Sharon Tate et l’innocence perdue des sixties

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Dans la nuit du 8 au 9 août 1969, l’actrice Sharon Tate, enceinte de huit mois et demi de Roman Polanski, est assassinée avec quatre de ses amis dans leur villa de style français qui domine Hollywood. Ce crime bestial signe pour beaucoup la fin d’une période dorée.

Les meurtriers ont frappé avec une bestialité inouïe. Tate va recevoir seize coups de couteau et les murs seront volontairement maculés de sang. Nul n’aurait pourtant pu prédire un si funeste destin à cette actrice texane aux yeux de biche et à la chevelure d’or.

Sharon Tate et l'innocence perdue des sixties
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Née le 24 janvier 1943 à Dallas, elle se distingue très jeune par sa beauté. Elle n’est encore qu’un bébé quand elle remporte le concours « Miss Tiny Tot of Dallas Pageant » précise le Figaro. À 16 ans, Sharon Tate a déjà déménagé six fois et se serait, selon la légende, rendue en stop jusqu’à Los Angeles. En 1961, à l’âge de 21 ans, elle obtient alors son premier rôle dans le péplum Barabbas.

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Cinq ans plus tard, on lui propose d’incarner la fille de l’aubergiste dans Le Bal des vampires (1967) où elle rencontre Roman Polanski, le réalisateur du film. L’idylle entre le metteur en scène et la jeune femme va rapidement faire la une des journaux du monde.

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En mars 1967, Sharon Tate apparait nue dans les colonnes de Playboy. La même année, elle incarne une apprentie actrice dans La Vallée des poupées. Sa prestation lui vaut une nomination aux Golden Globes. Ils se marient un an après leur rencontre à Londres. Les Polanski vivent pourtant à Hollywood et y fréquentent le gratin. Le couple Polanski est l’un des plus populaires d’Hollywood.

La nuit du meurtre, Polanski est à Londres pour préparer un nouveau film. Il était censé la rejoindre le 12 août pour assister à la naissance de leur premier enfant. Pour beaucoup cet assassinat signe aussi la fin des sixties et du peace and love.

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Récit d’un assassinat qui va transformer Sharon Tate en symbole

Le récit ci-dessous est tiré en grande partie du vif extra datant du 30 juin 2009

Le 9 août 1969, les policiers du LAPD (Los Angeles Police Department) retrouvent cinq cadavres au 10050 Cielo Drive, la maison des Polanski. Parmi les victimes, Sharon Tate, 26 ans, actrice et épouse du réalisateur, qui attendait un bébé. Les policiers commencent par suivre la piste de la drogue. Ce n’est que trois mois plus tard que les meurtriers seront démasqués.

Les victimes sont identifiées : Voytek Frykowski, 32 ans, ami de Polanski, sa petite amie Abigail Folger, 25 ans ; la femme enceinte est Sharon Tate, 26 ans, actrice et épouse de Roman Polanski ; Jay Sebring, 35 ans ; Steven Parent, 18 ans, une connaissance du gardien William Garretson. Celui-ci embarqué comme suspect numéro un, sera innocenté après avoir passé l’épreuve du détecteur de mensonges.

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Le cinéaste Polanski, qui se trouve à Londres prend le premier avion pour Los Angeles. Dans la maison et dans la Porsche de Sebring, les policiers trouvent de la cocaïne et de la marijuana en faible quantité. La drogue devient leur piste principale.

Le LAPD ne fait pas le lien, malgré les similitudes criantes, entre le massacre de Cielo Drive et deux autres affaires de meurtre : celui de Gary Hinman et celui des époux LaBianca. Fin juillet, Gary Hinman a été retrouvé poignardé, un message en lettres de sang laissé sur un mur : « Political piggy » (Cochon de politicard). Deux inspecteurs ont arrêté un dénommé Bobby Beausoleil, petit acteur, membre d’une secte hippie installée dans la Vallée de la Mort avec son gourou, Charles Manson. Le LAPD rejette la piste « hippie ». Le meurtre des LaBianca survient dès le lendemain du massacre de Cielo Drive. Les victimes ont été poignardées et d’obscurs messages sanglants ont été laissés : « Death to pigs » (Mort aux porcs) et « Rise » (Lève-toi), un troisième : « Healter Skelter » (sic), titre d’une chanson des Beatles. Les flics privilégient obstinément la piste de la drogue, allant jusqu’à mettre en cause le style de vie des Polanski, un peu trop « libéré ». En plus, leurs amis sont louches et puis ce Polanski, ce petit juif polonais, est bizarre : qu’est-ce que c’est que ce film, « Rosemary’s Baby », où Mia Farrow se fait engrosser par le diable ? On se met à parler de pornographie, de sadomasochisme, de sorcellerie. Les victimes deviennent les accusés. Polanski ne pardonnera jamais. Avec le meurtre des LaBianca et la libération de William Garretson, la peur s’empare de la ville. Hollywood panique.

Sharon Tate et l'innocence perdue des sixties
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Sharon Tate devient un symbole : celui de l’innocence des sixties, perdue à jamais. Le 17 août, Roman Polanski retourne à Cielo Drive, accompagné d’un photographe de « Life Magazine », et du célèbre médium Peter Hurkos, pour « lire » la scène de crime. Hurkos est formel : Sharon Tate et ses invités ont été tués par trois hommes, défoncés au LSD, alors qu’ils exécutaient un rituel satanique. Le 27 août, Truman Capote, y va lui aussi de sa petite théorie : pour l’auteur de De sang froid, le massacre est l’oeuvre d’une seule personne, « un homme très jeune, paranoïaque et enragé ». La police fait du surplace et voit d’un mauvais oeil l’annonce que Roman Polanski et ses amis font passer dans les journaux de Los Angeles : « 25 000 dollars de récompense à quiconque fournira des renseignements conduisant à la capture des assassins de Sharon Tate et des quatre autres victimes ». En octobre, tout va se dénouer. Les inspecteurs assignés au meurtre des époux LaBianca se décident enfin à consulter leurs collègues. Mis au courant du meurtre Hinman et de l’arrestation de Bobby Beausoleil, ils font une descente au repaire du clan, et embarquent Kitty Lutesinger qui affirme que Susan Atkins aurait participé au meurtre de Gary Hinman. Atkins est arrêtée. A ses camarades de cellule, elle parle de ce type qu’elle a rencontré à San Francisco, « Charlie ». Elle se vante d’avoir tué non seulement Hinman mais aussi Sharon Tate et ses invités. Atkins indique que Sharon Tate n’est que la première d’une liste noire. Horrifiées (et motivées par la prime), ses camarades de cellule balancent Atkins, qui passe aux aveux. Pour la « Famille » Manson, c’est le début de la fin. La vérité éclate. Ce 9 août, Sharon Tate recevait quelques amis. Vers minuit, les tueurs ont débarqué : Susan Atkins, Patricia Krenwinkel, Leslie Van Houten, Linda Kasabian et Charles « Tex » Watson. Kasabian, qui a seulement fait le guet, se voit accorder l’immunité en échange de son témoignage. Charles Manson, lui, n’était pas présent : il s’est « contenté » de commanditer le massacre. Le « crime du siècle », comme l’appellent les journaux, est résolu.

Le 24 juillet 1970 s’ouvre le procès de Manson et de ses sbires. Le visage hanté, les yeux fous, Manson arbore un « X » sur le front, qu’il s’est taillé au couteau. Atkins, Krenwinkel et Van Houten l’imitent, de même que ses fidèles. Durant tout le procès, les Manson girls ne cessent de sourire. Le procureur, qui reçoit des menaces de mort, met au jour les motivations fumeuses du gourou, et le révèle pour ce qu’il est : « Un vagabond, un musicien frustré, un philosophe de supermarché et, surtout, un tueur déguisé en hippie, dit-il. Un mégalomane dont la soif de pouvoir se double d’une obsession morbide. » Manson a appris la vie dans la rue et les maisons de redressement. Divers délits l’ont conduit en prison pour cinq puis dix ans. Petit, malingre, il doit, pour s’imposer, apprendre à utiliser son esprit : il puise, dans la scientologie, des techniques de manipulation mentale. Quand il sort de prison, en 1967, il découvre le monde du flower power : amours libres, drogues et rock’n’roll. C’est à San Francisco, berceau du mouvement hippie, qu’il commence à recruter les membres de sa « Famille ». Bientôt, Manson gagne Los Angeles. Là-bas, il se lie d’amitié avec le batteur des Beach Boys, qui lui présente Terry Melcher, le fils de Doris Day. Ce dernier promet de produire son premier album mais ne tiendra pas parole. Détail intéressant : Melcher habite alors au 10050 Cielo Drive. Vert de rage, Manson installe sa « Famille » au Spahn Ranch, puis au Barker Ranch, en pleine Vallée de la Mort, à 300 kilomètres de Hollywood. Grâce à son charisme et au LSD, il exerce un ascendant puissant sur ses disciples : il est le prophète, ils sont les élus d’une nouvelle société appelée à régner. Le 8 août 1969, Manson ordonne à cinq de ses lieutenants d’aller dans la maison de Cielo Drive (que Melcher a revendue) et de massacrer tout le monde. « Et laissez un message !, précise-t-il. Un truc diabolique. » Ce message, « Pigs » , fait référence à l’Album blanc des Beatles, dont Manson est persuadé qu’ils s’adressent à lui par chansons interposées. Dans son cerveau dérangé, les meurtres de Sharon Tate et des LaBianca doivent provoquer le chaos (Helter Skelter) : accusant les Noirs, il déclenchera une guerre raciale à l’issue de laquelle lui et sa Famille prendront le pouvoir. Le 15 janvier 1971, au terme d’un procès de neuf mois et demi, le jury déclare les cinq prévenus coupables pour tous les chefs d’accusation. Le procureur réclame la chambre à gaz et l’obtient. Février 1972, coup de théâtre : la Californie abolit la peine de mort : les coupables voient leur peine commuée en emprisonnement à vie.

Décès du tueur en série américain Charles Manson
Décès du tueur en série américain Charles Manson

Aujourd’hui, Charles Manson est mort. Il aura auparavant longtemps croupi dans une cellule de Californie. Cet avorton, tueur par procuration, aura été une sorte de rock star. Une icône de la culture pop. En 2007, le condamné avait demandé sa libération sur parole pour la onzième fois depuis son incarcération, sans succès. Roman Polanski, le petit juif rescapé de l’Holocauste, l’artiste qui a réussi à faire ses premiers films dans une Pologne corsetée par un communisme rigide, le cinéaste magnifique de Chinatown, bref, Roman Polanski, solitaire, carbonisé, rebelle, n’a jamais abdiqué. Il a survécu à Hitler, à Staline et à Manson. Il est resté debout.

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