Rencontre avec Louise Trotter, celle qui a osé repenser le légendaire polo Lacoste
On lui doit la nouvelle fashion-sport silhouette. Chez Lacoste, Louise Trotter fusionne le masculin et le féminin, les sports, leurs codes et un vestiaire fait pour la vraie vie. Le crocodile est revampé. Interview d’une directrice artistique bien dans ses baskets.
Avec son élégance masculine, presque minimale, elle incarne désormais le label qui met d’accord Venus Williams (tenniswoman), Léo Walk (danseur), Sonny Hall (poète et artiste), AtomicMari et Shubble (joueurs de Minecraft), Brawks (ex-e-joueur et artiste musical) et K.J. Apa (acteur et musicien). « Pour moi, c’est une marque faite à la fois pour le chauffeur de taxi et pour le président », dit Louise Trotter avec un sourire un peu frondeur et un accent geordie charmant, souvenir de son enfance passée à l’ombre de Newcastle dans le nord-est de l’Angleterre. Elle y a étudié le design et le marketing avant de filer à Londres au début des nineties, où elle apprendra tout ce qu’il lui faut savoir de la mode et de son industrie en passant par Whistles, Gap, Jigsaw, avant de peaufiner son style chez Joseph, à Paris, dès 2009. En octobre 2018, celle que la presse britannique a baptisée Queen of Clean entrait par la grande porte chez Lacoste, vénérable maison fondée en 1933 qui n’avait jamais vu une femme à la tête de sa direction artistique. Jeu, set et match. Depuis, Louise Trotter estompe la frontière entre style et performance, hybride les références sportives et sartoriales, et ose même repenser le légendaire polo Lacoste. Si elle cultive une attitude low profile, cela ne l’empêche absolument pas d’éclater de rire plus souvent qu’à son tour lors de cette conversation sans smash.
Pour cette collection printemps-été, vous avez puisé dans les archives maison bien plus que d’habitude. Pourquoi?
Je désirais entamer un nouveau chapitre où je pourrais combiner le sport et la vie quotidienne. Il me semblait que c’était ce dont nous avions besoin après les confinements et la pandémie – non seulement parce que c’est sain de faire du sport mais aussi parce qu’on ne peut plus faire l’économie de ce qui nous lie intimement à ce qui nourrit notre bien-être. Je suis donc partie de l’idée d’étudier les codes des différents sports, lesquels forgent l’identité des vêtements propres à chacune des disciplines. Et j’ai désiré les assembler, les hybrider pour créer un nouvel uniforme. J’ai vraiment bien plus puisé dans l’héritage sportif de la marque. Alors qu’avant, pour les premières collections, je m’étais d’avantage concentrée sur René Lacoste, sur son histoire et sur son caractère. Il est vrai que je me pose souvent la question: « Comment serait-il aujourd’hui? Que ferait-il? » C’est la première collection où je m’éloigne un peu de René et me rapproche de la vie de tous les jours.
Qu’est-ce qui vous a éblouie dans son héritage?
Avant tout, ses valeurs, autant sur les terrains de tennis que dans la vie. Il y a tant dans ses actes et ses phrases qui le prouve. Il disait que gagner ne valait rien si ce n’était pas fait le plus justement et le plus élégamment possible. Il n’était pas le plus talentueux des joueurs, il le confessait lui-même, mais il avait développé son sens de la stratégie, il analysait ses adversaires et il ne cessait de s’entraîner. Il a extrait de lui le meilleur de sa personne. Et puis il a innové: il a été le premier à sculpter le manche de sa raquette et à l’enrouler de sparadrap pour éviter de souffrir d’un tennis elbow. Il a aussi créé la première raquette métallique plus légère et cette machine à lancer des balles destinée à s’exercer en solo. C’est également cela qui m’a éblouie, cette insatiable et absolue curiosité pour la nouveauté. Quand j’ai découvert les archives, ce fut un vrai moment d’émotion. Il y avait là l’un de ses dessins d’une raquette, il devait avoir 80 ans quand il l’a imaginée. A cet âge-là, il inventait encore et tentait de repousser les limites un peu plus loin… J’ai soudain compris que j’étais la gardienne de cet héritage, qu’il me fallait le protéger et le faire perdurer. Je me suis sentie toute petite, ce fut une incroyable leçon d’humilité. Je plonge donc évidement dans ce passé, je fais référence à cette histoire et j’essaie de l’inscrire dans le futur.
Vous avez osé revamper le logo et toucher au sacro-saint crocodile. Vous êtes-vous battue pour faire accepter l’idée?
Oh oui, et ce ne fut pas facile au début. C’est un animal très protégé! Et probablement à bon escient… C’est une icône mais j’ai toujours insisté sur le fait que nous devons nous rappeler que quand René l’a mis sur sa poitrine, c’était avec humour. Et je voulais lui apporter cette touche-là, c’est un crocodile qui rit.
Vous êtes du genre « tomboy », votre esthétique est masculine. Depuis toujours et pourquoi?
Oui, elle l’a toujours été. Parce qu’on peut vivre dedans, bouger, être confortable et élégante…
L’élégance, une définition?
C’est un état d’esprit. Une manière d’agir et d’être.
Que vous reste-il de votre enfance passée à Sunderland, dans le nord de l’Angleterre?
La curiosité. J’ai grandi dans un endroit assez dur où l’adversité était présente, enracinée dans son passé industriel. Mais si l’environnement y est rude, les gens y sont incroyablement gentils, vrais et loyaux. Avec des valeurs fortes et un vrai sens de la communauté.
Vous êtes la première femme à occuper le poste de directrice artistique chez Lacoste. Est-ce un hasard ou une obligation morale de notre époque?
Je crois vraiment que Lacoste ne m’a pas choisie parce que j’étais une femme mais pour le travail que je peux fournir et aussi pour ma vision et ma compréhension de la marque. En réalité, j’en suis sûre: cela n’avait frappé personne que je sois la première. Je m’en suis rendu compte quand j’ai signé le contrat, je l’ai alors fait remarquer, j’en étais moi-même surprise, et tout le monde l’était, personne ne l’avait constaté ni souligné auparavant. Vous savez, j’ai été élevée dans l’idée que le fait d’être une fille n’empêchait rien. Aujourd’hui, j’ai trois enfants, dont deux fillettes – j’espère que mon travail, ma position et ma carrière auront le même effet sur eux…
Qu’avez-vous appris de l’esprit parisien et français à vivre en partie de ce côté-ci de la Manche?
J’aime la culture française, ses valeurs, son art de vivre, surtout à Paris. J’aime cette ville, et Londres aussi, et c’est parce que je les aime toutes les deux que je m’interdis de les comparer. Je trouve qu’il y a en France une culture des contrastes et je m’y identifie beaucoup. On y trouve à la fois un goût pour le passé, un côté un peu conservateur, mais aussi une absence de crainte – quand les Français y vont, ils y vont, ils n’ont pas peur de poser une pyramide au milieu du Louvre. J’apprécie ce respect pour le passé tout en ayant le regard tourné vers le futur. J’aime aussi beaucoup le fait que la première réponse à une question, c’est toujours d’abord « Non ». « Non, ce n’est pas possible ». Et puis lentement, doucement, cela devient peu à peu « Peut-être » puis « Oui ».
Le sens de l’humour britannique vous manquerait-il?
Rassurez-vous, j’ai dans mon équipe quelques Brit’, au studio, on peut donc aisément exercer notre sens de l’humour!
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