On a discuté cuisine, anonymat et sensibilité avec François Simon, critique gastronomique et écrivain

François Simon
© Renaud Callebaut
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

François Simon, 72 ans, incarne depuis longtemps un certain idéal de la critique gastronomique: dandy invisible, plume affûtée, regard caustique. Véritable machine à décrypter les signes de la restauration, l’homme se tient quelque part entre Roland Barthes et Marcel Proust. Il revient aujourd’hui avec un ouvrage à part, Y retournerai-je? (Flammarion), où se croisent souvenirs de tables, aphorismes de voyages et fragments d’un art de vivre inactuel.

L’acte de décès de la critique gastronomique est encore loin d’être contresigné

Ce métier est tellement cocasse et jubilatoire qu’il devrait traverser le temps. Il ne s’agit pas simplement de juger un plat mais de raconter une époque. La critique est un art vivant qui évolue. Je reste persuadé que parmi la nouvelle génération, de nouvelles vocations vont poindre. Le goût de bien manger, de raconter, de faire entendre une voix singulière ne disparaît jamais complètement. Et surtout, les chefs ne vont pas rester en paix! Ils pensaient buller derrière leurs lunettes de soleil, capitaliser sur leur image et surfer sur des carrières médiatiques, ils vont devoir se remettre au boulot. La cuisine continue de susciter du débat, de la passion et de l’engagement.

Nous détenons une vérité beaucoup plus riche, loin de notre représentation sociale

L’anonymat est certes une protection salutaire et nécessaire à qui veut porter un «jugement», mais il libère une façon de penser. C’est comme porter un masque: il oblige à exprimer une vérité courageuse…

Il faut parfois mal manger pour bien écrire

Décrire un mauvais repas nécessite une technique redoutable, il ne faut pas, à son tour, commettre de fautes techniques. Mais un bon repas peut être piégeux à celui et à celle qui a l’embrassade molle ou trop collante.

Mieux vaut se taire que s’acharner

Quand un restaurant est pitoyable, la nourriture médiocre et le personnel inintéressant, cela ne soulève aucun commentaire. Dans ces cas-là, on se tait parce que tout est déjà dit dans le silence. Tirer sur l’ambulance? Elles connaissent leur chemin, rien ne peut les arrêter. Et dans le contexte actuel – inflation galopante, charges qui explosent, recrutement difficile: inutile de rajouter de la cruauté.

Le seul vrai regret est celui qu’on peut nommer

Je regrette ce que j’ai pu dire, il y a trente-cinq ans, de l’établissement l’Amphyclès, mais c’est le seul cas. J’étais accompagné d’une langue de vipère et je suis rentré dans son ivresse analytique à l’auguste méchanceté. Parfois, je suscite auprès de mes compagnes, de mes compagnons, un surcroît d’acidité. Les débutants, en la matière, sont bigrement cruels! Le critique peut être contaminé par l’ambiance, emporté par un ton, une joute verbale, un désir de briller ou de plaire.

Les trains sont une échappée belle vers soi-même

Il est une figure de mon enfance. À l’époque – qu’on me passe cette coquetterie –, ils étaient à vapeur. Imaginez la fascination d’un enfant pour ces monstres luisants! Le départ a forgé ma vie. Lorsque j’ai su comment nouer mes lacets, j’ai réalisé que j’étais enfin libre…

Il faut savoir quitter la scène pour retrouver le goût

La gastronomie est devenue poseuse, bavarde, fatigante avec son exhibition constante. Je préfère retrouver le plaisir de la table dans d’autres expressions comme un joli sandwich, un restaurant paysan, un café intellectuel, un bistrot coquin, un boui-boui, une pastilla miraculeuse, un bibimbap tonitruant, un œuf à la coque, une bière fraîche… J’aime ces instants inattendus, surprenants loin des grand-messes où l’on s’ennuie! Le monde change et plus qu’on l’imagine. Nous sommes tous bien loin devant, loin de l’image que l’on trouve à la télévision, dans les journaux.

Flâner, c’est retrouver une façon d’habiter le monde

C’est bien dommage que l’époque ait perdu le goût de l’errance. Aujourd’hui, les voyages sont du domaine du prévisible, du touristique, du maillage commercial. Pour ma part, cela m’aide aussi à construire une autre façon de voyager. Se lever à l’aube, sortir des trajets communs, marcher, musarder, flâner… C’est une discipline douce, mais exigeante. Elle permet de sortir du flux, de reprendre possession de ses sensations.

Je suis très sensible aux vibrations qui se dégagent d’un restaurant

Elles sont aussi importantes que les nourritures. Et pour qui sait observer, il y une totale continuité entre la façon d’accueillir et la cuisson des petits pois.

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