Karen Van Godtsenhoven, curatrice: « La mode est synonyme d’inonvation… »

© Titus Simoens
Wim Denolf Journaliste Knack Weekend

Après des études de littérature, Karen Van Godtsenhoven (41 ans) a collaboré avec le MoMu d’Anvers et le Metropolitan Museum of Art de New York et est désormais rattachée au Barbican, à Londres. Celle qui est aussi cocuratrice de l’expo M&Others au Musée de la mode de Hasselt termine actuellement son doctorat à l’université de Gand.

Passions

Les passions véritables finissent toujours par se concrétiser. A l’adolescence, une tante et une voisine m’ont fait découvrir le monde de la mode à Bruxelles et à Anvers, ce qui m’a fait comprendre que ce secteur n’était pas lointain et inaccessible. Et même si je n’avais pas le talent de couturière de mes grands-mères, cet intérêt revenait dans tout ce que je faisais. J’ai été mannequin, j’ai consacré ma thèse aux flâneuses du XIXe siècle et j’ai travaillé comme journaliste mode un certain temps. Résultat: je sais qu’il est possible de trouver sa voie, même si on doit parfois prendre des chemins détournés.

Limites

Partir à New York et en revenir m’a apporté beaucoup. J’y ai accumulé les expériences personnelles et professionnelles, mais tout ça a ses limites. Là-bas, au musée, la billetterie et les sponsors privés pèsent énormément, et il faut aussi faire soi-même des sacrifices, sans pour autant améliorer sa qualité de vie. Nous vivions dans un clapier loin du centre et la garde d’enfants était inabordable. Mais je n’ai laissé ni ce travail ni la ville me consumer. La vie de free-lance est incertaine, mais je suis libre d’explorer ce qui m’intéresse et de mieux contrôler l’équilibre entre vies professionnelle et privée.

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Doutes

Il devient de plus en plus difficile de défendre l’industrie de la mode. La mode me fascine: elle décrit l’époque dans laquelle nous vivons et l’avenir, et c’est peu ou prou la forme d’art la plus accessible. Mais le système qui la sous-tend est malade. L’impact environnemental, la souffrance humaine en coulisses, le commerce qui évince la créativité: tout me fait douter. A cause des tempêtes sur les réseaux sociaux et de l’autocensure, les conservateurs de mode ont également moins de marge de manœuvre pour se positionner… Mais je ne peux me sentir bien dans ma profession que si j’ai le droit d’être critique.

Confiance

Les Belges sont peut-être trop modestes. Je me souviens de mon arrivée à New York avec un visa pour étrangers «aux compétences extraordinaires». Lorsque le douanier a voulu en savoir plus, j’ai eu du mal à m’exprimer: je suis bien trop terre-à-terre pour me vanter. Pourtant, la ville a eu un impact sur moi: j’ai désormais plus confiance en moi.

« Il devient de plus en plus difficile de défendre l’industrie de la mode. »

Tabous

La question est de savoir ce que l’on fait de ses peurs et de ses doutes. Parce que j’ai été très sensible dans mon enfance et que j’ai été hospitalisée pendant un certain temps, j’ai consulté épisodiquement un psy pendant vingt ans. C’est encore un tabou dans notre société. Les gens sont en lutte avec le burn-out, la crise de la quarantaine, les problèmes relationnels, la perte d’un être cher… Et l’idée est souvent qu’il faut s’en sortir seul. A New York, il est normal de parler de son thérapeute lors d’une réception. Ici, les gens souffrent en silence.

Héritage

Vos enfants sont leurs propres personnes. J’ai rapidement réalisé que mon fils de 1 an et demi et ma fille de 4 ans avaient leur propre personnalité. Simone, par exemple, est plus affirmée et moins accommodante que moi, tandis que Théodore est un enfant très joyeux. Cela me rassure: au moins, je ne dois pas craindre de leur avoir transmis ma nature anxieuse. Le monde devra de toute manière être différent à l’avenir, donc il est bon que les jeunes générations aient leur propre vision des choses.

Littérature

La mode et la littérature sont complémentaires. Les défilés et les collections dépeignent souvent un monde et vous transportent dans une autre réalité, comme les romans. Enfant, ils m’ont aidée à créer mon propre espace et à trouver l’apaisement, car j’ai grandi avec deux frères qui partaient parfois dans tous les sens. Aujourd’hui, la lecture est toujours une forme de selfcare pour moi. Par exemple, je lis beaucoup d’écrivains new-yorkais, ce qui m’aide à donner une place à cette ville dans ma vie.

Diversité

Il n’est pas vrai que les créateurs masculins sont des génies créatifs et que les femmes conçoivent surtout des choses pratiques. Il y a des exemples des deux côtés. Cependant, même dans la mode, il existe encore beaucoup de discrimination basée sur le genre et peu de compréhension pour les personnes qui veulent une vie de famille. Des femmes comme Meryll Rogge et Simone Rocha préfèrent donc se lancer à leur compte. Cette situation appauvrit la créativité dans les grandes maisons. La mode est synonyme d’innovation et de diversité – il n’est donc pas souhaitable de continuer à embaucher des hommes au profil similaire.

M&Others est à voir jusqu’au 5 janvier. modemuseumhasselt.be

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