Yohji Yamamoto se dévoile dans une autobiographie

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My Dear Bomb tisse une jolie trame entre l’homme et le créateur. Entretien.

« La plupart du temps, tout ce que les hommes cherchent dans le sexe opposé, c’est un chaud réceptacle mettant leur virilité en valeur. » Ainsi débute My Dear Bomb, premier livre et autobiographie de Yohji Yamamoto. A 67 ans, il n’y va pas par quatre chemins. A la fois violent et pudique, ce récit, aussi déconstruit que ses vêtements, où les paroles de chansons s’insèrent entre la fiction et la réflexion sur l’importance du col, révèle la complexité du personnage.

Ainsi, d’un côté, Yohji le séducteur, buveur, fumeur impénitent, l’enfant Yohji, marqué au fer rouge par le destin d’un pays, élevé pauvrement par sa mère, couturière et veuve de guerre. Et puis, de l’autre, le créateur de génie surtout, qui nous bouleverse avec ses rêves de liberté plein les poches, sa passion pour Paris, sa croyance que « la mode est l’une des formes d’art qui exprime la sensibilité la plus aiguë ». Mais aussi les souvenirs de ses collaborations mythiques (avec Wim Wenders, Pina Bausch, Takeshi Kitano…).

Entretien avec un grand homme qui n’a pas abandonné ses rêves d’enfant et sera le sujet d’une exposition au Victoria & Albert Museum de Londres, à partir du mois de mars.

Comment est né ce projet de livre?

D’une demande de mon éditeur, Ludion. Personnellement, je n’avais jamais pensé à écrire un livre sur moi. Depuis le début de ma carrière, j’ai mis toutes mes émotions dans mes vêtements. Je ne voulais pas donner une explication à cela, ajouter un commentaire.

Il y a un an, en pleine crise financière, ma société a connu un accident dramatique. [NDLR : elle a été placée en redressement judiciaire pour cessation de paiement.] J’ai alors compris qu’il existait deux types de personnes. Celles qui se réjouissaient de cette situation et pensaient: « Bravo, Yohji est fini. » Et celles qui disaient: « S’il vous plaît, revenez. » En tout cas, une chose est sûre, c’est que je suis devenu tout d’un coup deux fois plus célèbre.

Ce livre est donc une réponse à ceux qui vous ont enterré trop vite?

C’est une manière de leur dire: « Désolé, mais je suis encore là. » Je me sens puissant, j’ai encore du talent, de l’imagination pour créer de nouvelles émotions.

Cette expérience vous a-t-elle rendu plus fort?

Oui. Un an seulement après ces difficultés, je me suis rendu compte que j’étais encore capable de faire beaucoup de choses. Ma compagnie ne m’appartient plus. Nous avons signé un contrat à très long terme avec un partenaire financier. [NDLR: le fonds japonais Integral.] Mais, depuis que je suis dégagé des responsabilités relatives au management, aux problèmes d’héritage, je me sens très libre. Je suis désormais un créateur free-lance, comme mon ami Marc Jacobs. Je peux réaliser des choses en dehors de la mode, écrire un livre par exemple.

On mesure à quel point le poids de votre enfance a construit l’homme, le créateur…

A cette époque, ma vie se résumait à ma mère, et moi, son fils unique. Elle était veuve de guerre et ne voulait pas se remarier. Pour m’élever, elle a décidé de travailler et a appris le métier de couturière. C’était si lourd pour moi. Je détestais l’odeur de vapeur du fer à repasser, le bruit des machines à coudre. Ma mère rêvait que j’intègre une riche entreprise, j’ai donc abandonné mon ambition de devenir peintre et j’ai appris la haute couture.

Vous êtes toujours en révolte ?

Ma mère et moi vivions dans des rues malfamées. Donc, en tant que garçon, j’ai été amené naturellement à me battre pour la défendre. Je suis devenu son protecteur. Quand je crée des vêtements, c’est un peu la même chose. Je cherche instinctivement à protéger les femmes du regard dégoûtant des hommes.

Mais, paradoxalement, votre approche est aussi très sensuelle. Physiquement, le corps des femmes est comme un désert dont les dunes, balayées par le vent, évoluent en permanence. J’essaie de créer sur ce mouvement. C’est un charmant métier. Très difficile aussi, parce que les vêtements féminins ne sont soumis à aucune règle, ils sont libres. Seuls les vrais créateurs sont capables de les concevoir. En comparaison, la mode masculine est très limitée.

Quelles ont été les parties de ce livre les plus difficiles à écrire?
Celles qui concernent mes liaisons avec certaines femmes. Quand j’évoque des relations générales, je peux mentir, inventer des histoires. Mais, là, il se trouve que l’une d’elles est toujours en vie, exerce le même métier. [NDLR : la mère de son jeune fils et proche collaboratrice…]

Les projets à réaliser?
Je vais enfin concrétiser ce dont je rêve depuis l’âge de 10 ans: devenir peintre. Enfant, j’étais vraiment bon en dessin, mais j’ai dû renoncer à ce rêve pour des raisons financières. Picasso et Monet n’ont qu’à bien se tenir!

Propos recueillis par Charlotte Brunel
My Dear Bomb, de Yohji Yamamoto et Ai Mitsuda. Editions Ludion, 192 pages, 24,90 euros.

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