Sole, cabillaud, thon. Toujours les mêmes ! Et si on accueillait dans nos assiettes d’autres poissons ? L’idée fait son chemin : c’est un coup de pouce pour la préservation des espèces menacées en même temps qu’une promesse de saveurs nouvelles et. de prix attractifs. Explications et démonstrations en recettes.

Moulures et nappes blanches, garçons tirés à quatre épingles,  » consulting culinaire  » signé Alain Ducasse, magnifique terrasse débordant de rhododendronsà Le Relais du Parc, adossé au grand hôtel Marriott Renaissance, en plein c£ur du quartier du Trocadéro, à Paris, remplit tous les critères de la brasserie chic. A un détail près : depuis le 1er février dernier, le cabillaud a été tout bonnement rayé de la carte. Plutôt osé lorsqu’on sait que cet ancien plat du pauvre – une fois séché, le cabillaud donne la fameuse morue – est devenu un signe extérieur de richesse gastronomique indispensable dans un grand restaurant.

Les stocks de cabillaud en mer du Nord et en mer Baltique sont proches de l’effondrement. Il était temps de s’engager, mais ça n’a pas été une décision facile à prendre « , lance Romain Corbière, le chef à la trentaine remuante. Comment ont réagi les habitués ? Une grève de la faim ?  » La plupart n’ont rien remarqué et nous avons sensibilisé ceux qui en réclamaient à d’autres poissons méconnus.  » Ainsi, le cabillaud a cédé sa place au lieu jaune,  » pas du tout menacé, celui-ci, avec une chair épaisse et feuilletée, encore meilleure « .

Au royaume de la gastronomie durable, Romain Corbière se sent pourtant comme dans une course en solitaire sur un océan d’indifférence. Il y a bien quelques confrères qui suivent le même cap, comme La Matelote à Boulogne-sur-Mer, qui n’ouvre les portes de ses frigos qu’à ces écailles issues de la pêche durable, comme la plie, le merlan ou le grondin,  » des poissons considérés comme moins nobles alors qu’ils sont extraordinaires « , selon le chef étoilé Tony Lestienne. Mais force est de constater que l’écrasante majorité des ardoises restent cruellement conservatrices.

Témoin : le thon rouge. Les signaux ont beau afficher la même couleur quant à sa survie, rien à faire, cette viande de la mer déferle sur toutes les tables depuis une petite décennie. En sushi, sashimi, tartare, steak minuteà difficile d’y échapper. Cette situation dramatique se résume à trois chiffres : les scientifiques avaient recommandé des quotas de pêche de 15 000 tonnes par an en Méditerranée ; ils ont été fixés à 32 400 tonnes dans le plan de gestion adopté en 2007à Et on estime à près de 50 000 tonnes les prises la même année.

 » En clair, à ce rythme-là, Thunnus thynnus, le thon rouge du Nord présent dans l’Atlantique et dans la Grande Bleue, ne sera plus, dans dix ans, qu’une jolie illustration dans les encyclopédies « , prévient Charles Brenne, chargé du programme  » pêche durable  » au WWF. Voilà pourquoi l’organisation environnementale a entamé ces derniers mois une grande campagne d’information destinée à tous les acteurs de la filière. C’est ainsi que la Fondation Albert de Monaco a adressé un courrier à l’ensemble des hôteliers et restaurateurs monégasques, leur demandant d’arrêter la vente du thunnidé.

 » L’avenir repose beaucoup sur la responsabilité du consommateur, explique Julie Andrieu, la célèbre journaliste gastronomique française et marraine de l’opération. En se tournant vers d’autres espèces qui ne sont pas en danger, le consommateur a tout à gagner : des saveurs nouvelles et des prix nettement moins élevés.  » Des exemples ? Le chinchard, drôle de bestiole aux flancs métalliques, qui pullule dans les mers tempérées et dont la chair est délicieuse crue, marinée ou grillée ; le tacaud, genre de triangle allongé qui s’accommode comme le merlan, mais aussi le maigre, la daurade griseà En prime, ces produits inédits sont vendus à moins de 10 euros le kilo, quand le cabillaud et le thon rouge dépassent allègrement les 20 euros.

Bien acheter mode d’emploi

Comment s’y retrouver chez son poissonnier devant une forêt d’étiquettes aux informations le plus souvent laconiques ? Le WWF vient d’éditer un précieux  » conso-guide « . Directement téléchargeable depuis son site Internet, il se présente sous la forme d’un petit tableau à glisser dans son porte-monnaie, avec une soixantaine d’espèces classées en trois colonnes :  » à privilégier « ,  » avec modération « ,  » à éviter « .

Mais que dire de ces poissons recommandés provenant de l’aquaculture, dont certains, comme les gros bars, nécessitent jusqu’à 7 kilos de poissons sauvages prélevés dans les écosystèmes pour 1 kilo de poisson d’élevage ? Faut-il alors se tourner vers les pangas, tilapias et autres variétés tropicales d’élevage au régime herbivore mais dont l’acheminement a un coût écologique ?  » Le consommateur doit jongler au mieux avec tous ces critères, mais ça devient vite un jeu quand on prend la peine de s’y intéresser « , conclut Philippe Vallette, océanographe, directeur de Nausicaä, qui diffuse sur le site Internet de ce centre de la mer à Boulogne une liste écologiquement correcte, encore plus radicale, qui tient compte aussi du  » bilan carbone  » de chaque poisson. Un  » pense-bêtes  » salutaire en attendant la révolution écologique.

Nos 3 recettes en page 68.

Internet : www.wwf.be ; www.nausicaa.fr

François-Régis Gaudry

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