Boycott digital: ces représentants de la Gen Z qui refusent la tyrannie des réseaux sociaux

Léa © Jules Emile

La Gen Z, ce sont les enfants du numérique, biberonnés à Facebook & co. Mais aujourd’hui, certains saturent. Portrait de trois de ces jeunes, pour qui les réseaux sociaux sont synonymes d’anxiété, de fausseté et d’inutilité.

En 2018, déjà, le quotidien britannique The Guardian relayait une étude auprès de 1 500 jeunes de 14 à 24 ans. La recherche concluait que 63% des jeunes seraient heureux si les réseaux sociaux n’avaient jamais été créés.

En Belgique aussi, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir déserter les écrans après une longue période d’omniprésence digitale… Dans le langage courant, cette tendance à être « scotché » sur son smartphone « H24 » renvoie souvent à la notion d’addiction numérique. A tort, selon Marine Streel, psychologue au centre PMS d’Uccle. Pour qu’une personne soit considérée comme addict à son téléphone et aux réseaux sociaux, il faut en effet que l’utilisateur perde le contrôle de sa pratique, c’est-à-dire qu’il n’arrive plus à se limiter. « Il faut également que cela ait des conséquences négatives sur sa sphère personnelle, professionnelle ou sociale, que la personne connectée choisisse de ne pas diminuer son utilisation malgré ces inconvénients et que la privation brutale provoque de l’anxiété ou une autre émotion négative. »

En chiffres, l’usage du numérique deviendrait inquiétant quand il dépasse les trente heures par semaine, une limite franchie par beaucoup. En tout cas, la plupart de ceux qui ont répondu à notre appel à témoignages évoquent une utilisation de leurs appareils de cinq à huit heures par jour. Effrayant constat qui motive à décrocher: « Certains jeunes désirent un retour à l’essentiel, explique Marine Streel. Il existe des applis permettant de visualiser le temps passé en ligne pour rendre compte du temps qui échappe vite au contrôle. »

Des liens authentiques

La psychologue énonce d’autres raisons derrière cette volonté de déserter les écrans, et particulièrement les réseaux sociaux: « Cette démarche peut provenir d’une prise de conscience que les relations au travers d’Instagram, TikTok, etc. sont davantage une affaire d’image exposée de soi-même plutôt que de création de liens authentiques. C’est d’ailleurs ce qui ressort de mes groupes de parole dans les écoles secondaires: les jeunes ressentent une pression à se montrer sous leur meilleur jour ou à répondre à des injonctions de beauté sur ces médias sociaux. »

Pour autant, désactiver son compte Instagram ou supprimer les applis sociales de son téléphone sont des étapes pouvant provoquer une certaine angoisse, celle de ne plus être sollicité. « Le fait que beaucoup de personnes soient scotchées à leur smartphone relève surtout d’un phénomène d' »hypersollicitation » en lien avec les notifications presque continues dans le temps, affirme notre experte. Cela provient également d’une envie irrépressible de saisir son smartphone dès qu’une notification apparaît. Ce geste compulsif est souvent observé chez les jeunes. Il est expliqué par le phénomène FOMO ( NDLR: « Fear Of Missing Out », la « peur de rater quelque chose »). »

Malgré cette difficulté de décrocher, les trois Gen-Zteurs que nous avons rencontrés ont franchi le pas. Parce qu’ils se sont rendu compte qu’à force de contempler la vie des autres, et de se soumettre à des diktats extérieurs de diverses formes, ils risquaient de voir leur vie passer sous leurs yeux sans en profiter.

Léa, 22 ans – étudiante en psychologie

Modèle de téléphone: un Nokia à touches, mais elle ignore le nom du modèle. Temps passé sur les réseaux: 60 minutes / jour.

Léa utilise une « brique », dit-elle, à la place d’un smartphone. Ce choix est né d’une prise de conscience après de longues années d’addiction à son téléphone. Une dépendance liée à un besoin de reconnaissance mêlé de « fear of missing out ».

Je devais me rendre compte que je pouvais me suffire à moi-même

« Il fallait constamment que je regarde s’il se passait quelque chose, que je m’assure d’avoir l’attention des autres et que j’aie du contact en permanence avec eux. Je voulais être appréciée et me démarquer. Je postais énormément de contenu, pour me faire voir sous mon meilleur angle. J’étais très accro aux réseaux, si bien que j’y passais huit heures par jour! Puis, j’ai eu un déclic suite à une rupture. C’était en mars 2020, cinq jours avant le premier confinement. Là, je me suis dit: « Bon, il va falloir que je me retrouve face à moi-même », chose que je fuyais. Il fallait que je prenne de la distance avec les réseaux sociaux, les SMS… Je devais me rendre compte que je pouvais me suffire à moi-même, et j’y suis parvenue.

Lorsqu’on crée un vrai lien, une relation réelle et non virtuelle, on ne vit pas la même expérience. On ne ressent pas la même vibration.

Mes proches ont été très compréhensifs et respectueux de cette distance virtuelle que j’ai choisie. La déconnexion m’a fait énormément de bien, elle m’a permis de mesurer à quel point tout cela n’est pas nécessaire pour être heureuse. C’est quelque chose qui devrait davantage être intégré dans l’éducation et transmis auprès des plus jeunes.

Depuis, il n’y a pas photo! J’ai dû réapprendre à nouer le contact avec l’autre, à vivre le moment présent. Je ne le faisais plus lorsque je sortais avec mes amis et qu’on avait tous nos yeux rivés sur nos écrans respectifs. Lorsqu’on crée un vrai lien, une relation réelle et non virtuelle, on ne vit pas la même expérience. On ne ressent pas la même vibration.

La déconnexion numérique m’a aussi permis de me découvrir et surtout de réaliser qu’il y a d’autres manières de s’occuper. Cela me fait tellement de bien de lire un bouquin ou d’aller me balader dans la nature plutôt que de scroller durant des heures chez moi… Lever le pied numériquement m’a offert une impulsion à être plus curieuse. »

Ses tips pour se déconnecter:

— Mettre le téléphone en mode « Avion ».

— Utiliser un iPod qui nécessite du Wi-Fi.

— Faire des activités qui impliquent l’usage des mains.

Maxime, 22 ans – étudiant en histoire de l’art et archéologie

Modèle de téléphone: un Samsung Galaxy Young GT. Temps passé sur les réseaux: 10 minutes / jour.

Boycott digital: ces représentants de la Gen Z qui refusent la tyrannie des réseaux sociaux
© Jules Emile

Maxime n’a jamais été connecté, ce qui est plutôt atypique pour son âge. En primaire déjà, il n’avait pas de profil MSN. Son téléphone date de 2011. Le Bluetooth et le Wi-Fi sont les fonctionnalités les plus avancées de ce modèle, trop dépassé pour y installer les applis de réseaux sociaux.

« Je me rappelle qu’en primaire, déjà, je voyais mes camarades tricher sur leur âge pour se créer un compte Facebook. Ensuite, cela a commencé à se généraliser. Beaucoup ont commencé à y être, mais moi, cela ne m’a jamais intéressé. Mais en 2017, année de mon entrée à l’université, j’ai tout de même dû me créer un profil. Je fais partie d’un cercle étudiant et pour planifier nos événements, c’est plus simple que de contacter tout le monde par SMS. C’est aussi pratique pour les cours, mais ce sont les seules raisons de ma présence numérique. D’ailleurs, je me suis inscrit sous un faux nom et je n’y poste aucune photo.

Je trouve que l’anonymat en ligne est notre bien le plus précieux. On n’a pas besoin qu’un inconnu nous procure des soucis inutiles. Contempler tout le temps les vies exceptionnelles des autres, bloqué chez soi, ce n’est pas génial pour le moral.

L’anonymat en ligne est notre bien le plus précieux.

Dans mon entourage, certaines personnes se retrouvent complètement « matrixées » par la morphologie d’un homme ou d’une femme. Elles complexent parce qu’elles voient des dieux grecs toute la journée sur leur téléphone. C’est nocif. Personnellement, je me sens relativement bien dans ma peau, et je ne vois vraiment pas en quoi les réseaux sociaux peuvent renforcer la confiance en soi. Et puis, je n’ai jamais eu de souci à sociabiliser dans la vie réelle, en dehors de ces trucs-là.

Mon entourage m’a toujours identifié comme « le mec absent des réseaux » mais cela n’impacte en rien ma vie sociale. La seule chose que je fais en ligne, c’est me connecter sur Messenger pour répondre aux sollicitations de mon cercle. Le reste de mon temps libre, je le passe à écouter de la musique et lire.

Quand j’étais ado, je traînais sur YouTube, mais je me suis rendu compte qu’un effort intellectuel était beaucoup plus stimulant pour l’esprit que de rester passif devant un ordinateur. Globalement, j’essaie d’avoir des passe-temps sains et je passe très peu de temps sur les écrans. Je m’en sers pour consulter mes mails, prendre les cours qui sont postés en ligne, répondre aux SMS, et c’est tout. »

Ses tips pour se déconnecter:

— Utiliser un vieux téléphone.

— Se créer un profil anonyme sur les réseaux sociaux.

Rachel, 21 ans – étudiante en soins infirmiers

Modèle de téléphone: un iPhone 5 SE. Temps passé sur les réseaux: 20 minutes / jour.

Rachel
Rachel© Jules Emile

Avec du recul, Rachel se dit que, plus jeune, elle a probablement été accro. Ado, ses parents lui ont imposé, ainsi qu’à sa fratrie, de descendre les téléphones des chambres à 21h30. L’étudiante en garde un « souvenir pénible ». Mais un jour, elle a vu les choses autrement…

« Je ne supportais plus de passer autant de temps sur les réseaux sociaux qui, au final, ne m’apportaient rien, à part de l’angoisse et une grande perte de temps. J’étais déprimée de voir des mauvaises nouvelles à longueur de journées: violences policières, actes racistes, fake news sur le coronavirus, crise écologique, sexisme… Et puis, je ne comprenais pas cette envie de partager tout ce qu’on fait sur les réseaux. « Je vais au McDo, vite, une story! Je suis en plein repas de Noël avec ma famille, et hop, encore une story! » Pourquoi ce besoin irrésistible de toujours tout filmer? Je me disais que la vie était devant nos yeux, pas derrière nos écrans.

Je ne comprenais pas cette envie de partager tout ce qu’on fait sur les réseaux. « Je vais au McDo, vite, une story!

J’avais aussi l’impression d’être dans un monde faux, où les gens ne se montrent que sous leur meilleur angle. Selon moi, Instagram, c’est un peu comme Meetic: certaines personnes ne postent que des selfies, ils publient des photos ou vidéos où ils ne font rien du tout si ce n’est prendre la pose face à leur objectif… Quitte à proposer ce genre de contenu, autant aller sur Tinder. Donc j’ai supprimé mon compte Instagram…

C’est curieux de constater qu’on rate beaucoup de choses lorsqu’on n’existe plus numériquement. C’est d’ailleurs parfois un peu difficile pour moi. On ne s’en rend pas forcément compte quand on est hyperconnecté, mais beaucoup de discussions sont basées sur des vidéos visionnées sur Instagram, des fun facts découverts sur TikTok… Quand on n’a plus les réseaux sociaux, on ne comprend pas toujours à quoi les autres font référence. Cela m’arrive donc souvent de me sentir un peu exclue quand mes amis parlent de tout cela. Mais ce n’est pas pour autant que les réseaux sociaux me manquent!

Parfois, je m’ennuie parce que je n’ai pas encore trouvé de passion. Il m’arrive donc de n’avoir rien à faire, mais je suis heureuse comme ça. Quand je suis seule, je regarde des documentaires, je lis, mais surtout, je marche beaucoup. Je privilégie les moments réels et authentiques. C’est cool de passer du temps avec les gens que j’aime ou d’être toute seule. »

Son tip pour se déconnecter:

— Supprimer les applis de réseaux sociaux du téléphone.

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