trop joyeux, trop populaire.
Simon Porte Jacquemus, qui vient de fêter ses 30 ans, naît à Bramejean, un patelin d’une centaine d’habitants non loin de Mallemort, à mi-chemin entre Marseille et Avignon. Sur les rives de la Durance et à deux pas de Grimmland, un petit parc d’attractions. Ses parents sont agriculteurs et cultivent des fruits et des légumes. Mais ils sont en avance sur leur temps. Pendant les week-ends, son père joue dans un groupe de rock de la région, en hauts talons, et sa mère est abonnée à Vogue. On prétend aussi qu’un de ses oncles est un célèbre torero proche de Picasso. Chronologiquement, c’est peu probable, le peintre s’étant éteint en 1973…
Le styliste vit une enfance paisible. Il gambade joyeusement pieds nus dans le verger familial et vend de la lavande aux touristes parisiens le long de la route. « Cela en dit beaucoup sur moi », se plaît-il à raconter aux journalistes quand il évoque son passé. Son premier souvenir mode? La célèbre robe dos nu noire de Guy Laroche pour Mireille Darc dans Le grand blond avec une chaussure noire. Sa première création? Une jupe en toile beige, conçue à partir d’un rideau pour sa mère, qui la portait dès le lendemain à la sortie de l’école. Simon a alors 7 ans. Les voisins, le facteur, tout le monde sait qu’il deviendra créateur.
J’invente des personnages et puis je crée une pièce. Faire des vêtements sans objectif, ce n’est pas pour moi.
A l’âge de 8 ans, il postule par courrier auprès de Jean Paul Gaultier. « Je deviendrai le plus jeune styliste au monde et cela vous fera de la publicité supplémentaire », argumente-t-il. Il aime déjà être au centre de l’attention. Par la suite, il obtient des petits rôles dans des spots publicitaires pour Kinder et Pampers, et il tient un blog très populaire où il rédige des nouvelles… dont il est le personnage principal.
1.0ALMOST THE SAME SMILE 20 YEARS LATER, FOR SURE THE SAME TEE SHIRT.jacquemushttps://www.instagram.com/jacquemus2423236651888021541536744969_242323665Instagramhttps://www.instagram.comrich658
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Raconter des histoires reste d’ailleurs une passion pour lui. « Je transforme la mode en poésie. Sans histoire, il n’y a pas de mode, c’est juste du Kiabi. J’invente des personnages – que font-ils, que mangent-ils? – et puis je crée une pièce. Faire des vêtements sans objectif, ce n’est pas pour moi », déclare-t-il un jour.
Son fil Instagram est son arme la plus fatale, si on le compare aux comptes stériles des marques de luxe.
Danser à Paris
Jacquemus est le premier de son petit village à « monter » sur Paris. Il a alors 18 ans. Si tu perces là, tu perceras n’importe où, lui dit-on. Dans son imagination d’alors, à la capitale, les gens dansent et chantent dans la rue. Il déchante vite. L’école de mode, l’ESMOD, est une désillusion. Il a l’impression que personne n’a envie d’avancer. Lui, oui! Il s’y sent enfermé et tiré vers le bas. Après deux mois, il jette l’éponge, et quelques semaines plus tard, sa mère décède dans un accident de la route. Un événement qui le bouleverse et le fait réfléchir. On n’a qu’une vie, et elle ne tient qu’à un fil. Il décide alors de suivre ses rêves et de lancer sa propre marque. Il la baptise Jacquemus, du nom de jeune fille de sa maman.
Quand il imagine à nouveau une jupe, c’est avec l’aide d’une couturière d’un magasin de rideaux du Marché Saint-Pierre à Montmartre, où il erre par hasard. Il lui demande combien coûterait la fabrication du modèle à partir d’un dessin. Réponse: 150 euros. Il négocie, et elle accepte de la faire pour 100 euros. Le lendemain, il la retrouve avec un croquis et un morceau d’étoffe. C’est une jupe simple, sans poches ni boutons. Il n’a pas encore l’expérience et la technique pour créer une pièce plus complexe.
Sa première collection, la deuxième et la troisième ne rencontrent pas vraiment le succès escompté. Il faudra attendre quelques années avant que l’homme ne devienne la coqueluche du monde de la mode.
Jacquemus en maillot
Pendant un temps, le créateur est vendeur dans la boutique parisienne de Comme des Garçons, consacrant ses soirées et ses week-ends à sa propre marque. Rei Kawakubo, la célèbre créatrice de Comme des Garçons, a en effet croisé ses vêtements dans un showroom de Tokyo et lui a donné sa bénédiction. Le Français possède bien un pull de CdG, mais il n’a jamais entendu parler de la créatrice. Celle-ci organise un rendez-vous avec son mari et manager, Adrian Joffe, à Paris. Ce dernier, qui a une certaine influence dans la sphère fashion, restera d’ailleurs un fan de la première heure. « Je n’avais jamais rencontré une personne aussi déterminée, aussi sûre de ses projets », dira-t-il plus tard.
Simon Porte Jacquemus a besoin d’argent pour poursuivre son rêve. Ainsi, il convainc Adrian Joffe de lui offrir un emploi. Grâce à ce job, le jeune homme découvre à quel point le contact direct avec les clients est essentiel. Aujourd’hui, il est même certain que son succès est en partie dû aux réseaux sociaux. A ses blogs d’ado, à Tumblr, où des photos de ses premiers défilés ont été partagées des centaines de milliers de fois, et à Instagram, où il se met à nu, parfois littéralement.
1.0🇲🇽jacquemushttps://www.instagram.com/jacquemus2423236652235235619969122915_242323665Instagramhttps://www.instagram.comrich658
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Jacquemus au travail, Jacquemus en vacances, Jacquemus en maillot de bain, Jacquemus avec son amoureux, un Provençal évidemment. Ses fans apprécient son ouverture d’esprit. « Ma génération et les suivantes veulent de la sincérité et de l’authenticité », explique le créateur. Aussi, son fil Instagram est peut-être son arme la plus fatale, si on le compare aux comptes stériles de la plupart des marques de luxe, qui ne nous apprennent rien. Le public se reconnait dans les images partagées par Jacquemus.
Contrairement à Karl Lagerfeld, il n’a pas besoin d’envoyer une fusée sur la lune pour impressionner son public.
L’année 1997
Entre son premier défilé officiel en 2003 et celui de janvier dernier, la marque a connu un moment charnière. Pour son show inaugural, organisé à l’époque à la piscine de la Cour des Lions, non loin de la place de la Bastille, le public se résume à quelques amis, sa famille et une poignée de journalistes. Une présentation teintée d’amateurisme, les vêtements n’étant pas vraiment intéressants. Mais les spectateurs réagissent avec enthousiasme et, quand le styliste se lance dans un tour d’honneur autour du bassin vide – il a encore des cheveux longs à ce moment-là -, la détermination se lit dans ses yeux.
Son défilé le plus récent, le 19 janvier, pour son trentième anniversaire, a lieu dans la toute nouvelle La Défense Arena, une salle encore plus monumentale que celle du Grand Palais cher à Karl Lagerfeld. L’attente est longue avant de pouvoir entrer, le show a une heure de retard, comme au temps de Marc Jacobs chez Louis Vuitton. Mais contrairement à Karl Lagerfeld, Jacquemus n’a pas besoin d’envoyer une fusée sur la lune ou d’installer une banquise géante pour impressionner son public. Il se contente d’un énorme carré blanc encadré de tribunes, d’une lumière immaculée éclatante et d’un casting étoilé – Bella et Gigi Hadid, Doutzen Kroes… Le point de départ de la collection: l’année 1997, un choix aussi simple que sentimental puisque ce fut l’année où le petit Simon imagina une jupe pour sa maman. Laetitia Casta, qui n’avait plus mis les pieds sur un catwalk depuis une dizaine d’années, ouvre d’ailleurs le défilé en portant une version revisitée du morceau de rideau qui avait rendu la mère du créateur si fière. « C’est la première fois que j’imagine une collection comme si c’était la dernière », explique Jacquemus en coulisses. Les critiques sont mitigées, comme toujours pour la marque. Mais Tagwalk, un moteur de recherche spécialisé dans la mode, classe le défilé comme l’un des plus suivis de la Fashion Week, avant Louis Vuitton et Dior…
La naissance d’une superstar
La transformation du styliste prometteur en superstar se déroule aux alentours de 2018. Au cours de la semaine de la mode, en février, Simon Porte Jacquemus fait une annonce mystérieuse sur Instagram quelques jours avant son show. On peut y lire: « Je suis ravi de pouvoir vous faire une annonce particulière », avec le hashtag #newjob. S’en va-t-il travailler pour une grande maison? Peut-être n’est-ce pas un hasard si le défilé a lieu au Petit Palais, le musée qui accompagne le Grand Palais? Lorsque, quelques jours plus tard, il poste une photo avec Karl Lagerfeld, les rumeurs enflent. Jacquemus chez Chanel? Loin de là. Après le défilé, l’homme monte sur le podium à la Jean Paul Gaultier – dont il est un peu l’incarnation moderne -, portant un sweat à capuche brun avec l’inscription L’Homme Jacquemus. Son nouvel emploi? Une collection masculine.
Cette saison-là, dans sa collection été 18, il introduit également une nouvelle image de la femme, qu’il baptise la Bomba. Une fille belle, heureuse, rayonnante de confiance en elle et de santé, sexy mais jamais vulgaire. Elle ressemble un peu à Isabelle Adjani, à sa mère et à Brigitte Bardot dans La Madrague. Elle porte un gigantesque chapeau de paille à la plage, et un sac à main miniature, le Chiquito, en ville. Son homologue masculin, le Gadjo, est musclé. L’exemple parfait du jeune ténébreux.
C’est ainsi, à force de coups d’éclat médiatiques, que l’homme devient un phénomène. Encore en juin passé, pour le dixième anniversaire de sa marque, Jacquemus se rend dans un champ de lavande tout près d’Aix-en-Provence, accompagné d’une poignée d’observateurs à peine. Dans ce terrain légèrement vallonné, il déroule un immense tapis rose, comme si Christo avait emballé la Provence. Il n’y a presque personne, mais les images sont fantastiques. Un défilé qui écrit sans aucun doute une page de l’histoire de la mode.
Le créateur croit dur comme fer en l’idée qu’une bonne photo peut générer des centaines de milliers d’euros de revenus en un jour. Une pure hystérie. Lorsqu’il organise une vente le 30 novembre dernier à Paris, il transforme un moment banal en un événement immanquable: une rétrospective achetable de dix ans de carrière. Tous ceux qui veulent s’y rendre doivent s’enregistrer en ligne. Résultat? 52.000 inscrits. L’adresse n’est révélée que 24 heures à l’avance. Les files d’attente devant le bâtiment industriel du lointain XVe arrondissement sont infinies. Jacquemus se pointe à 8h30… en scooter.
Chaque matin, j’analyse les chiffres. Depuis le début, je suis autant directeur artistique que patron.
Les portes de la gloire
Une recette 100% com’ qui cartonne. En 2019, le chiffre d’affaires de la griffe atteint entre 23 et 25 millions d’euros, selon Le Monde. Le double de celui de 2018. Aujourd’hui, soixante personnes travaillent pour Jacquemus. S’il n’a toujours pas ouvert de boutique, il estime que son site Internet lui rapporte autant en un jour que son stand aux Galeries Lafayette – où il côtoie Céline et Saint Laurent – en un mois. De plus, depuis l’an passé, il gère un café, Citron, et un restaurant, Oursin, au sein d’une filiale des Galeries Lafayette le long des Champs-Elysées – un projet imaginé avec le groupe de Caviar Kaspia, l’une des tables favorites des influenceurs.
1.0On se prépare pour le dîner chez @oursinparisoursinparishttps://www.instagram.com/oursinparis203547155962145946803191990711_20354715596Instagramhttps://www.instagram.comrich658
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« Quand j’ai commencé, je n’avais pas de règles, j’avançais à l’instinct, explique-t-il au Monde. Mes créations restent spontanées, mais j’ai beaucoup appris en suivant un plan de collection, pour respecter l’équilibre entre ce que j’aime faire et les besoins des boutiques. Chaque matin, j’analyse les chiffres. Depuis le début, je suis autant directeur artistique que patron. »
Est-ce une situation durable? Peut-on être créatif et avoir le sens des affaires? Le styliste pense que oui. Il sait ce que veulent ses clients et il peut alors imaginer des pièces qui se vendront. De ce point de vue-là, il ressemble plus à un Tommy Hilfiger qu’à un Christian Lacroix. Jacquemus est prêt à affronter l’avenir, libre comme l’air. Il aime toujours profiter de la vie, de préférence en maillot, les pieds dans l’eau, avec comme arrière-plan un coucher de soleil.
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