Armie Hammer, l’acteur qui monte

Dans Une femme d'exception, Armie Hammer incarne le mari de Ruth Bader Ginsburg : " Ils avaient tout compris des relations homme-femme ! " © Getty images

Dans Une femme d’exception, l’acteur américain incarne Marty, le mari féministe de Ruth Bader Ginsburg, juge à la Cour Suprême des Etats-Unis et militante historique pour les droits des femmes. Le genre de héros trop rare au cinéma, où la virilité machiste tient encore souvent lieu de norme. Rencontre avec un homme désireux de changer les codes.

On aurait pu croire de prime abord que cela partait d’une bonne intention. Pourtant, ce dîner auquel le doyen de la faculté de droit de Harvard convie les neuf jeunes femmes fraîchement arrivées à Boston en 1956 a tout de ce que l’on qualifierait aujourd’hui de manoeuvre d’intimidation. Passées les civilités d’usage, le juriste leur aurait sèchement demandé de justifier pourquoi elles prenaient ainsi la place d’un homme forcément plus compétent qu’elles, ne laissant dès lors à la gente masculine  » plus que  » 491 places sur 500. Ce ne sera pas la seule mesure vexatoire que subira Ruth Bader Ginsburg tout au long d’une brillante carrière qui la mènera jusqu’à la Cour Suprême des Etats-Unis, où elle siège encore aujourd’hui, à 85 ans. Une femme d’exception, le film de la réalisatrice Mimi Leder qui est sorti sur nos écrans ce mercredi 6 mars à quelques jours de la Journée internationale des droits des femmes, retrace plus de vingt ans de sa vie, de son parcours d’étudiante mère de deux enfants à ses débuts d’avocate, militante engagée des droits civiques, ceux des femmes en particulier. Le scénario, signé par le neveu de celle qui est devenue une véritable icône de la pop culture outre-Atlantique (lire par ailleurs), s’intéresse autant à ses combats qu’à son quotidien, un parcours exemplaire qu’elle n’aurait jamais pu mener sans l’aide de son mari. Un couple qui n’est pas sans rappeler celui formé par Simone et Antoine Veil, tous deux admis au Panthéon par Emmanuel Macron en juillet dernier.

Armie Hammer, l'acteur qui monte
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Felicity Jones (*) incarne avec brio celle que ses fans surnomment Notorious RBG. A ses côtés, Armie Hammer, révélé il y a dix ans dans The Social Network, donne vie à cet homme idéal, presque trop beau pour être vrai.  » Un personnage comme on vous en propose trop peu dans une carrière « , pointe l’acteur américain de 32 ans, marié à l’entrepreneuse Elizabeth Chambers et père de deux enfants.

Qu’avez-vous aimé explorer chez votre personnage ?

Ruth Bader Ginsburg est une figure publique très connue, facilement reconnaissable jusque dans la manière dont sonne sa voix, dont elle s’habille. En ce qui concerne Marty, le ressenti me semblait plus essentiel que la ressemblance physique, il était important pour moi de laisser transparaître son charme, son esprit, son intelligence, son empathie… C’était un avocat brillant dans son domaine mais c’était surtout le gars à côté de qui vous aviez envie de vous retrouver assis lors d’une soirée.

Comment décririez-vous la relation qui unissait Marty et Ruth ?

C’est le partenariat parfait ! Ils avaient tout compris des relations homme-femme ! Ils étaient vraiment en symbiose. Et surtout, ils avaient conscience tous les deux qu’au quotidien, il y avait toute une série de tâches qui devaient être accomplies. Point. Qu’il s’agisse de leurs carrières, de leur famille, de prévoir qu’il y ait de quoi manger sur la table, cela devait se faire ensemble. Il n’y avait jamais le moindre ressentiment, jamais la moindre compétition : ils se voyaient comme un tout, comme une unité familiale.

Fait plutôt rare à l’époque, non ? Voire aujourd’hui ?

Marty était un homme fort qui avait confiance en lui, assez solide en tout cas pour aller à l’encontre de ce que l’on attendait d’un Américain dans les années 50, puis 60 et même 70 ! A l’époque, jamais un homme ne cuisinait, ne nettoyait la maison ou ne préparait ses enfants pour l’école. Marty ne priorisait pas les tâches : les combats de sa femme étaient à ses yeux essentiels mais les tâches domestiques liées à l’éducation des enfants tout autant. On voit encore trop rarement ce genre de relation égalitaire dans un film. C’est très sous-représenté, et avoir la chance de jouer un personnage de cette trempe est tout simplement fantastique.

Au cinéma, ne recherche-t-on pas plutôt le conflit pour nourrir l’intrigue ? Or les couples heureux n’ont pas d’histoire…

Je ne connais pas de relation sans aucun conflit. Je ne pense pas, d’ailleurs, que cela existe. Mais là aussi, c’est une question de priorité. Ils avaient en tout cas assez de raisons de se battre en dehors de leur mariage, et ces combats pour les droits des femmes et des minorités, ils avaient choisi de les mener ensemble.

Comment vous sentiez-vous à l’idée de rencontrer Ruth Bader Ginsburg, sachant qu’elle vous verrait interpréter son mari à l’écran ?

J’en avais littéralement des frissons, surtout en pénétrant dans les bâtiments de la Cour Suprême. Jamais de ma vie je n’aurais imaginé me retrouver entre ces murs… A moins d’avoir un jour de gros ennuis avec la justice ! C’est une personne incroyablement intimidante, en dépit de sa toute petite taille. Elle incarne le pouvoir. Et je me suis retrouvé là, à ses côtés, dans l’attente en quelque sorte de sa bénédiction, moi qui allais incarner la personne qui a sans doute le plus compté dans sa vie. Comme voulez-vous que cela ne vous stresse pas ? Mais en réalité, elle est adorable. Elle a pris le temps de recevoir l’équipe, de nous parler, de répondre à nos questions. Surtout, c’était juste magnifique de voir comment son visage s’illuminait dès qu’elle parlait de Marty.

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Marty Ginsburg semblait avoir le don de dédramatiser beaucoup de choses avec humour. Une vertu dans laquelle vous croyez ?

L’humour est un lubrifiant social formidable. Comme le disait Mary Poppins, c’est cette cuillère de sucre qui est capable de tout faire passer ! Au cinéma, en tout cas, si cela s’y prête, c’est une manière parfaite de rendre votre personnage plus attachant, plus charmant.

Dans le cas présent, vous avez été servi…

Tout à fait. Cela ne vous arrive pas tous les jours de jouer le mari et le père idéal. J’ai appris tellement de choses dont je compte bien tirer profit, et de préférence toute ma vie. Je trouverais ça plutôt chouette, d’ailleurs, que ça inspire également les hommes qui verront ce film. Qu’ils puissent se dire :  » Moi aussi, je pourrais faire comme lui et être un compagnon de vie plus cool, être un vrai partenaire dans ma relation de couple.  » C’est clairement une des raisons qui m’a poussé à accepter ce rôle. Marty avait tout compris ! Il n’a jamais consenti à donner prise au patriarcat social en vigueur à l’époque. Il n’était pas du genre à croire que parce que tu es un homme, c’est toi le patron et on t’obéit. Ces temps-là sont, je l’espère, révolus. A sa manière, il incarne le futur de la masculinité.

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Vous dites que les temps ont changé… Mais l’arrivée de Brett Kavanaugh à la Cour Suprême, en dépit des accusations d’agressions sexuelles dont il fait l’objet, tendent à prouver le contraire…

Ne m’en parlez pas ! Cela m’a terriblement frustré. En outre, il n’y a rien de pire pour un acteur que de regarder un type faire aussi mal l’acteur. Je ne pouvais m’empêcher de penser en le voyant :  » Ce n’est pas possible que quelqu’un puisse croire un traître mot de ce qu’il dit !  » Cette affaire est insensée. L’expérience nous apprend qu’en matière de progrès, l’histoire a tendance à faire  » deux pas en avant, un pas en arrière « . Là, c’est un vrai pas en arrière.

Est-ce d’autant plus important de rappeler les combats menés par Ruth Ginsburg ?

Evidemment. Plus que tout, cela démontre que l’on peut gagner des batailles à la loyale. Ses luttes pour l’égalité homme-femme, elle les a remportées sans diviser à tout prix, ni en refusant d’écouter ceux qui ne sont pas de son avis. Pour convaincre, il faut éduquer les gens, leur démontrer la vérité.

Un peu plus d’un an après les débuts des mouvements #MeToo et Time’s Up, le changement est-il vraiment en marche ?

Depuis le début de ma carrière, c’est le premier film que je tourne avec une femme réalisatrice. C’est un peu honteux, car je fais ce boulot depuis pas mal d’années. Que ceux qui auraient envie de me demander si c’est  » pareil  » qu’avec un homme, si c’est  » aussi bien « , se rassurent ( il sourit ironiquement) : ils n’ont aucun souci à se faire, je suis prêt à en témoigner ! C’est même plutôt cool en fait, rafraîchissant de travailler avec des équipes majoritairement féminines, comme cela a été le cas pour ce film, où tous les postes à responsabilités étaient détenus par des femmes.

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Avez-vous des angoisses que vous aimeriez surmonter devant la caméra ?

Je n’ai pas choisi ce métier pour être en sécurité. Je me connais assez aujourd’hui pour savoir que si quelque chose me rend nerveux, c’est exactement la direction dans laquelle il faut que j’aille car je serai challengé. Call Me By Your Name est l’exemple parfait. Pendant presque tout le film, vous êtes en face de deux personnes qui passent ensemble par des émotions complexes et fortes, c’est brutal car on ne peut se cacher derrière aucun artifice : il n’y a que vous face à la caméra et cela rend très vulnérable. Si ça ne fonctionne pas, le film est foutu.

Quelles sont vos icônes féministes ?

Bien avant de tourner ce film, je vous aurais déjà dit Ruth Bader Ginsburg, bien sûr, mais aussi Gloria Steinem ( NDLR : une journaliste et auteure engagée), qui a combattu avec Ruth d’ailleurs. Et puis surtout, ma femme ! Je l’admire si fort… Elle est volontaire, passionnée, bien plus intelligente que je ne le suis. J’ai tellement de veine qu’elle se soit contentée de moi ! J’ai la chance d’être entouré de femmes fortes et je suis convaincu que toutes celles qui osent doivent être considérées comme des icônes féministes.

Que pensez-vous que les hommes d’aujourd’hui pourraient améliorer ?

Je crois qu’il n’existe pas un seul homme sur terre qui ne pourrait pas apprendre à mieux écouter. Ils ont tenu le micro depuis trop longtemps. Il est temps qu’ils entendent l’expérience des autres. Des femmes bien sûr, mais pas uniquement. Les minorités doivent avoir voix au chapitre, surtout aux Etats-Unis, nous avons tous à y gagner.

(*) Retrouvez l’interview de Felicity Jones sur www.levifweekend.be

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RBG, icône de la pop culture

A 85 ans, celle qui siège à la Cour Suprême des Etats-Unis depuis 1993 incarne aujourd’hui la résistance féministe à Donald Trump. Mieux, cette juriste à l’allure plutôt austère fait figure de véritable icône pop, comme en témoignent les tee-shirts, mugs et autres tatouages à son effigie. Acclamée telle une rock star lors de ses apparitions publiques, elle est représentée dans Les Simpson ainsi que dans la célèbre émission satirique Saturday Night Live. Son look aisément reconnaissable – chignon serré, lunettes, robe noire, col en dentelle et maillet – lui vaut d’être devenue depuis quelques années l’une des personnalités publiques les plus populaires le soir de Halloween, ainsi que le confirme le choix de costume de l’un des héros de la série The Big Bang Theory en novembre dernier.

Plus sérieusement, c’est bien sûr à son combat pour l’égalité des sexes que la juge, qui n’a pas hésité à traiter Donald Trump d’imposteur, doit sa réputation. Déjà taclée dès son arrivée à Harvard, elle butera également contre le machisme des grands cabinets et se réfugiera d’abord dans l’enseignement avant de devenir l’avocate de l’American Civil Liberties Union, spécialisée dans les discriminations liées au sexe. Sa cible privilégiée ? Les lois sensées  » protéger  » les femmes soit-disant trop vulnérables pour mieux les écarter. L’une de ses petites phrases frappe encore toujours les esprits.  » Nous placer sur un piédestal revient à nous enfermer dans des cages. Nous demandons juste aux hommes d’ôter leurs pieds de notre nuque.  » Tout est dit.

Nocturnal Animals, par Tom Ford (2016).
Nocturnal Animals, par Tom Ford (2016).© dr
The Lone Ranger, par Gore Verbinski (2013).
The Lone Ranger, par Gore Verbinski (2013).© dr
The Social Network, par David Fincher (2010).
The Social Network, par David Fincher (2010).© dr
Call Me By Your Name, par Luca Guadagnino (2017).
Call Me By Your Name, par Luca Guadagnino (2017).© dr
Hotel Mumbai, par Anthony Maras (2019).
Hotel Mumbai, par Anthony Maras (2019).© dr

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