Sarah Andelman, du regretté concept store Colette : « Aucune formation n’apprend à être curieux »

© RENAUD CALLEBAUT

Pionnière du streetwear et du commerce de détail, Sarah Andelman (46 ans) a été directrice de la création de Colette, le regretté concept store parisien qu’elle a dirigé avec sa mère, Colette Roussaux, de 1997 à 2017. Fondatrice de la société de conseil Just An Idea et éditrice, elle apprécie aussi les collaborations – récemment avec Vans et diverses artistes féminines. Son nom reste incontournable dans la sphère fashion.

Aucune formation n’apprend à être curieux et à toujours vouloir être à la page. J’ai étudié l’histoire de l’art et effectué des stages auprès de magazines comme Purple, mais j’aimais aussi la mode, le design, la gastronomie et bien d’autres choses. Ma mère avait une entreprise de prêt-à-porter, mais elle savait que je ne la reprendrais jamais. Alors, quand j’ai eu 19 ans, elle m’a suggéré de faire autre chose ensemble, en tenant compte de tous ces intérêts. Colette a été une expérience très riche, parce que j’avais beaucoup de liberté et que la boutique m’a beaucoup appris, mais ne me demandez pas quelles étaient mes compétences. Je suis le contraire d’une experte.

Suivre notre instinct est devenu notre force. Nous avons pensé Colette comme à un endroit où réunir tout ce qui nous plaisait, mais le succès du concept relève plus de la chance que de la stratégie. A l’époque, les grands magasins parisiens n’avaient plus vraiment le vent en poupe, ce qui a aidé. En voyageant à New York ou à Londres, nous avons découvert énormément de marques et de produits introuvables en France. Aujourd’hui, à peu près tout est à portée de smartphone, mais je ne suis pas pessimiste: les détaillants ayant une vision personnelle et une sélection rigoureuse ont aussi leur place dans un monde dominé par l’abondance.

J’aime créer des liens. Nous voulions proposer une offre unique, et j’ai donc mis les marques en contact avec des artistes et d’autres labels, et je le fais toujours: je mets les gens en relation pour qu’ils puissent créer ensemble des produits spéciaux. Chacun part de sa propre identité, et un produit final qu’aucune des personnes impliquées n’aurait pu imaginer seule voit le jour. Si une marque ne veut pas se diversifier, proposer une collaboration n’a aucun sens.

L’accélération continue de l’industrie de la mode a atteint ses limites. L’argent ne se dépense qu’une seule fois, et les consommateurs recherchent de plus en plus la qualité et la durabilité. En outre, personne ne peut suivre la succession rapide des collections. Les nouveautés s’enchaînent tellement vite qu’aucune ne marque vraiment les esprits. Chez Colette, nous étions constamment en train de tout changer et de tout renouveler. Je crains que nous soyons en partie responsables de la situation.

Je me rends compte du privilu0026#xE8;ge que l’on a de faire exactement ce que l’on veut faire.

Voir plus grand n’est pas toujours nécessaire. Au fil des ans, nous avons ouvert des boutiques pop-up avec Comme des Garçons à Tokyo et GAP à New York, entre autres, mais nous n’avons jamais voulu ouvrir de boutiques permanentes Colette dans d’autres villes. Nous aurions dû laisser la sélection et la présentation à d’autres, et l’aspect personnel aurait sans doute un peu disparu. Nous n’avons toutefois aucun regret. Le succès est souvent défini à tort par une croissance constante. Nous voulions juste vendre ce que nous avions acheté pour une saison, et c’était suffisant.

Mon plus grand plaisir est de découvrir de nouvelles choses. La pandémie m’empêche de découvrir de nouveaux lieux et produits et de faire des rencontres à l’étranger – le Japon, en particulier, m’a toujours énormément inspirée – mais c’est le moment d’être curieux: je tombe de temps en temps sur une perle rare en parcourant Internet et les réseaux sociaux. C’est ainsi que sont nés des projets comme la collection de livres Just an Idea Books. J’ai été éblouie, et certaines créations méritent d’être vues autre part qu’en ligne. A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, j’ai aussi réuni quatre artistes féminines pour Vans.

Mon travail est ma passion, et me fixer des limites relève parfois de l’impossible. Mon rythme de travail a quelque peu changé depuis mon mariage ( NDLR: avec le réalisateur et photographe américain Philip Andelman) et la naissance de mon fils il y a neuf ans. Mais dans l’ensemble, je fais la même chose que ma mère. Quand j’étais enfant, elle ne savait jamais quand s’arrêter, et je comprends pourquoi: plus vous savez ce que vous voulez, plus vous avez envie de le faire vous-même. A l’époque, j’étais triste de ne pas la voir souvent, mais aujourd’hui, je me rends compte du privilège que l’on a de faire exactement ce que l’on veut faire. Ma mère avait raison d’avoir choisi son travail: elle rentrait souvent tard à la maison et je ne me souviens pas l’avoir jamais vue cuisiner ( rires), mais j’ai toujours été heureuse.

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