Yohji Yamamoto

Arrivés en rebelles à Paris en 1981, Yohji Yamamoto et sa consoeur Rei Kawakubo, créatrice de Comme des garçons, vont d’emblée mettre le feu à une conception bourgeoise, voire aristocratique, de l’élégance. Aux vêtements de cour, robes de bal et autres tailleurs rutilants de la couture, ils répondent par des oripeaux de ferme, des manteaux de réfugiés, troués, froissés, élimés, frottés de réel, qui signent une cassure avec le chic parisien. Les filles défilent d’un bon pas, raides, concentrées, sans sourire ni déhanchement. Les deux premières saisons, la presse, en état de choc, parle d’allure postnucléaire, d’un bonze et d’une kamikaze…

Le noir, la désintégration du vêtement, la remise en question de sa construction, de son côté permanent ou périssable: tout cela, après avoir profondément marqué une génération de designers belges, apparaît encore d’actualité. Pour comprendre l’origine de cette attirance, il faut sans doute plonger dans les affres d’une histoire personnelle. Orphelin d’un père mort lors de la Seconde Guerre mondiale, Yohji Yamamoto forme avec sa mère un couple fusionnel. Elle possède un atelier de couture et il l’observera longtemps avant d’étudier lui-même la mode à l’école Bunka Gakuen. Les clientes d’alors brandissent des magazines européens et lui font recopier des modèles. Ce renoncement à toute créativité lui déplaît, tout comme l’insupporte le côté bariolé des rues de Tokyo.

Au cours des années 1970, à travers sa ligne japonaise Y’s, le jeune créateur qu’il était trouvera le remède à ces chamarrures en prônant le noir dense, délavé, brillant ou mat, dont il démontrera qu’on peut varier la palette à l’infini. Le noir, reflet d’une âme, non pas obscure mais introvertie, éprise de sensualité et de mystère. Ceux qui portent les vêtements du couturier aiment ce paradoxe entre un côté à la fois éternel et avant-gardiste.

Et puis, ce sera Paris, les premiers pas difficiles et, enfin, la reconnaissance. Le courant des années 1990 verra le designer japonais collaborer à de nombreux projets artistiques. Il crée les costumes de « Madame Butterfly » pour l’Opéra de Lyon, en 1990, ceux de « Tristan et Isolde », à Bayreuth, en 1993, ceux de « Life », de Ryuichi Sakamoto, en 1999. Il sera au rendez-vous de presque tous les films de Takeshi Kitano et, en 1998, pour le 25e anniversaire de la compagnie de Pina Bausch, à Wuppertal, il s’amuse au côté de la chorégraphe, au cours d’un grand moment d’improvisation, à habiller en femmes les danseurs de la troupe. La mode n’est pas un art, c’est pourtant en artiste que Yohji Yamamoto s’exprime à travers le vêtement; son irrévérence lui vient indéniablement de sa connaissance et de sa passion pour lui.

En 2002, Yohji Yamamoto entame une aventure avec la marque sportive Adidas, créant la ligne Y 3, dans laquelle vision couture et gimmicks sportifs s’entrechoquent pour le meilleur. Sa façon de s’inscrire dans la modernité, à l’heure où le vêtement de sport détourné s’intègre aux collections de prêt-à-porter.

P.P.

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