Stella McCartney, 50 ans, l’âge de l’extravagance

Stella McCartney en 2020

Une grande année pour une grande dame. En septembre, Stella McCartney fêtera ses cinquante ans. Mais ce n’est pas tout, 2021 célèbre également les vingt ans de sa marque. Sa nouvelle collection hiver, dévoilée il y a quelques jours, marque un tournant dans sa carrière.

« J’ai l’habitude de parler durabilité, nouvelles solutions et enjeux majeurs pour la planète, après un défilé. Mais cette fois-ci, j’ai envie de parler de mode. Au final, elle sert surtout à remonter le moral et à nous donner de l’espoir ». Ainsi s’expime Stella McCartney via la plateforme Zoom.

La créatrice est assise devant son ordinateur dans sa maison de Cotswolds, vêtue d’une chemise kaki. En arrière plan, on distingue une rangée de livres, ayant tous la même couverture, posés sur une étagère blanche, simple. Sa nouvelle collection hiver, filmée à huis clos au Tate Modern de Londres, vient tout juste d’être mise en ligne. « Nous avons entamé la création de cette collection durant le second confinement, ici en Angleterre. C’était une période assez pesante et désagréable, tout comme la météo. Au propre comme au figuré, tout était sombre. Mais en même temps, je me suis rendue compte que tout allait s’arranger. J’avais le sentiment que nous pouvions commencer à réfléchir à une collection rafraichissante. C’était pour moi le commencement de quelque chose de nouveau. Un tournant. »C’est ainsi qu’elle qualifia sa collection riche en pattes d’éléphant, en imprimés artistiques, en paillettes et en bombers cropped superposés sur des costumes. En bref, extrême et excentrique.

« Je retrouve une extravagance dans tout ce que je n’aime pas d’habitude, mais ça me semble approprié à présent. »

À bien des égards, 2021 est une année charnière pour Stella McCartney. En effet, la créatrice soufflera ses cinquante bougies en septembre prochain. Quant à sa marque, elle passe cette année le cap des vingt ans, même si Stella McCartney a commencé sa carrière cinq années plus tôt, en 1997, à la tête de Chloé. Juste avant la pandémie, la créatrice a rompu sa collaboration avec le groupe de luxe Kering. Ainsi, elle a racheté sa société avant de s’associer au groupe rival LVMH. Ainsi, le groupe propriétaire de Louis Vuitton et de Dior, qui détient une participation minoritaire dans l’entreprise, souhaite mettre à profit l’expertise de la Britannique en matière de durabilité. « Je conseille le PDG Bernard Arnault. En prime, nous travaillons sur une multitude de projets que nous pourrons bientôt mettre au jour. »

Les déchets sont nos ennemis, c’est pourquoi nous réutilisons boutons, fermetures, imprimés et surplus.

Un bustier en champignon

L’année dernière, la créatrice a planché sur un manifeste qui sera le fil conducteur de sa marque ces prochaines années. Il s’intitule de A (pour ‘accountability’) à Z (pour ‘zero waste’). « Je me suis rendue compte qu’il était possible de faire plus avec moins. C’est pourquoi nos collections sont réduites. Cela va sans dire, nous n’avons jamais eu besoin d’autant de vêtements. Par ailleurs, nous essayons d’être le plus efficace possible, et je pense que nous avons tenu le pari. Les déchets sont nos ennemis, c’est pourquoi nous réutilisons boutons, fermetures, imprimés et surplus. Ainsi, lorsque nous avons entamé la collection hiver, j’ai d’abord jeté un coup d’oeil à ce que nous avions sous la main, et il s’est avéré qu’il n’y avait presque rien. C’est une bonne nouvelle. »

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.© Mert et Marcus

L’autre obsession de Stella McCartney? Les expériences avec de nouvelles matières. Il y a quelques jours, elle a dévoilé une première mondiale : deux vêtements, un bustier et un pantalon, fabriqués en Mylo. Cette matière, semblable au cuir, est conçue à partir de mycélium, une sorte de champignon. « Ça pousse en laboratoire et ne nécessite presque ni eau ni électricité. Cerise sur le gâteau, c’est végan et biodégradable. Dès lors, les possibilités sont multiples. Nous pouvons désormais cultiver des pièces assez grandes pour fabriquer des vêtements. C’est palpitant, on se rapproche d’une matière qui, à terme, pourra remplacer le cuir. Mais il y a encore du boulot, nous n’en sommes pas encore là. »

Laissez-moi danser

Fouler le dancefloor, tel est le rêve de Stella McCartney. « En réalité, ça fait des années que je n’ai pas mis les pieds dans une boite de nuit. Mais désormais, sommeille en moi cette envie de me faufiler dans une cave où la musique résonne fort. Danser, transpirer et ressentir à nouveau ces sensations. Pour être honnête, à l’aube du premier confinement, j’étais quelque part soulagée. D’ailleurs, je ne pense pas avoir été la seule. Plus de défilés, moins de voyages, moins de déchets. J’étais heureuse que nous puissions tenter de faire les choses différemment. En vérité, il s’avère que cela apporte du travail supplémentaire, ce qui est également intéressant. Par ailleurs, je me rends compte que cette crise nous a fait perdre beaucoup de choses. Tout me manque : les gens, l’énergie des défilés, l’engagement avec la communauté, les vêtements qui bougent, les expressions des mannequins, le son. Véritablement, les défilés donnent vie à votre marque. Lorsque nous avons tourné la vidéo au Tate Modern, je me suis échappée dans les salles d’exposition, et là, parmi toutes ces oeuvres d’art, j’ai ressenti quelque chose, mon Dieu, un énorme manque. La vie réelle me manque terriblement. Je pense que les défilés reviendront un jour, d’une certaine manière, mais nous n’oublierons pas ce que nous avons appris au cours de ces derniers mois. »

Pour être honnête, à l’aube du premier confinement, j’étais soulagée quelque part. D’ailleurs, je ne pense pas avoir été la seule. Plus de défilés, moins de voyages, moins de déchets. J’étais heureuse que nous puissions tenter de faire les choses différemment

La créatrice raconte avoir elle-même beaucoup appris. « Notamment sur mes privilèges. Mis à part la covid, le grand changement de ces dernières années est la parole qui est donnée à davantage de personnes. Les gens n’ont plus peur de dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas et d’affirmer qui ils sont. J’ai toujours trouvé que la beauté venait de l’intérieur, et j’ai toujours cru en l’espèce humaine. Je pense que je me situe du bon côt édans cette histoire. Mais ces derniers mois et dernières années, un coup de projecteur a été mis sur le fait qu’il y a encore beaucoup de travail à faire. C’est difficile pour moi de regarder en face les choix faits par certaines personnes qui avaient l’opportunité d’en faire de meilleurs. »« 

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.© Mert et Marcus

« Le monde changeait déjàbien avant que la covid n’existe. Le premier confinement fut intéressant. Tout d’un coup, il n’y avait presque plus d’avions, on parlait de la manière dont la nature reprenait ses droits et, peut-être pour la première fois dans l’histoire, nous récoltions des données sur les dommages causés à la nature. Depuis la révolution industrielle, c’était la première fois que tout s’arrêtait subitement. Pour moi, c’était une raison de passer à la vitesse supérieure. Ainsi, 80% de ma nouvelle collection est durable. Vous savez, je possède une ferme, et depuis la pandémie, toutes les subventions pour l’agriculture biologique se sont effondrées. L’économie et les soins de santé, sont désormais naturellement prioritaires. Mais malheureusement, l’aide à la planète est la première à disparaître. »

Ce virus empiète sur nos habitudes et les choix que nous faisons en tant qu’êtres humains. Mais personne n’en parle. Tout le monde se met la tête dans le sable.

 » Prenez, par exemple, la manière dont nous élevons les animaux pour les utiliser dans l’industrie de la viande ou de la mode. C’est une problématique qui n’est pas près de disparaitre. Chez Stella, nous n’y prenons pas part, et j’en suis très fière. Mais bon, le problème ne disparait évidemment pas pour autant. Cela dit, je pense que l’on peut tirer beaucoup de positif hors du négatif. Nous savons à présent que nous avons encore beaucoup à apprendre, et que nous devons continuer à chercher des solutions. »

« Depuis toujours, je suis une véritable optimiste. Tout simplement car il n’y a pas d’autre option. Et puis, j’aime le changement, je fais partie de ces personnes qui deviennent agitées face à la routine. »

C’est le moment de dire qui vous êtes avec ce que vous portez. Il ne faut pas avoir peur ni tenter d’être quelqu’un d’autre.

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.© Mert et Marcus

« Dans le passé, la marque Stella était constamment associée à des vêtements confortables et plutôt discrets. Cette fois-ci, je désirais quelques chose de plus extravagant ». Bien évidemment les vêtements sont toujours beaux. « Mais ils sont peut-être un peu moins discrets qu’avant, plus « vivants » et jeunes d’esprit, audacieux et confiants, avec l’accent mis sur le corps. » Les couleurs sont vives, les imprimés frappants. Et on retrouve une quantité impressionnante de paillettes, comme l’ont fait d’autres marques, notamment Prada, pour l’hiver prochain. « Je pense que nous ne devons pas rester sur la réserve, surtout en cette période. Portez ce que vous voulez, quand vous le voulez. C’est le moment de dire qui vous êtes avec ce que vous portez. Il ne faut pas avoir peur ni tenter d’être quelqu’un d’autre. »

Je désire sortir du placard le vêtement le plus brillant, le plus serré, le plus dément et l’enfiler, même si c’est totalement inapproprié. »

« Bien sûr, il n’y a rien de mal à porter des vêtements confortables. L’année dernière, on a commencé à acheter différemment, à acheter plus confortable, et c’est très bien ainsi. Mais je suis convaincue qu’il est toujours possible de s’évader dans la mode. Et c’est pourquoi j’ai voulu prendre position, j’ai créé une mode qui pourrait m’éloigner de la réalité dans laquelle nous vivons depuis bien trop longtemps. Il suffit de trouver le juste équilibre. Et puis, je ne pense pas que la vie reviendra comme avant. Mais je pense aussi que tout le monde est impatient de ressortir. Je désire sortir du placard le vêtement le plus brillant, le plus serré, le plus dément et l’enfiler, même si c’est totalement inapproprié. »

Stella McCartney a, selon elle, créé des vêtements reflétant la lumière qui brille au bout du tunnel. Si tout va bien, elle marquera le début de nos ‘années folles’. « Lorsque nous sortirons de ce confinement, il n’y aura peut-être plus de règles. »

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