Avec son Chalet de la Forêt, il a toujours su qu’il avait une «mission». Il voulait en faire une grande maison et «aller jusqu’au bout», avec passion et obsession. Pari tenu.
Terroir
Les chefs sont liés à des terroirs. Mais pour moi, c’est un peu compliqué de me reconnecter à un terroir réel car mon ancrage, c’était l’Afrique. J’ai grandi à Mbuji-Mayi, dans le Kasaï oriental, en RDC. J’y suis resté jusqu’à mes 6 ans et je n’y suis jamais retourné. Je n’ai pas de souvenirs mais j’ai conservé intact le goût des tomates, des mandarines, des mangues et des papayes, tout est resté imprégné en moi.
Pêche
La pêche à la mouche, c’est méditatif. Tu cours, tu marches, tu te déplaces contre le courant. Tu dois jouer avec les éléments, la rivière, le vent, les reflets sur l’eau, l’ombre… Après une journée de pêche, on est explosé, on se couche dans son lit et on dit merci. Cela fait seulement six ou sept ans que je la pratique, c’était le Graal pour moi… A 10 ans, j’ai demandé une canne à pêche à mon père. Personne n’a jamais su pourquoi. Moi, je sais: je suis attiré par l’eau. Mes grands-parents habitaient à Andrimont, au-dessus de la Vesdre, je me mettais sur le pont et je regardais l’eau couler pendant des heures.
Formation
J’ai appris très vite. Comme je n’avais pas de formation, j’ai dû apprendre beaucoup plus vite qu’un autre. Je ne pouvais pas me tromper, je connaissais la sanction… Je venais de commencer, je me souviens encore de tout, de la recette exacte et du moment, j’ai oublié de mettre la pomme de terre au four, avec le turbotin et boum, j’ai reçu un coup dans l’épaule. C’est arrivé une fois, deux fois. Et puis après, ce n’est plus jamais arrivé.
Tendances
Il faut se méfier des tendances. Quand la cuisine moléculaire était à la mode, je ne suis pas tombé dedans. Tous mes gars me conseillaient de m’y mettre mais j’ai dit non, ce n’est pas mon truc, ce n’est pas moi. Mon identité, c’est de travailler sur le feu, travailler le produit brut. Et c’est ce que j’ai toujours fait. Quand j’ai repris le Bistrot du Mail, il y aura trente-trois ans au mois d’août, j’ai fait de la bistronomie sans le savoir – on n’en parlait pas encore, le mot n’existait même pas. Et quand j’ai repris le Chalet de la Forêt, il y a vingt-cinq ans, la première chose que j’ai faite, c’est construire un barbecue.
‘J’ai été à fond dans mon job, c’était comme si j’avais une mission.’
Chance
La cuisine vous vient parfois par hasard. Je ne savais pas quoi faire, j’avais commencé l’université pour devenir ingénieur commercial mais je n’aimais pas du tout. C’est mon père qui m’a glissé à l’oreille «la restauration»… Il m’a dit que cela pourrait bien m’aller. J’avais 20 ans, je me suis présenté comme plongeur. Et il y a un restaurateur qui a bien voulu me prendre, c’était Pierrot Van Hauwermeiren du Surcouf, il m’a donné une chance. Depuis, j’en offre une aussi à qui se présente chez moi.
Regret
J’ai un regret. C’est de ne pas jouer d’un instrument de musique. Mais je ne sais pas cumuler parce que quand je fais quelque chose, j’aime le faire à fond. Et cela en devient obsessionnel. Quand j’ai commencé Le Chalet, je me suis aussi mis au golf. J’ai dû arrêter sur-le-champ parce que je ne pensais plus qu’à ça. C’est la raison pour laquelle je ne monte pas mes mouches moi-même. Je serais enfermé dans ma cave en train de les monter jour et nuit et je ne verrais plus ma femme.
Performance
Je suis un paresseux dans l’âme. C’est-à-dire que dans mon travail, j’essaie d’être le plus efficace, le plus rapide et le plus performant possible pour gagner du temps et de l’énergie. Je vais très vite, je suis souvent dans la performance pour pouvoir ensuite prendre du temps pour faire autre chose.
Chanson
Telle est ma quête de Jacques Brel, c’est la plus belle chanson du monde. Je l’écoute et je pleure. Je la connais par cœur. Il y est aussi question d’inaccessible étoile… Cela fait quarante ans que je travaille comme un fou. J’ai été à fond dans mon job, c’était comme si j’avais une mission. J’avais peut-être besoin de me réaliser par rapport à mon éducation, mes parents, ma vie, tout. Peut-être ai-je voulu prouver à mon père qui n’est plus que j’étais quelqu’un de bien? Oui, il y a derrière tout cela comme une rage à vouloir prouver quelque chose…