Stanley et les autres: La gourde, accessoire écologique ou nouveau symbole de surconsommation?

La gourde, ce nouveau tote bag...

Depuis 2020, la fameuse Stanley Cup fait le buzz sur les réseaux sociaux. Si à première vue, l’engouement pour la gourde pourrait sembler motivé par des préoccupations écologiques, on peut se demander s’il ne s’agirait pas plutôt d’un coup marketing, voire d’un non-sens écologique, plutôt qu’une véritable démarche pour sauver la planète.

La gourde, autrefois ringarde et réservée aux scouts ou aux randonneurs, est devenue un véritable phénomène de société. Son adoption massive a propulsé ce contenant réutilisable au cœur des tendances. Selon une étude d’Opinion way et Gobi en 2022, près de 54% des Français possèdent une bouteille réutilisable. Ce succès est particulièrement marqué chez les 25-34 ans.

Naissance d’une tendance

La Stanley Cup fait fureur depuis plus de quatre ans sur les réseaux sociaux. Elle a transformé la gourde réutilisable en un véritable accessoire de mode que tout le monde s’arrache. Pourtant, cette fameuse gourde n’est pas une nouveauté.

Née il y a plus d’un siècle dans les ateliers américains, la marque Stanley était initialement reconnue pour ses thermos robustes, compagnons indispensables des ouvriers.

En 2020, c’est une toute autre création qui va propulser la marque sur le devant de la scène: La Stanley Cup. Cette gourde XXL, conçue pour étancher la soif des plus assoiffés, était passée inaperçue lors de son lancement en 2016 et avait même été retirée du marché en 2019 en raison de ses ventes décevantes. C’était sans compter sur un groupe d’influenceuse, dont Ashlee LeSueur, séduite par son design épuré et ses performances, décide de la remettre au goût du jour. Elle plaide pour sa relance et, en réponse, le nouveau directeur de Stanley, Terence Reilly, lui confie 5000 exemplaires à écouler au sein de sa communauté. Le succès est fulgurant: Les gourdes se vendent à la vitesse de l’éclair, et, en quelques mois, grâce à une campagne virale sur Tik Tok, la Stanley Quencher devient l’objet incontournable à collectionner.

@lindseyharbison

Y’all asked for it so here ya go! My stanley cup collection! 💖✨ #cupcollection #stanleycup #stanleycups

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Accessoire de mode

Les gourdes réutilisables sont devenues bien plus que de simples contenant pour l’eau. Elles incarnent désormais un symbole d’engagement et de jeunesse d’esprit, affichant clairement une adhésion aux valeurs de la Gen Z. Alimentées par une viralité impressionnante sur les réseaux sociaux, les bouteilles ont envahi nos feed Instagram et Tik Tok, devenant un incontournable du quotidien.

©Gettyimages

Cet engouement repose d’abord sur une véritable volonté écologique et d’une prise de conscience accrue face aux déchets plastiques. Sandra Rothenberger, professeur de marketing stratégique à Solvay le confirme, “Les gens en ont de plus en plus marre d’acheter des objets qu’ils vont finir par jeter et notamment les bouteilles en plastique, ils veulent pouvoir réutiliser leur bouteille et réduire leur production de déchets plastiques”. Avoir sa propre gourde que l’on peut remplir chaque matin avec des boissons chaudes ou froides pour nous accompagner toute la journée s’inscrit dans une démarche de développement durable et de réduction de nos déchets.

Mais la gourde est devenue un accessoire de mode à part entière. Des marques de luxe comme Dior, Miu Miu, ou encore Yves Saint Laurent, ont intégré l’objet à leurs collections. “C’est devenu un accessoire de mode, vous l’avez toute la journée avec vous, c’est plus chic de se promener avec une gourde Prada, Gucci, Chanel. Et c’est aussi une manière de toucher une cible jeune consciente des enjeux environnementaux et de répondre à leur demande qui est d’avoir un objet pratique mais aussi élégant et durable”, explique Sandra Rothenberger. Les gourdes ne se contentent plus d’être fonctionnelles; elles sont devenues des symboles de styles, collectionnées et assorties à nos tenues. Avec des éditions limitées et des collaborations prestigieuses, elles ont conquis le marché, transformant cet objet utilitaire en véritable symbole de mode et de statut.

La gourde, nouveau tote bag?

Cet engouement autour de la bouteille réutilisable n’est pas sans rappeler celui autour du tote-bag quelques années auparavant. Devenue la coqueluche des envois promotionnels, la gourde est désormais un objet de choix offert par les marques. « J’ai trois enfants, et ce matin, par curiosité, en préparant l’interview, j’ai compté le nombre de gourdes dans mon placard : 60. Soixante gourdes accumulées entre achats personnels et cadeaux reçus des entreprises et des écoles », confie Sandra Rothenberger. Ces gourdes s’entassent dans nos placards, tandis que leur production continue sans relâche.

Cette frénésie soulève des questions sur la surconsommation et l’impact écologique de tous ces accessoires et éditions limitées. Il est essentiel de s’interroger sur la durabilité réelle des produits que l’on consomme.

L’envers du décor des bouteilles réutilisables

Une étude du New York Times en 2009 révélait que la production de bouteilles en acier inoxydable nécessite sept fois plus de combustibles fossiles, émet 14 fois plus de gaz à effet de serre et consomme des centaines de fois plus de ressources métalliques que la fabrication de bouteilles en plastique jetables. Pourtant, si une gourde remplace 50 bouteilles en plastiques, son impact sur le climat s’améliore nettement. Et utilisée 500 fois, elle dépasse le plastique dans toutes les catégories d’impact environnemental selon les analyses du cycle de vie.

©Gettyimages

C’est l’accumulation de différents modèles et éditions limitées qui brouille cette notion de durabilité. En effet, la tendance à collectionner ces objets en vogue, tels que les gourdes Stanley, fabriquées à 90% d’acier inoxydable recyclé, et conçues pour durer, incite paradoxalement à la surconsommation. Malgré leur intention écologique, les sorties constantes de nouveaux modèles alimentent un engouement consumériste peu compatible avec les principes de la sobriété environnementale.

Dans le podcast Y’a le feu au lac de Ouest France, Lucas Scaltritti explore cette thématique en interviewant Florence Baitinger, co-fondatrice de la marque de gourdes Gobi. On y découvre que pour compenser l’impact environnemental de la fabrication, une gourde en plastique réutilisable nécessite entre deux et cinq mois d’utilisation, et deux mois pour une gourde en verre. Pour une bouteille en acier inoxydable, il faut compter environ trois ans. Ce chiffre peut augmenter pour une gourde isotherme, sans oublier les enjeux sociaux associés à leur production.

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L’inox est un matériau intéressant pour sa durabilité et sa recyclabilité, mais sa fabrication est lourde en termes d’impact environnemental, notamment à cause l’extraction des minerais et des procédés de sidérurgie. La production de gourdes isothermes est actuellement concentrée en Chine, ce qui soulève des questions sur les conditions de fabrication et les impacts économiques et sociaux. Comme le souligne Florence Baitinger, il est essentiel de ne pas dissocier l’écologie de l’éthique. Acheter des gourdes à bas prix, souvent fabriquées dans des conditions opaques et avec une multitude de modèles, doit inciter les consommateurs à réfléchir sur la qualité et les répercussions sociales de ces produits.

Réinventer pour un avenir plus durable

Malgré tout, selon Renaud De Bruyn, expert déchet chez écoconso, « l’objet réutilisable est systématiquement plus intéressant que l’objet jetable ». Les bouteilles réutilisables peuvent réduire notre dépendance au plastique, leur véritable bénéfice environnemental dépend de notre volonté à les utiliser réellement de manière répétée et à résister à la tentation de la surconsommation.

« Il ne faut pas que la gourde réutilisable devienne un produit de masse », relativise Sandra Rothenberger. Selon la professeure, également fondatrice de l’association « Tools for Life », il est essentiel que les marques fassent preuve de davantage de transparence dans leur communication. Les consommateurs doivent pouvoir tracer l’origine des produits qu’ils achètent, comprendre les processus de fabrication, connaître leur impact environnemental, et savoir comment compenser cet impact. « C’est une bonne chose d’utiliser des gourdes réutilisables, mais je pense aussi qu’il faut le faire correctement. La promotion massive des collections de Stanley Cup va à l’encontre du but premier de durabilité”, ajoute-t-elle.

3 conditions pour compenser de manière optimale l’empreinte carbone de sa gourde

« Pour l’environnement, le meilleur choix est d’utiliser ce que l’on possède déjà ».Selon Renaud De Bruyn, pour que l’utilisation d’une gourde réutilisable ait un réel impact positif sur l’environnement, trois dimensions doivent être prises en compte:

  • D’abord, la gourde doit être réutilisée un nombre suffisant de fois pour compenser l’énergie et les ressources nécessaires à sa fabrication. Les objets réutilisables sont généralement plus épais et solides, ce qui signifie qu’ils demandent plus de ressources à produire et ont une « dette écologique » plus élevée que les objets jetables.
  • Ensuite, le nettoyage de ces gourdes doit être réalisé de manière modérée. Si elles nécessitent un lavage régulier, il est important de ne pas les laver à trop haute température ni trop fréquemment, car cela peut augmenter leur impact environnemental. Par exemple, un nettoyage quotidien avec plusieurs litres d’eau chaude pourrait faire grimper l’empreinte écologique de la gourde au-delà de celle des bouteilles en pratiques jetables.
  • Enfin, on veillera à réduire la distance parcourue par la gourde, de sa production à son utilisation. Cette distance joue évidemment un rôle dans son bilan environnemental global. Plus elle est grande, plus l’impact peut être significatif. Mieux vaut éviter d’acheter des produits cheap vendus sur certaines plateformes chinoises…

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