Tendance Zizmorcore ou comment arborer, par l’accessoire, son soutien à l’horeca
Des ruines de la pandémie émerge une tendance réconfortante: le Zizmorcore, qui consiste à arborer fièrement le nom ou le logo de son adresse préférée plutôt que celui d’une marque anonyme. Parce que bars, restaurants et autres QG sont peut-être loin des yeux, mais jamais du coeur.
Au commencement était le Docteur Jonathan Zizmor, dermatologue new-yorkais devenu célèbre pour ses publicités kitsch à souhait dans le métro. C’était un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître (la première pub étant apparue dans le subway en 1991), l’époque où il était permis de voyager librement à New York, mais où peu de touristes s’y risquaient car la mégapole n’était pas encore devenue le gigantesque parc à thème sécurisé qu’elle est aujourd’hui.
Ville la plus touchée du pays occidental le plus touché par la pandémie de Covid-19, Big Apple est aujourd’hui en quête de sens, les visiteurs ayant à nouveau déserté ses rues, tout comme les adresses qui les animaient, contraintes d’abord de fermer de longs mois durant, puis de rouvrir sous forme édulcorée, avec quelques tables éparpillées en terrasse. Un cauchemar, pour la ville qui ne dort jamais, qui a pourtant réussi à soutenir l’économie locale, au passage, grâce au formidable engouement pour le Zizmorcore. Soit « la fierté new-yorkaise portable », ainsi que l’a définie New York Magazine, premier à avoir théorisé la tendance. Un phénomène qui n’aura pas attendu longtemps pour s’exporter de ce côté-ci de l’Atlantique.
Retrouver de la souveraineté
Logique, pour Vincent Grégoire, expert au sein du bureau de tendances parisien Nelly Rodi, et fan de la première heure des publicités loufoques du bon Docteur Zizmor. « C’était une sorte de rockstar dans le paysage new-yorkais, l’incarnation du mythe de l’Américain qui a réussi, le tout sur fond d’esthétique cartoonesque, se souvient-il. On a besoin de relocaliser. Zizmor fait partie du paysage urbain, il rassure et il permet de redonner un peu de fierté à une ville que Trump avait presque réussi à rendre has-been. »
Et il n’y a pas que la Grosse Pomme qui craque pour la tendance: en Belgique aussi, une forme de localisme assumé s’affiche sur vêtements et accessoires, par le biais de merchandising looké. Pourquoi vous limiter à savourer la sélection de viandes d’exception de la boucherie Dierendonck, à la Côte, quand vous pouvez aussi afficher votre passion dévorante sur une casquette ou un sac filet estampillé? Les bières artisanales de l’Ermitage vous font tourner la tête? Revendiquez-le avec un masque buccal aux couleurs de la microbrasserie bruxelloise, agrémenté d’un « soif » d’actualité. Soif de rencontres, de soirées qui finissent quand le soleil se lève, de la vie d’avant, qui ne sera plus jamais vraiment la même, notamment parce qu’il aurait semblé plutôt incongru à l’époque de transformer son dressing en autel à la gloire de ses adresses préférées. Voire même d’appliquer la tendance à la décoration de son appartement tout entier.
J’adore Old Boy, je suis une inconditionnelle, et m’offrir un goodie est une manière de le revendiquer, de garder un souvenir de cette période ultrabizarre aussi.
Lors de sa collaboration exclusive avec Mission Masala, Old Boy, archétype de la cantine branchée, avait proposé, outre des plats fusion inspirés de l’Inde, un poster bollywoodesque, rapidement sold out. Parmi ceux qui ont réussi à se le procurer (avec une double portion de butter chicken bao en prime), Margaux, une graphiste bruxelloise, séduite « par l’esthétique ultrakitsch du poster, mais aussi par ce qu’il représentait. J’adore Old Boy, je suis une inconditionnelle, et m’offrir un goodie est une manière de le revendiquer, de garder un souvenir de cette période ultrabizarre aussi. Techniquement, ils n’ont pas le droit d’ouvrir, mais ça ne m’empêche pas de continuer à commander leurs bao de manière obsessive et à me dire que comme ça, je m’assure qu’ils soient toujours là à la réouverture de l’horeca. »
Réenchanter le local
« Il y a une trouille de l’inconnu, on ne sait pas de quoi demain sera fait, donc c’est toujours rassurant de remasteriser des choses qui sont devenues des standards, décode Vincent Grégoire. Les tendances actuelles expriment un besoin de retrouver de la fierté, de réenchanter le local plutôt que de refléter une globalisation angoissante. On a besoin de se raccrocher à des choses qui font partie de l’imaginaire populaire, la culture de la rue est celle qui a le plus morflé ces derniers mois et le Zizmorcore est une forme de revanche là-dessus, une manière de fédérer avec une esthétique nostalgique feel good. » Sous le logo, l’Homme: « On porte les noms de nos adresses préférées comme des mantras qui racontent des histoires. Il n’y a plus que quelques ringards qui affichent des monogrammes de marque, ici ce sont des logos qui ont du sens et qui appartiennent à tout le monde. » Gloire à la rue.
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