Sébastien Ministru: « Un homosexuel est d’office un militant ou, au moins, un défenseur de sa propre liberté au quotidien »

© Hadrien Duré

Grandi au pied de terrils, journaliste, homme de radio, de théâtre et romancier, Sébastien Ministru (60 ans) devrait voir, après vingt ans, sa pièce Excit remonter sur la scène du TTO, à Bruxelles, et s’apprête à publier son deuxième roman, La garde-robe.

Quand j’ai écrit Excit, j’étais beaucoup plus innocent et inconscient qu’aujourd’hui. Il y a eu vingt ans entre, des spectacles, des podcasts, des livres, des mises en danger, avec un peu plus d’exposition publique et intime. L’environnement et l’ambiance ne sont plus les mêmes, à cause entre autres des réseaux sociaux, de l’avènement de l’intérêt pour toute une série de courants de pensée intersectionnelle, le néo-féminisme, l’antiracisme, l’anticolonialisme, la lutte contre l’homophobie, qui n’étaient pas encore très visibles alors et qui le sont maintenant et nous poussent à une déconstruction du discours. J’y suis très sensible et j’essaie de ne pas reproduire des schémas discursifs de domination implantés par notre éducation.

‘Vers 15 ou 16 ans, j’ai du0026#xE9;couvert que cette diffu0026#xE9;rence serait ma force et que ce serait lu0026#xE0;-dessus que j’allais pouvoir exister.’

Un homosexuel est d’office un militant ou, au moins, un activiste de sa propre vie, un défenseur de sa propre liberté au quotidien. Toutes ces questions autour de la norme, de la domination et de la discrimination, j’y ai toujours été sensible puisque je l’ai vécu très tôt, dès l’école primaire, au moment où j’ai compris que la parole que j’inspirais était harcelante et discriminante. Quand un enfant ressent qu’il est rejeté et discriminé alors qu’il n’a pas les mots pour définir les choses, quand il comprend cela, on l’oblige à être plus intelligent qu’il ne devrait l’être, à organiser une mécanique de la défense, de la fuite et de l’évitement.

Tout ce que j’ai vécu m’a forgé, m’a poussé à chercher, explorer, lire, ouvrir mon oeil et mon esprit. Cela vous oblige à trouver ce qui ne va pas dans le rapport normatif imposé. Je me suis rendu compte que ce que je vivais, d’autres l’avaient vécu et le racontaient bien mieux que moi, avec des mots qui me faisaient du bien. Vers 15 ou 16 ans, j’ai découvert que cette différence serait ma force et que ce serait là-dessus que j’allais pouvoir exister.

Au plus fort de l’épidémie, fin avril, j’ai perdu mon père.Il était seul quand il est mort, je le sais, il n’y avait personne à côté de lui pour lui tenir la main ou lui susurrer quelques mots à l’oreille. Cela m’est intolérable.

Je viens de la culture de la mine, d’un milieu d’immigrés italiens prolétaires où il y avait de la joie de vivre, de la solidarité, de l’entraide et du courage. Mais c’était aussi un milieu machiste avec des normes très codifiées autour de la virilité, du patriarcat et du rôle de la femme. Dans les corons où j’ai grandi, à Flénu, dans la Cité du Vatican, j’ai connu des jeunes filles cloîtrées qui, si elles sortaient de chez elles, étaient frappées et violentées. Cela m’a inspiré mon deuxième roman, La garde-robe, qui paraîtra au mois d’avril. Je raconte l’histoire de mon personnage à partir de sa garde-robe et de ses vêtements les plus emblématiques. Tout cela est évidemment prétexte à écrire la biographie d’une femme qui vient de ce milieu très modeste des mineurs des années 60.

Au plus fort de l’épidémie, fin avril, j’ai perdu mon père. Il allait très bien, avait 85 ans, était en maison de repos et puis du jour au lendemain, il a été admis dans une unité Covid. Il était seul quand il est mort, je le sais, il n’y avait personne à côté de lui pour lui tenir la main ou lui susurrer quelques mots à l’oreille. Cela m’est intolérable. Je crois vraiment qu’il a baissé les bras… Comment voulez-vous qu’un homme qui comprend qu’il est dans une situation de vie qui ne ressemble à plus rien de ce qu’il connaît, si ce n’est la panique, comment voulez-vous qu’un homme ne se dise pas: « C’est fini, ils m’ont abandonné »?

Le personnel soignant a été impeccable et a fait du mieux qu’il pouvait, mais je pense que mon père a renoncé à vivre parce qu’il a vu que cette extrême solitude-là était pour lui un cul-de-sac et sans doute la définition ultime de la vie… Comme à des milliers d’autres, on m’a confisqué ce moment-là. Et maintenant il faut s’arranger avec cela, sachant qu’on n’a pas eu droit aux rituels qui construisent le deuil. C’est insupportable. Je n’ai pas pu assister à ses funérailles, puisque je suis à risque avec facteur de morbidité sévère mais je les ai suivies dans mon bureau, tout seul, sur WhatsApp, à me demander ce que j’étais en train de vivre et ce que l’époque me racontait de notre condition et de notre société.

Propos recueillis par Mathieu Nguyen

Excit, Théâtre de la Toison d’Or, ttotheatre.com Dates en attente, en fonction de l’évolution de la situation sanitaire.

La garde-robe, par Sébastien Ministru, Grasset, sortie en avril.

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