Pour beaucoup, la lecture est avant tout un plaisir de vacances. Le moment où les bouquins empilés sur la table de chevet embarquent dans la valise. Mais pourquoi donc la parenthèse estivale s’entend-elle si bien avec la littérature?
Un livre, un cadre majestueux et des personnes passionnées de lecture autour de vous: c’est ce que proposent les «retraites de lecture», la nouvelle tendance bien-être du moment selon le magazine Condé Nast Traveler. Plébiscitées par des célébrités comme Dua Lipa ou Emma Roberts qui ont lancé leur propre Book Club, ces séjours de vacances littéraires démontrent notre besoin croissant d’un espace-temps 100% dédié à la lecture. Si l’appétit des Belges pour celle-ci est clairement là, ils ont, semble-t-il, bien du mal à le satisfaire. Selon l’enquête «L’Heure de Lire» menée par Le Vif, près de 30% des participants ont déclaré avoir lu moins ces dernières années, alors que plus de 62% aimeraient lire davantage.
‘En vacances, le rythme est plus lent, et nous réduisons notre temps d’écran. Ce qui nous permet de retrouver la volonté d’ouvrir un livre.’
«Le manque de temps est un facteur évident, explique la psychologue clinicienne et autrice Leslie Hodge. Durant la semaine de travail, une avalanche de courriels, de tâches ménagères, d’informations et d’interactions en ligne nous submerge. Nos ressources mentales s’épuisent à force de sollicitations. Lire semble alors une activité trop exigeante pour notre cerveau à la fin d’une journée remplie de contraintes. Le soir venu, la loi du moindre effort nous pousse plus facilement vers le canapé et la télévision. En vacances, le rythme est plus lent, et nous réduisons souvent consciemment notre temps d’écran. Ce qui nous permet de retrouver la volonté d’ouvrir un livre.»
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Les éditeurs l’ont d’ailleurs bien compris, eux qui multiplient les sorties de polars et de romans «feel good» à l’approche de l’été. François Coune, dont le compte Instagram @livraisondemots compte plus de 101.000 abonnés, en a reçu des piles entières ces dernières semaines. «Lorsqu’ils partent en vacances, les gens sont en quête d’émotions fortes dans les livres qu’ils lisent, pointe ce passionné qui dévore en permanence trois à quatre bouquins en même temps. Ce qui fonctionne le mieux, ce sont les «page turner»: des chapitres courts, une intrigue qui vous pousse à ne rien lâcher et à passer à la page suivante.»
Sans prise de tête… quoique
Ces best-sellers que l’on voit en tête de gondole des gares et des aéroports trouvent très aisément leur public. Ce n’est d’ailleurs pas ces romans-là que Marianne Petre, libraire chez Filigranes, à Bruxelles, recommande à ceux qui viennent lui demander conseil au rayon littérature (découvrir sa sélection par ailleurs). «Je préfère les amener vers des pépites que j’ai découvertes durant l’année, sourit-elle. Des choses qui ne leur demanderont pas de sortir leur dictionnaire mais qui vont leur procurer un maximum de plaisir sans être pour autant trop faciles. Les vacances sont aussi le moment idéal pour se tourner vers un classique.»
Sans vouloir tomber dans le cliché, Marianne Petre doit bien concéder que les femmes sont plus nombreuses à rechercher des livres qui leur «permettront de s’évader», là où les hommes, même s’ils se tournent vers la littérature, cherchent plutôt «des choses à apprendre», en optant par exemple pour des fictions documentées comme Le mage du Kremlin.
‘Le livre reste le ticket de transport le moins cher pour voyager le plus loin possible.’
«Ce qu’il vaut mieux lire pour en retirer un bénéfice dépend de chacun, estime Elke D’hoker professeur de littérature à la KU Leuven. En général, la fiction fonctionne mieux, car l’humain est un animal narratif. En vacances, on peut donner le temps et l’espace nécessaires à des matières complexes, mais on peut tout autant savourer des fictions de genre, comme les romans policiers ou d’amour. Les nouvelles, essais ou poèmes sont aussi parfaits: ils demandent moins de temps de lecture, mais offrent matière à réflexion — au soleil ou avec un verre à la main.»
Outre les bienfaits cognitifs bien connus, des recherches menées auprès de personnes âgées montrent aussi que les grands lecteurs se sentent globalement moins seuls. Un livre est donc bel et bien un compagnon idéal lorsque l’on voyage à plusieurs ou en solo. «Même lorsque je suis avec des amis, j’ai besoin de m’isoler pour lire, confirme François Coune. Et je ne me sens pas seul pour autant. Je retrouve des personnages, je fais des rencontres, certes imaginaires et fictives, dont le pouvoir est assez fou quand on y pense.»
Un compagnon de rêverie
Des études ont d’ailleurs permis de démontrer que la lecture s’apparente étonnamment à la rêverie. Dans les deux cas, le cerveau n’est ni complètement concentré, ni totalement au repos. Différentes régions cérébrales s’activent, notamment le réseau dit «par défaut» qui entre en action lorsque nous croyons que nous ne pensons à rien. Longtemps considéré comme actif uniquement dans les moments d’inattention, on sait aujourd’hui qu’il intervient aussi pendant la lecture. Il nous aide à donner du sens aux récits en les reliant à notre propre vie. «Lorsque je lis en vacances, je suis très sensible à ce qui m’entoure, confirme François Coune. J’associe toujours les livres les plus marquants que j’ai lus à l’endroit bien particulier où je me trouvais.»
Comme le rappelle Leslie Hodge, «lire fait baisser la fréquence cardiaque, détend les muscles, réduit la pression artérielle et active le système nerveux parasympathique. C’est une activité presque méditative. Cet effet apaisant en fait l’un des meilleurs moyens de se détendre». Idéal donc pour prendre de la distance par rapport à l’agitation et au chaos du quotidien.
«J’ai coutume de dire à mes abonnés qu’un livre reste le ticket de transport le moins cher pour voyager le plus loin possible», ajoute François Coune. «J’adore quand les gens viennent me demander de leur trouver un livre qui se passe dans le pays où ils ont l’intention d’aller, pointe encore Marianne Petre. C’est un vrai défi professionnel, surtout sur des destinations plus pointues, genre l’Ouzbékistan. Dans tous les cas, je cherche toujours à cerner le niveau de lecture de la personne que j’ai devant moi. Car même si j’aime faire découvrir des livres différents, il faut que le plaisir reste toujours au rendez-vous.»
5 bonnes raisons de lire plus en vacances
1. On n’attend plus, on bouquine. Qui dit voyage dit souvent longues minutes passées à l’aéroport ou à la gare. Sans compter celles décomptées à attendre le pote toujours en retard au moment de partir en excursion. Rien de tel qu’un bon bouquin pour rendre agréables ces moments que l’on croirait perdus.
2. On s’échappe sans bouger. Ce séjour en famille ou avec des amis, rempli de vie et d’animation, vous l’attendiez de pied ferme. Ce qui ne vous empêche pas d’avoir parfois envie de vous isoler. S’installer un livre à la main, c’est un moyen subtil de signifier qu’on prend ses distances quelques instants. Il n’y a pas mieux non plus pour éloigner les importuns en terrasse ou à la plage.
3. On anticipe le départ. En achetant un guide, bien sûr, mais aussi en se réjouissant d’avance du plaisir que l’on prendra à tourner les pages de ce roman qui nous attend depuis des mois. Sympa aussi l’idée de dénicher un livre dont l’action se passe là où l’on va. Ou de découvrir un auteur de là-bas.
4. On apprend, mine de rien. L’été, on peut avoir envie de se vider la tête… ou à l’inverse de s’éduquer sur un de ces sujets de société qu’on survole à longueur d’année en scrollant sur son portable. On glisse donc un essai féministe, écologiste ou philosophique dans sa pile. Pourquoi pas, d’ailleurs, en format graphique. Histoire de revenir de vacances plus malin.
5. On se pose pour de vrai. On se déniche un spot où faire le plein de beau dès qu’on lève le nez. L’effet méditatif de la lecture nous rendant plus réceptif à l’émerveillement, on s’en prend plein les yeux et on respire à fond avant de replonger dans un nouveau chapitre.

Tania Garbarski, actrice: «Lire, c’est m’offrir un reset de mon disque dur qui se remplit de mots toute l’année»
Tania Garbarski (52 ans) mène tambour battant sa carrière au cinéma, à la télévision et bien sûr au théâtre où l’on pourra la retrouver les 17 et 18 août au château du Karreveld avec la pièce En Attendant Bojangles qu’elle joue avec son mari Charlie Dupont. Elle enchaînera avec Oublie Moi de Mathieu Seager à partir du 28 août au Public, à Bruxelles.
«La lecture a toujours occupé une part importante dans ma vie. Où que j’aille, j’ai toujours un bouquin sur moi. Ma maman était une très grande lectrice et elle m’a transmis son amour des livres. Elle trouve d’ailleurs que je ne lis pas assez et m’en offre à la moindre occasion. Comme mon métier m’oblige à lire énormément – des textes de théâtre, des scénarios… –, je n’ai hélas pas toujours assez de temps pour lire «juste» pour m’évader ou découvrir de nouvelles œuvres littéraires.
Les vacances sont le moment idéal pour venir à bout de la pile de livres qui m’attend sur ma table de chevet. Il n’y a pas mieux pour débrancher la prise et s’offrir une sorte de reset du disque dur qui se remplit de mots toute l’année. Je me réjouis déjà de me plonger dans Mon vrai nom est Elisabeth de Adele Yon et La promesse de Camille Laurens que des amies m’ont conseillé. J’ai aussi la grande chance d’avoir reçu les épreuves de L’amour et la violence, nouveau roman d’Olivier Bourdeau. C’est lui qui a écrit En Attendant Bojangles.
Quand je pars loin, j’adore aussi me trouver un roman écrit par un auteur du coin ou qui se passe là-bas. L’été est aussi l’occasion pour moi remettre la main sur certains coups de coeur de mon adolescence que j’aime faire lire à mes filles. Elles se baladent d’ailleurs souvent avec des livres à moi dans lesquels je retrouve parfois des notes ou mon nom écrit sur la page de garde. Je pense à Milan Kundera avec Le livre du rire et de l’oubli, les romans de Romain Gary ou Chambre obscure de Nabokov. On sait qu’avec ce genre de livre, il y a un avant et un après. Ils vous accompagneront toute votre vie.»
bruxellons.be et theatrelepublic.be
Didier Vervaeren, fashion gourou: «La littérature, aujourd’hui, peut aussi servir à se déconstruire»

Didier Vervaeren (46 ans) est un fashion gourou certes, plus sérieusement, il est surtout professeur responsable de La Cambre Accessoires, à Bruxelles et directeur artistique de la Fondation A. Forcément, il s’est forgé un regard d’une acuité particulière pour tout ce qui touche à la mode et à l’art. Ses lectures ont le même penchant.
«J’ai beaucoup lu quand j’étais jeune – j’ai eu quelques bons profs qui m’ont donné le goût de la lecture. J’ai lu ce qu’il fallait lire et je ne faisais pas semblant… Aujourd’hui, pour être honnête, je suis un lecteur un peu frustré: je ne trouve pas le temps de lire, alors pour me racheter, j’écoute des émissions qui parlent de littérature. Je suis un grand fan de Pascal Claude et son Dans quel monde on vit, le samedi matin. Cela me permet de goûter aux livres sans les avoir lus et puis je suis impressionné par la vision de ces femmes, de ces hommes qui écrivent et parviennent à vous amener à réfléchir, à digérer et à penser autrement.
En réalité, mes lectures sont liées à mon boulot. Récemment, j’ai lu Sorcières: La puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet, parce qu’une étudiante avait fait un travail dessus. J’aime ce genre d’obligation professionnelle qui me permet d’entrer dans un univers et de comprendre un étudiant ou un artiste… Pour le reste, j’adore Amélie Nothomb, d’abord parce que cela se lit vite, ensuite parce que j’aime ses personnages et puis aussi parce qu’elle est bien perchée quand même.
L’été, j’ai des fantasmes de lecture: je crois que je vais lire beaucoup et je prévois plusieurs livres que je n’aurai évidemment pas lus à la fin des vacances… Cette année, j’ai choisi le dernier de Sophie Fontanel, Défilé au Louvre et Remixed de Michel Gaubert, qui a créé les bandes-son des défilés Chanel, Fendi ou Sacai depuis 1990, ça a l’air d’être plein d’histoires et de ragots… Je sais qu’avec ce livre-là, je serai replongé dans une certaine époque et que cela va m’amuser. Je veux aussi absolument lire les 640 pages de Eve: 200 millions d’années d’évolution au féminin, de Cat Bohannon. Ça a l’air passionnant. Je vais ainsi continuer à me déconstruire. Car cela peut aussi servir à ça la littérature aujourd’hui.»

Mélanie Englebin, cheffe du Cécila: «La lecture, c’est le moyen d’apprendre quelque chose de nouveau»
Mélanie Englebin (43 ans) a fait ses classes à l’Ecole Hôtelière Provinciale de Namur avant de prendre ses marques chez les plus grands – Yves Mattagne, Evan Triantopoulos ou Joël Robuchon —, en Belgique, à Londres et même à Bora Bora. Elle propose aujourd’hui une cuisine centrée sur la mer et le végétal au cœur de la Villa Monceau à Ottignies.
«Comme la plupart des adultes, j’ai moins de temps pour lire aujourd’hui que je ne l’aimerais. Je dois vraiment me réserver des moments pour le faire durant l’année. Je n’ai jamais été attirée par la fiction: la lecture, pour moi, c’est le moyen d’apprendre quelque chose de nouveau. Sur la cuisine, bien sûr, mais aussi sur tout ce qui me passionne. Actuellement, je suis une formation en nutrithérapie et j’aime lire des bouquins sur le sujet en complément de mes cours. Sur ma table de chevet, vous trouverez aussi Le grand dictionnaire des malaises et des maladies, un opus qui, lui, n’a rien à voir avec la cuisine. Et qui questionne beaucoup nos émotions refoulées.
Quand je voyage, si je tombe sur une librairie, je vais foncer directement vers les livres de cuisine. Et pourtant, j’en ai déjà des centaines chez moi. J’ai encore le tout premier que ma maman m’avait offert: un livre sur le chocolat dont j’ai reproduit les recettes méticuleusement lorsque j’étais enfant.
Bien sûr je vais regarder les recettes, mais j’adore aussi les biographies de grands chefs. Je pense à Un principe d’émotions de Pierre Gagnaire ou Imprégnation d’Anne-Sophie Pic qui sont plus philosophiques. De véritables leçons de vie dans lesquelles j’aime bien me replonger de temps en temps. Dans le même genre, je me suis gardé pour les vacances Rebel Chef, la bio de Dominique Crenn, la seule femme triplement étoilée aux Etats-Unis. Le livre est en anglais, ça me permettra de m’y remettre et d’améliorer mon vocabulaire.»
cecila-restaurant.com