Rencontre avec Anaïs Romand, costumière de La danseuse, biopic sur Loïe Fuller

Dans La danseuse, premier long-métrage de Stéphanie Di Giusto, Soko incarne Loïe Fuller, aérienne dans sa robe de scène de 80 mètres de soie cousue au petit point. Derrière l’aiguille, on retrouve Anaïs Romand. Entretien.

Il était une fois une petite fille surdouée qui à 2 ans et demi, déjà, savait qu’elle voulait être artiste. Au risque de se briser le dos, de se brûler les yeux, elle sera de celles qui inventeront ce que l’on appelle aujourd’hui la danse moderne. Née dans le grand Ouest américain, Loïe Fuller triomphera aux Folies Bergère et plus tard sur la prestigieuse scène de l’Opéra de Paris. Elle sera l’une des ballerines les mieux payées au monde, capable par sa seule présence de remplir un théâtre car elle avait ses fans comme en auront, quelques années plus tard, les premières stars des grands studios de cinéma. Elle ne laissera pourtant jamais personne immortaliser sur pellicule cette Danse Serpentine dont elle chorégraphia chaque mouvement et pour laquelle elle déposa pas moins de dix brevets, principalement liés à ses accessoires – le patronage de vêtements, entre autres – et ses éclairages.

Rencontre avec Anaïs Romand, costumière de La danseuse, biopic sur Loïe Fuller
© SDP

Pour incarner cette révolutionnaire pacifique, la chanteuse française Soko s’est cachée à son tour sous des mètres de soie, les bras raidis par de longues baguettes de bois. Pendant un mois, elle a bossé six heures par jour sous la direction de Jody Sperling, l’une des rares aujourd’hui capable de danser « à la Fuller ». Aux côtés de celle qui n’a jamais été doublée durant le tournage et livre sa propre interprétation de l’oeuvre de Loïe, Lily-Rose Depp fait ses débuts au cinéma dans le rôle d’Isadora Duncan, autre pionnière de la danse contemporaine. Pour reconstituer l’atmosphère très sombre voulue par Stéphanie Di Giusto, Anaïs Romand a imaginé des looks tantôt au plus près de la vérité historique, dans le cas des tenues de scène de la chorégraphe, tantôt davantage en adéquation avec l’univers que voulait recréer la réalisatrice. Démonstration.

Un patronage minutieux

Pour imaginer les quatre tenues de scène de Loïe Fuller, la costumière a pu compter sur l’aide de Jody Sperling, consultante artistique et coach technique sur la production.

Rencontre avec Anaïs Romand, costumière de La danseuse, biopic sur Loïe Fuller
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« C’est elle qui a entraîné Soko et qui lui a appris à manipuler ses voiles. Jody s’est passionnée pour le travail de Loïe, elle a passé des années à reconstituer ses danses, fouillé dans les bibliothèques pour recréer les costumes. Elle m’a tout apporté : j’ai trouvé de mon côté une soie encore plus fine que la sienne et je n’ai plus eu qu’à reproduire exactement, à partir des mensurations de Soko, tout ce que Jody avait mis des années à mettre au point. La construction de ces vêtements est extrêmement complexe : tout doit être à sa place au centimètre près pour que la soie puisse voler dans les airs très précisément. C’est minutieux à monter, comme une aile d’avion. Une robe, c’est 80 mètres de tissu ! Quand Jody me l’a dit, j’avais du mal à y croire. Une soie aussi fine, lorsqu’on la coupe et qu’on la coud, c’est comme de l’eau : ça bouge au moindre souffle. »

Un style évanescent

Pour habiller Isadora Duncan, interprétée par l’aînée de Vanessa Paradis et Johnny Depp, Anaïs Romand a pu à l’inverse laisser libre cours à sa fantaisie.

Rencontre avec Anaïs Romand, costumière de La danseuse, biopic sur Loïe Fuller
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« La seule indication historique que Stéphanie Di Giusto a tenu à garder, c’est la couleur de la robe que l’artiste portait lorsqu’elle s’est produite pour la première fois dans un salon parisien. Nous savions qu’elle était rouge. Pour le reste, Stéphanie voulait quelque chose de beaucoup plus décalé, dans une certaine modernité même. C’est la personnalité de Lily-Rose qui m’a amenée à proposer des choses dans l’esprit de ce que l’on pourrait trouver dans la couture de maintenant. Nous avons réinventé un style Isadora évanescent, avec, en toile de fond, une certaine représentation de plissés et de drapés grecs et de voiles vaguement antiques. »

Un vestiaire sur mesure

Tant du côté de l’habillement que des décors, l’équipe s’emploie en coulisses à traduire l’univers voulu par la cinéaste. Cette esthétique presque gothique, pétrie de tonalités sombres, ne laisse exploser la couleur que lorsque Loïe bouge sur scène, comme pour mieux faire ressortir la beauté de son travail sur les lumières.

Rencontre avec Anaïs Romand, costumière de La danseuse, biopic sur Loïe Fuller
© SDP

Des recherches impliquant des expériences avec des produits chimiques dangereux qui finiront d’ailleurs par la rendre aveugle. « Tout a été fabriqué ou loué, y compris pour les figurants, dans le respect strict de la charte de couleurs voulue par Stéphanie. Une ligne graphique qu’elle s’est imposée dès le début et à laquelle elle n’a jamais dérogé pendant tout le tournage. J’ai réalisé, en tout, une centaine de pièces. J’ai commencé environ cinq mois avant le début du tournage. Il n’y avait pas vraiment de story board mais j’ai tout échantillonné avant de discuter avec Stéphanie des tissus et des dessins. Le souci premier ici n’était pas la réalité historique, dans le scénario non plus d’ailleurs, il s’agit bien d’une fiction librement inspirée de la vie de Loïe Fuller. »

Une époque inspirante

Si on la sent à l’aise dans cette Belle Epoque qu’elle affectionne tant, c’est qu’Anaïs Romand a déjà collaboré à de nombreux films, l’un d’eux – L’Apollonide de Bertrand Bonello, avec lequel elle collaborera encore sur Saint Laurent – lui vaudra le César des meilleurs costumes en 2012.

En 2012, Anais Romand remporte le César des meilleurs costumes pour le film
En 2012, Anais Romand remporte le César des meilleurs costumes pour le film « L’Apollonide » de Bertrand Bonello.© BELGAIMAGE

« La fin du XIXe est très souvent traitée au cinéma car elle fournit énormément de scénarios tirés de l’abondante littérature de cette période. C’est passionnant de la représenter tant elle était riche d’un point de vue pictural, visuel. Elle coïncide d’ailleurs avec les débuts du cinéma. Il se fait que je m’étais intéressée par le passé à la vie des de ces deux femmes, ce qui m’a donné envie de participer à ce projet. Mais ce n’est qu’à la toute fin de notre collaboration que j’ai révélé à Stéphanie à quel point je les connaissais. »

Libre interprétation

Rencontre avec Anaïs Romand, costumière de La danseuse, biopic sur Loïe Fuller
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Sur d’autres projets, comme Les gardiennes, qu’elle achève en ce moment avec Xavier Beauvois et qui se déroule pendant la Première Guerre mondiale, le travail de la costumière implique parfois une reconstitution au plus près de la réalité de l’époque. « Mais même dans ce cas-là, il s’agit d’une interprétation, jamais d’un boulot d’archiviste. Au cinéma, il y a toujours une volonté picturale : dès que quelque chose ou quelqu’un se trouve dans le cadre, tout est étudié, a fortiori ce qu’on va lui mettre sur le dos ; on s’attache au choix des couleurs et des matières. Une reconstitution pure et dure ne pourrait se faire qu’avec des pièces de musées. Il faudrait réapprendre aux acteurs comment se comporter dans de tels habits, à bouger dedans parce qu’un costume induit une certaine façon de se tenir. Plus personne ne sait encore ce qu’est la contrainte du vêtement, le corps n’est plus contraint aujourd’hui que par le sport. C’est vraiment un signe important du changement d’époque. »

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