« Non, tous les ados ne rêvent pas de devenir influenceur, star du rap ou YouTubeur »

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Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

Durant tout le mois de mars, la NASA diffuse un grand appel à candidature destiné à dénicher les futurs astronautes de la génération Artémis – les hellénophiles attentifs auront remarqué qu’il s’agit du nom de la soeur jumelle d’Apollo(n), qui avait déjà prêté son patronyme aux légendaires missions des années 60 et 70. Artémis désigne donc le programme qui relance la conquête spatiale, avec l’envoi de la première femme et le prochain homme sur la Lune, avant un nouveau « pas de géant », cette fois vers la planète Mars.

Le hasard a voulu que cette annonce tombe en même temps que les résultats d’une vaste enquête de l’OCDE, « Dream jobs: Teenagers’ career aspirations and the future of work », menée sur 600.000 garçons et filles de 15 ans, dans 41 pays. En parcourant le rapport, d’aucuns se féliciteront que notre belle jeunesse envisage son avenir avec beaucoup de pondération: non, tous les ados ne rêvent pas de devenir influenceur, star du rap ou YouTubeur. Ils ont les pieds bien sur terre, peut-être même un peu trop, d’ailleurs. L’OCDE analyse ses propres données en constatant que, malgré l’accélération technologique, le top des résultats est à peu près identique à celui observé par une enquête PISA en 2000, à savoir trusté par des métiers désespérément classiques: enseignant, vétérinaire, chef d’entreprise, ingénieur ou policier… Soit des professions du XXe siècle, voire même du XIXe. Internet, intelligence artificielle, impression 3D? Connais pas, alors ne parlons même pas de coloniser la planète rouge avec la NASA.

Non, tous les ados ne rêvent pas de devenir influenceur, star du rap ou YouTubeur. Ils ont les pieds bien sur terre, peut-être même un peu trop, d’ailleurs.

Rayon déceptions, on peut aussi déplorer, après une analyse statistique plus détaillée, qu’il reste une poignée de détails structurels à régler – au hasard: stéréotypes de genre, déterminisme social ou accès à la formation. Mais que voulez-vous, certaines mauvaises habitudes sont tenaces, surtout quand on s’y vautre gaillardement depuis cinq ou six millénaires. Ce qui s’avère autrement plus préoccupant, c’est que l’étude dévoile un éventail de carrières plus restreint, et donc des horizons adolescents plus étroits qu’il y a vingt ans. Et là où, Houston, on a carrément un problème, c’est que 40% des professions citées par nos chers boutonneux risquent de disparaître d’ici une dizaine ou une quinzaine d’années. En gros, les ados ont du mal à envisager l’avenir, et encore plus à s’y projeter. Quarante ans après le punk, on en est revenus au « No Future », non plus sous la forme d’un cri nihiliste, mais plutôt sous celle d’un insidieux status quo, voulu et imposé par certains de leurs aînés, tenants d’un vieux monde qui n’a pas tellement envie d’entendre parler de changement.

Prix Nobel de Littérature en 99, Günter Grass aurait affirmé que pour connaître la grandeur d’une civilisation, il suffisait de regarder à quoi rêvent ses enfants. Eh bien, il serait peut-être temps d’autoriser les nôtres à rêver plus loin, plus fou, plus grand. Après tout, chacun pense ce qu’il veut de Kim K. ou de Nabilla, mais au moins, elles font du cash. Et on ferait bien de se le rappeler, nous qui risquons de nous retrouver flanqués d’une génération à l’imaginaire atrophié, mal dans son époque et professionnellement frustrée, traînant comme un boulet ses trop modestes aspirations. Car, l’air de rien, ce sont eux qui payeront nos pensions.

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